Comment Salomon mesure les émotions générées par ses produits avec Igonogo

Par Xuoan D. le 28/02/2024

Temps de lecture : 6 min

Émotions tactiles.

Qu’est-ce qui fait qu’une personne va s’intéresser à un modèle de chaussure de running plutôt qu’à une autre ? Quel est l’impact d’une innovation, de la couleur ou du prix sur son parcours d’achat ? Que représente une chaussure de trail éco-responsable dans son esprit ?

Auparavant, un focus group aurait pu répondre à ces questions. Mais ce n’est pas « scalable », cela ne résiste pas à la mise à l’échelle : on peut interroger 20 personnes dans une salle, plus difficilement 1000. Et, on le sait, les individus font parfois le contraire de ce qu’ils déclarent lors d’une telle étude.

Comment recueillir de véritables insights qui permettront de valider un produit plusieurs mois ou années avant son lancement ? C’est le challenge que se sont fixés l’équipe produit de Salomon et les fondateurs / docteurs en sciences cognitives de la solution SaaS Igonogo, que nous avons découverte lors de notre dernier séjour enneigé aux BigBoss.

Place à une nouvelle génération d’enquêtes et de tests, où l’évaluation des émotions et des non-dits des consommateurs sont de mise, un simple smartphone à la main. Pour en savoir plus, nous avons rendez-vous avec deux PhD : Marlene Giandolini, Sport and Consumer Sciences Senior Manager, Footwear, Bags & Socks Department, de Salomon et Candice François, COO et co-fondatrice d’Igonogo.

La genèse

Le début de cette collaboration a précédé la création d’Igonogo. « Salomon est une société très technique, d’ingénieurs, avec beaucoup d’expertise sur la fonctionnalité des produits, sur les mesures biomécaniques, physiques… Mais en 2018, on a commencé à se poser des questions. Au-delà de l’aspect fonctionnel, quand quelqu’un va voir l’un de nos produits en magasin ou sur un site e-commerce, pourquoi va-t-il avoir envie de cliquer, de l’essayer, de l’acheter ? Nous avons cherché ainsi à évaluer l’appréciation émotionnelle de nos produits », se remémore Marlene Giandolini (Salomon). « Autour de nous, il y avait notamment l’Université de Grenoble qui travaillait sur ces sujets, et en particulier Candice, qui était encore en thèse. »

À cette époque, mesurer l’impact émotionnel d’un produit a quelque chose d’à la fois lourd et quelque peu systématique, comme l’explique Candice François (Igonogo) : « Pour aller chercher les émotions dans le milieu de la recherche et donc au niveau marketing, on utilisait jusqu’alors des mesures dites physiologiques. C’est-à-dire qu’on va utiliser des capteurs spécifiques, avec des bases de données d’images templatées, des bébés et des plages paradisiaques, où des fois, c’est un peu compliqué de faire le lien avec le côté très opérationnel de l’impact sur une décision d’achat. Notre volonté était d’aller vers une méthode simple à mettre en place, comme un questionnaire, sans capteur. »

Mais la simplification n’était pas le seul objectif recherché par Candice François et Salomon. La justesse des éléments recueillis avait aussi besoin d’une nette montée en gamme : « Le fait est que 73,5% des intentions d’achat déclarées dans les enquêtes conventionnelles ne se réalisent pas. Aujourd’hui encore, les marques qui se basent sur des enquêtes pour prendre des décisions, le font potentiellement à partir de données biaisées ou erronées. »

Le contexte est posé. Un premier questionnaire fut réalisé dans le cadre d’un focus group, avec 25 personnes dans une salle, sur des ordinateurs, avec un suivi des mouvements de la souris, générateur d’insights forts sur les intentions réelles des personnes sondées. Un expert s’occupant ensuite de traiter, d’analyser et de restituer les résultats.

Mais Salomon a souhaité que l’étude suivante se fasse sur smartphone « car plus personne n’utilisait de PC pour répondre à un questionnaire. Nous ne voulions pas avoir un taux de recrutement de 2 % lors d’une prochaine enquête à distance », précise Marlene Giandolini.

De cette collaboration et ce virage vers le mobile est né Igonogo, officiellement lancé en septembre 2021. Mais l’équipe de Salomon, habituée à fréquenter des athlètes de haut niveau, a relevé alors les objectifs de la collaboration. « Vous nous avez beaucoup challengé pour rendre plus scalable ce type d’études émotionnelles », se souvient Candice François. « On aimerait en faire plus, mais l’analyse par un expert Igonogo à chaque étude, cela prend du temps et c’est coûteux », avoue sans détours Marlene Giandolini. De là est venue l’idée pour Igonogo de migrer vers une offre SaaS (software as a service) où chaque client pourrait initier des études sans intervention de la part d’Igonogo.

