L'interview de Jérôme Fourquet, co-auteur de "La France sous nos yeux."
Après deux ans de pandémie, la France et ses concitoyens ont-ils vraiment changé ? Habitudes, attentes, usages, consommation, les différents confinements ont donné des envies d’ailleurs et d’autrement à une grande partie de la population. Le monde d’après devait bouter celui d’avant (et ses boomers) hors du quotidien et embrasser de nouvelles perspectives. Les marques, sommées de montrer patte blanche, devant passer à l’action et à l’introspection pour être accompagnatrices du changement.
Les modes de consommation et la consommation en général ont-ils véritablement été bouleversés par la séquence de 2020-2022 ? Une fracture territoriale est-elle apparue en matière de consommation ? Quel rapport les Français entretiennent-ils avec les marques ?
Auteur du best-seller, La France sous nos yeux, avec le journaliste Jean-Laurent Cassely, le politologue et directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP, Jérôme Fourquet, nous incite à faire fi des idées reçues.
Votre dernier livre La France sous nos Yeux coécrit avec Jean-Laurent Cassely, regarde la France non plus seulement sous le prisme des citoyens, des travailleurs, mais aussi des consommateurs. Après deux ans de crise sanitaire, quels principaux changements avez-vous observés chez eux ?
Jérôme Fourquet : La crise du Covid a eu comme principal effet, notamment en matière de consommation, non pas de créer des ruptures avec les pratiques et habitudes préexistantes, mais d’amplifier et d’accélérer un certain nombre de tendances déjà préexistantes au Covid. On a beaucoup parlé d’un monde d’après, avec Jean-Laurent Cassely on pense qu’il ressemble beaucoup au monde d’avant.
Par exemple :
– Tous les produits estampillés et labellisés « produits de nos régions », « produits locaux » qui se portaient déjà très bien avant la crise. Depuis, elle a eu comme effet, parmi d’autres, de renforcer l’attachement des Français à une forme de proximité. À l’échelle nationale, cela se voit avec le made in France, porté par Arnaud Montebourg à une époque, qui a toujours le vent en poupe. Voire même davantage aujourd’hui avec la question de la relocalisation d’un certain nombre de productions pour des raisons environnementales et de souveraineté.
Cela se décline aussi au niveau local et régional avec, encore une fois, un attrait renforcé pour les circuits courts, les produits du terroir. Depuis 15 ans, le bio avait pas mal de succès dans les rayons. S’il a conservé ses positions, il a manifestement atteint une forme de plafond, alors que les produits locaux prenaient le relai en termes de dynamique et de croissance. Aussi en partie pour des raisons environnementales : contribuer à faire du bien dans la région dans laquelle je vis fait plus sens qu’acheter des produits bio qui viennent de l’autre bout de la planète. Un certain nombre d’acteurs de la grande distribution ou de l’agroalimentaire ont bien senti cette aspiration et markètent ça de manière très efficace : les sacs de course affichant l’image ou la photo de l’agriculteur du coin livrant les pommes de terre, le lait, la viande, etc., fonctionnent très bien.
– la livraison à domicile. Le e-commerce a connu un boom manifeste et on voit se développer, sans retour en arrière possible, les pratiques de livraison. On entre dans un « troisième âge » de la grande distribution.
Le premier étant celui du supermarché/hypermarché ; le deuxième, depuis le début des années 2000, est celui de l’irruption du drive où l’on vient chercher ses courses préparées sur place ; avec le troisième âge, on ne se déplace plus, le magasin envoie une personne livrer vos courses. Cela vaut pour les courses et la restauration à domicile.
Gorillas, Cajoo, Flink, Dija, les acteurs de la restauration ultra rapide, ou quick commerce (10 à 15 minutes en moyenne pour un panier moyen de 23 euros), se multiplient. Croyez-vous à leur pérennité ?
J.F. : C’est en train de s’installer, notamment auprès des jeunes générations qui sont particulièrement ciblées, comme à Paris. Nous sommes sur de nouveaux modes de vie et rapports à la consommation. C’est une génération complément digital native et pour laquelle ce type de pratique est en train de se banaliser.
Alors est-ce que cela va se pérenniser ? Oui. Toutefois ce phénomène ne touchera pas toute la population. Il se diffusera dans la population en partant du segment des jeunes, notamment en milieu urbain. Ce ne sera pas l’alpha et l’oméga de la distribution future, mais un passage désormais incontournable auprès d’une certaine clientèle et d’un certain public.
Pour l’instant, de ce qu’on lit, il est assez difficile pour les opérateurs de gagner de l’argent, le modèle économique se cherche et nous sommes en phase de rodage. En revanche, au regard de la puissance des acteurs qui interviennent sur ce nouveau marché — grande distribution ou Amazon — on voit bien qu’ils ne vont pas s’arrêter là et que la demande est très forte de la part de la population. Ceci peut-être aussi en lien avec une autre tendance qui s’est renforcée avec la crise Covid, et dépeinte par l’essayiste Vincent Cocquebert, « la civilisation du cocon » : une sorte de repli sur la bulle individuelle, familiale, et le logement. En matière de consommation de biens culturels, c’est l’abonnement à Amazon Prime ou à Netflix, mais l’un des éléments de mode de vie de cette civilisation du cocon, c’est la livraison à domicile.
Cela va donc se développer, à quel rythme ? On ne sait pas. C’est d’autant plus facile à déployer avec des coûts maîtrisés dans les très grandes métropoles qu’en zone rurale ou périurbaine. Mais le phénomène est là et avec des opérateurs comme Amazon, il ne faut pas croire que cela va se cantonner à la clientèle « jeunes-branchés-bobos » de Paris ou des grandes métropoles. La ville de Châteauroux, archétype de la ville moyenne française, compte déjà 90 livreurs Uber Eats : c’est un signe qu’il n’y aura pas de retour arrière, au moins pour la livraison de repas. Une fois que l’habitude est prise, notamment auprès des jeunes générations, la pratique va s’installer.
N’est-ce pas paradoxal avec cette jeune génération que l’on dit plus consciente et « green » d’utiliser ce type de dark stores à l’image finalement assez capitaliste et peu « éco-friendly » ?
J.F. : Attention aux discours très généralistes et englobants « les jeunes ceci, les jeunes cela ». Les manifestations organisées par Génération climat avaient eu un fort écho il y a deux ou trois ans, avec des figures comme Greta Thunberg, et on avait immédiatement dépeint la jeunesse française comme complètement écolo. C’est plus compliqué, elle n’est pas homogène.
Ensuite, cela n’empêche pas cette jeunesse avec une sensibilité écolo d’être traversée, comme tout à chacun, d’un certain nombre de paradoxes : pouvoir se dire et adopter certaines pratiques qui vont dans le sens d’une plus grande attention à l’écologie et dans le même temps recourir aussi à ce type de service. Et peut-être aussi en se donnant bonne conscience en se disant que dans les grandes villes la livraison s’effectue à vélo plutôt qu’en voiture, donc sans pollution.
C’est le même paradoxe que l’on retrouve aujourd’hui avec le phénomène Vinted et ses concurrents. Certes de prime abord et c’est validé, ces plateformes remettent au goût du jour la seconde main, ce qui va plutôt dans le sens d’une forme de sobriété écologique, sauf que les études montrent que 70 % de l’argent récolté via Vinted par les utilisateurs.trices est réinjecté dans l’achat de neuf.
Lorsque Vinted a été créé, il s’agissait de prendre le contrepied de la fast fashion, les Zara et autres dont les nouvelles collections sortent au rythme de 2 à 4 par an dans une course sans fin. L’idée était de ralentir la consommation et donner une 2de vie à ses vêtements. Aujourd’hui, cela peut paraître contradictoire – vendre/acheter de la seconde main, mais cela ne me détourne pas de mon comportement initial, succomber à l’appel du neuf assez régulièrement. Il y a un aspect effort et plaisir.
Les marques comprennent-elles — ou non — les Français ?
J.F. : Idem, il ne faut pas généraliser : des marques sont sans doute plus à l’écoute que d’autres et ont été en capacité de bien cerner la psychologie de leurs clients et consommateurs, de s’adapter et d’y répondre sur mesure. Pour reprendre l’exemple d’Amazon, on pourrait dire que Jeff Bezos est dans nos cerveaux, le modèle mis en place est d’une efficacité redoutable : une logistique d’enfer pour assurer une livraison optimale, une palette de choix infinis, des coûts maîtrisés, etc. Malgré les appels au boycott du Black Friday, Amazon poursuit inexorablement son déploiement en France comme ailleurs. Cela signifie bien qu’il est en phase avec une partie de la société.