Mobile, SaaS et mesure des émotions : Igonogo était officiellement né.

Comment ça marche

Les enquêtes Igonogo sont des formulaires, à la façon d’un Google Forms, que les clients peuvent créer à partir de leur interface, de façon intuitive grâce au drag and drop (glisser déposer en VF). Les participants aux sondages y répondent depuis leur smartphone, via une interface épurée et ludique (les emoji sont au rendez-vous). Mais comme on le sait, il faut toujours se méfier de ce qui semble aussi trivial qu’un jouet. C’est là que la science d’Igonogo intervient : « On collecte au pixel et à la milliseconde près tous les mouvements du doigt », détaille Candice François. Or, aussi fou que cela puisse paraitre, le déplacement du doigt et le temps de réaction sur un smartphone se convertissent en mesure des intentions et des émotions. « C’est comme les émotions qui traduisent notre visage. Mais aussi avec nos déplacements. Quand on est enjoué, on va marcher d’un pas plus dynamique que si on est fatigué ou dans des émotions négatives. »

Naturellement, la thèse de Candice François, présentée en 2020, est sur le même thème : Intégration des interactions sensori-motrices et affectives dans le comportement d’achat. « L’idée est de rendre accessible tout ce bagage scientifique à n’importe qui », selon la docteure en sciences cognitives et en psychologie.

La co-fondatrice d’Igonogo, avec Florian Loeser, précise : « Nous mesurons les émotions uniquement dans le cadre d’enquêtes en ligne. Nous ne faisons pas d’analyse de sites web. » Pour cela, veuillez plutôt vous adresser à un Hotjar ou à Contentsquare !

Comment Salomon utilise Igonogo

Trois types d’études ont pu être lancées par Salomon grâce à Igonogo, du plus proche au plus éloigné d’une sortie produit :

1. En amont de la mise sur le marché d’un produit : validation des différentes déclinaisons, couleurs, tailles…

2. Lors d’une phase d’innovation, environ 3 ans avant la sortie du produit : « On va pouvoir explorer 3, 4, 5 pistes totalement différentes, avec designs plus ou moins disruptifs. Cela permet de dire à quel point ce qu’on met sur la table choque. C’est hyper intéressant, pas dans le sens où cela va conditionner forcément ce qu’on va faire – parce qu’il y a aussi des problématiques de fonction à prendre en compte et d’autres choses – mais au moins, on a un regard sur à quel point on va être en rupture par rapport à ce qui existe déjà », s’enthousiasme Marlene Giandolini.

3. Enfin, lors de phases plus exploratoires, pour valider de grands thèmes. « Quand on parle éco-responsabilité pour un produit comme une chaussure, qu’est-ce que cela veut dire selon le pays, l’âge, le genre ? », se demande Marlene Giandolini.

Les candidats sont recrutés soit dans la base CRM de Salomon – « ce qui est gratuit et le plus pratique pour nous » – soit via des partenaires d’Igonogo, rassemblant 120 millions de personnes au total. Salomon a effectué ses enquêtes jusqu’alors auprès de consommateurs français, américain, allemands, européens. Et pourrait le faire sur tout marché où la marque est présente. « On peut aisément recueillir les réponses de 1 000 en 15 jours, ce qui était infaisable auparavant », se félicite Marlene Giandolini.

Salomon a un abonnement annuel illimité auprès d’Igonogo et peut lancer des enquêtes à tout moment, dans une pure approche « self-serve » SaaS.

Les résultats

Les premiers produits Salomon ayant fait l’objet d’enquêtes Igonogo ne sont pas encore sortis. Une sortie étant prévue pour le printemps seulement. Nous ne saurons donc pas si les intentions d’achat mesurées par Igonogo se retrouvent bien dans les ventes effectives de Salomon.

Cependant, Marlene Giandolini observe déjà un premier indicateur de succès : « Ce qui est génial et qui montre aussi que la plateforme est très ergonomique et qu’Igonogo a vraiment atteint un sacré niveau là-dessus, est que l’équipe marketing ne nous demande plus rien. Ils ont leurs comptes, et lancent leurs enquêtes de façon autonome. Ils font leur vie et côté recherche, on ne sait même plus ce qui se passe. Donc, tant mieux. Pour moi, c’est un KPI. Ils l’utilisent comme un Google Forms, comme un Microsoft Forms. »

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