Lidl a très bien compris les ressorts de fonctionnement de toute une partie de la population et se paie même le luxe d’être engagé dans une stratégie de montée en gamme depuis quelques années autour de l’idée des achats malins, du juste prix des bonnes choses, ne pas payer du surpackaging ou des effets de marketing, etc. Lidl fait aujourd’hui un parcours sans faute en s’appuyant sur une analyse et une compréhension profonde de toute une partie de la population française.
Autre enseigne comme McDonald’s qui avait un handicap d’image très marqué autour de la malbouffe, de l’impérialisme américain, etc. On se souvient encore du démontage d’un McDonald’s par José Bové à la toute fin des années 90 (à Millau, le 12 août 1999, NDLR). Aujourd’hui, la France est le 2e marché mondial du groupe après les États-Unis et compte 1 600 restaurants sur le territoire. Selon l’étude que nous avons menée sur la génération McDo, les 18-35 ans, 50 % d’entre eux y vont au moins une fois par mois.
Comment McDonald’s a pu réaliser cela ? En se plongeant au contact du consommateur et en entendant un certain nombre de critiques et/ou de spécificités de la société française dans son rapport à l’alimentation. McDo a ensuite su l’intégrer dans son modèle de base pour le rendre totalement adapté aux attentes de nos concitoyens. Que ce soit dans le fait de dire que toute une partie de l’approvisionnement provient de France, de faire travailler les agriculteurs ou d’incorporer des produits typiquement français dans ses menus (comme le McBaguette).
Autre spécificité du modèle de l’enseigne décliné en France : la large place accordée à la prise de repas à table : 40 % des repas sont pris sur place, et le client peut commander à l’accueil et se faire servir à table. C’est une spécificité qu’on ne retrouve quasiment qu’en France. Ils ont su, depuis plusieurs années, écouter et observer le consommateur et y répondre de la manière la plus adéquate possible.
On peut donc dire que pas mal de marques sont à l’écoute, en phase et ont une bonne compréhension des ressorts et modes de fonctionnement de leur cible prioritaire.
Quel rapport ces derniers entretiennent-ils avec les marques ? D’un côté le ressentiment envers les grands patrons et les entreprises paraît fort, de l’autre la consommation semble un but à atteindre.
J.F. : Des marques sont plus ou moins fortes, plus ou moins emblématiques et investies symboliquement. Pour certaines, le poids symbolique ou l’attachement des Français est tout de même assez faible. En revanche, certaines sont très puissantes et quasiment incontournables dans le sens où elles sont des marqueurs sociaux ou statutaires. Ce sont des marques qui signent une appartenance à l’univers du luxe, comme iPhone (Apple) pour les smartphones. Elles sont fortement investies et recherchées. Il suffit de regarder la place de marques comme Lacoste ou Gucci dans les clips de rap ou les chansons (lire notre dossier Quelle est la meilleure marque du rap français ?) ou celle de marques automobiles comme Audi par exemple. D’autres marques encore signent votre appartenance à l’univers de Mr et Mme tout le monde, cette grande classe moyenne auquel beaucoup de Français se sentent appartenir, ou aspirent à appartenir. On retrouvera plutôt ces marques dans la consommation alimentaire par exemple – Coca-cola, Nutella – ou vestimentaire avec Nike.
Avec Jean-Laurent Cassely, nous avions été très marqués par ce que d’aucuns avaient appelé « les émeutes au Nutella », quelques mois après le déclenchement de la crise des Gilets Jaunes : Intermarché avait fait une grosse promotion sur le pot de 850 grammes. Nous étions le 20 du mois et à ce moment-là beaucoup de Français, comme ils le disent eux-mêmes, n’ont plus les moyens de se payer ou d’offrir à leurs enfants de la marque. Ils se rabattent sur la marque distributeur, un premier prix ou des produits ersatz. Cette promo d’enfer sur Nutella avait provoqué ces scènes hallucinantes, mais nous montrent bien le fort pouvoir symbolique ou statutaire qu’ont su créer ou se construire certaines de ces marques. Parfois à leur corps défendant.
Jacques Séguéla disait « Si à 50 ans on a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ». Toute une partie de la France, notamment celle des ronds-points, parodie cette sortie en disant qu’à 40 ans, si on ne peut pas payer du Nutella ou des Nike à ses enfants, on est un cassos : c’est en ce sens qu’on entend souvent l’expression du « vrai Coca », du « vrai Nutella » dans la bouche des consommateurs. Ce terme est significatif. Tout le reste des courses est sous arbitrage, on traque les économies possibles, mais pour les grandes occasions certains produits sont sanctuarisés. C’est le signe que vous êtes une marque iconique et emblématique.
Ce pouvoir des marques est encore très puissant dans toute une partie de la population. Dans une économie de plus en plus sous arbitrage, avec un retour de l’inflation, des sollicitations multiples et variées, avec une part du « tout ce que j’ai à payer par mois » plus développé qu’il y à 20 ou 30 ans (on doit faire entrer plus de choses avant autant qu’avant), tout l’enjeu pour les marketers et responsables de la communication des marques, est de devenir une marque non substituable ou arbitrable. C’est à dire incontournable.
Les modes de consommation et la consommation en général sont-ils véritablement passés dans le « monde d’après » ?
J.F. : Je ne pense pas. Qu’il y ait une sensibilité accrue à l’environnement dans certains publics ; qu’on privilégie dès que possible les produits locaux ou autres ; que de plus en plus de gens soient dans une économie de la débrouille avec Vinted, leboncoin et la chasse aux promos, oui. En revanche, le poids des marques iconiques demeure et le fait que les gens se réalisent — personnellement et psychologiquement — dans l’acte d’achat, notamment pour les enfants, n’a pas bougé.
Est-ce qu’il y a une fracture territoriale en matière de consommation ? Comme le souligne votre co-auteur, les styles de vie semblent s’être politisés, notamment autour de l’alimentation. C’est la fameuse controverse autour d’« Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage » de Fabien Roussel.
J.F. : Deux choses : est-ce que cela se politise ? Oui, en partie. On le voit avec Fabien Roussel. On l’a vu en 2020, lors de la sortie du premier grand confinement avec l’appel à boycott du Black Friday relayé par une partie de la gauche notamment. Amazon n’a jamais publié le chiffre d’affaires du Black Friday cette année-là, mais cela doit être quelque chose.
Ensuite, est-ce que l’on trouve des différences régionales ? Oui, bien sûr. Elles vont s’expliquer par la différence des modes de vie (et de lieux) et de revenus entre :
– le cœur des grandes métropoles où l’on pourra éventuellement être sur une démarche de premiumisation (Monoprix ou autre, car il y a la clientèle pour) et/ou une attention redoublée à l’écologie (les gens qui se baladent en baskets Veja & co) ;
– une France périphérique beaucoup plus sous arbitrage.
Donc si les écarts existent, ils sont liés à ces facteurs-là. Attention toutefois à ne pas être dans quelque chose de binaire : les bobos des villes vont chez Monoprix ou à Biocoop et les Gilets Jaunes vont chez Lidl. Dans des territoires ruraux périphériques, vous trouvez parfois la coexistence des deux publics, notamment en sortie de Covid où, dans certains territoires périurbains et ruraux, une partie de la population locale, non issue de ce territoire, était déjà assez sensible à la question écologique : les néo-ruraux. Ceux arrivés après 68 et plus récemment.
Une partie de la Drôme est emblématique de ce phénomène. Pour caricaturer, aujourd’hui, vous avez à la fois des natifs dans un triptyque TV, Nutella, centre commercial, et de l’autre des néo-ruraux arrivés plus récemment qui pratiquent une forme de décroissance avec des déplacements doux (vélo et vélo-cargo), etc. Aujourd’hui, dans cette région, un village est coupé en deux autour du projet d’installation d’un Lidl : une partie de la population locale considère cela comme bénéfique (bons produits avec peu d’argent) et l’autre composée de néo-ruraux estime que c’est un non-sens écologique et une débauche de consommation, quand eux font leurs courses à l’épicerie solidaire ou dans les circuits courts du coin.
La majorité des marques sont très globales et ont vocation à s’adresser à la France entière malgré les disparités, cette complexité-là n’a-t-elle pas toujours été présente : il y a toujours eu des urbains, ruraux, etc. ?
J.F. : Beaucoup d’articles sont sortis sur la crise du modèle de l’hypermarché. Dans le livre, on revient sur sa création en France. Les pionniers de la grande distribution sont allés se former aux États-Unis, en ont ramené le concept du supermarché, mais ont développé celui de l’hypermarché. Un lieu et un concept parfaitement adapté à ce qu’on appelle la « société moyennisée », c’est-à-dire la société des Trente Glorieuses des années 70 et 80. Il y a avait certes des différences de tickets de caisse en fonction des classes sociales, mais à sa sortie on pouvait dénombrer à la fois des banlieusards, des gens de l’hypercentre comme de la périphérie arrivés jusqu’ici en voiture.
L’hypermarché draine encore une part importante de la population, mais n’en est pas moins en crise, car attaqué par le haut, avec Monoprix, par le bas avec le discount de Lidl et autres, mais aussi par le côté avec Biocoop ou Bio c’ Bon. Aujourd’hui, les gens font rarement toutes leurs courses dans le même type de magasins. Dans La France sous nos yeux, on évoque ainsi ces phénomènes de démoyennisation, où de facto l’hyper devient moins central qu’il n’était auparavant. Au sein de la population française, des groupes commencent à s’éloigner, par choix ou par nécessité, du modèle complètement homogène de consommation.
C’est encore plus spectaculaire dans l’univers des médias : au tout début des années 90, TF1 représente alors 41 % d’audience, aujourd’hui ce n’est plus que 18 %. Si l’hypermarché n’a pas vu sa part de marché divisée par deux, cela montre la fragmentation à l’œuvre : il manque du monde par rapport à ces années-là, car la société s’est fragmentée et complexifiée, y compris en termes de consommation.
Si vous discutez avec des patrons de la grande distribution, ils vous disent qu’aujourd’hui seuls deux segments fonctionnent, le premium et l’entrée de gamme. Tout ce qui est au milieu se fait attaquer. Attention, ce n’est pas dû au fait que la société moyenne disparaît, mais avec un budget sous arbitrage, certains privilégient le premium « plaisir » pour tels types de produits, et ne peuvent plus prendre du milieu de gamme pour d’autres, mais plutôt de l’entrée de gamme.
Dans une interview à Usbek et Rica, vous disiez qu’aujourd’hui pouvoir acheter du neuf c’est montrer qu’on n’est pas un cassos. Comme le bio à l’époque et encore aujourd’hui, le mouvement de la seconde main, de l’économie circulaire, est-il un sujet de riche ?
J.F. : Sur la seconde main ou autre, on observe deux types de public : ceux qui le font par conviction et ont les moyens de faire autrement, et ceux qui y recourent parce qu’ils ne peuvent pas s’acheter du neuf. En revanche, s’ils pouvaient s’en acheter, vous ne les trouverez peut-être pas dans les vides greniers ou sur leboncoin.
Comment les territoires se sont adaptés à ces nouveaux comportements ?
J.F. : On le voit avec le développement ou non de telles ou telles enseignes, certaines sont plus ou moins spécialisées géographiquement. Par exemple, l’enseigne hollandaise Action, spécialisée dans le discount non alimentaire, n’est pas présente dans Paris. Dans la France périphérique, elle fait un véritable carton. Les enseignes ciblent plus ou moins telle ou telle population : c’est le paysage qui porte la trace de pratiques de consommation et de modes de vie différents, par le truchement des stratégies d’implantation des acteurs qui s’installent logiquement là où ils sont le plus à même de trouver des clients.
Quand vous discutez avec de grands acteurs de la grande distribution, ceux où les franchisés ceux majoritaires et autonomes, comme Leclerc, Super U et Intermarché, et ceux comme Carrefour et Auchan dont le modèle est historiquement plus jacobin (même stratégie de prix, merch de Lille à Lyon et Toulouse), chacun d’eux s’est lancé dans une adaptation progressive du modèle pour le faire coller aux spécificités locales : avec telle clientèle plutôt premium je renforce telle marque, avec cette représentation forte des populations issues de l’immigration il y aura plus d’attente et demande sur tels types et gammes de produits.
D’un modèle moyennisé et standardisé de l’hypermarché partout en France, on revient en arrière pour s’adapter et faire évoluer les modèles en fonction des spécificités des territoires.
Les Français, et plus spécifiquement les consommateurs français, sont-ils réunis autour d’un socle commun, à défaut d’un idéal, semble-t-il ?
J.F. : Certaines marques iconiques font recette partout, comme on l’expliquait précédemment. Roland Barthes parlait du steak frites, c’est toujours valable aujourd’hui. Ce n’est pas complètement homogène, mais il y a un rapport à la consommation qui demeure un lien fédérateur et reste important dans la vie de nos concitoyens.