McDonald's, l'Armée de l'Air et de l'Espace ou Renault s'y adonnent.
Bientôt interdit TikTok ? Ces dernières semaines, la plateforme venue de Chine fait face à une fronde sans précédent et une réglementation qui pourrait l’exclure du territoire américain et la contraindre sur le sol européen, alors même que des centaines de millions de personnes l’utilisent quotidiennement. TikTok reste l’application la plus téléchargée dans le monde (devant Instagram et Facebook) et la 2e en France derrière WhatsApp.
Si la plateforme fait la part belle aux contenus courts et divertissants, il ne faudrait pas trop vite la réduire à un média d’abrutissement des masses, comme certains ont tôt fait de la catégoriser. Quand ce n’est pas la Chine qui l’utiliserait à ce dessein. De #bookTok aux créateurs de contenus qui mettent la culture en avant, TikTok fait la part belle à l’edutainment.
Des contenus pédagogiques, ludiques et divertissants parfaitement calibrés pour les marques et à même d’être valorisés par le moteur de recherche de la plateforme, concurrent sérieux au trône jusqu’ici détenu par Google.
Qu’est-ce que l’edutainment ? Quels sont ses codes et avantages pour les marques ?
Maximilien Devay, directeur marketing et brand content d’Explore Média – 8 millions d’abonnés en France sur ses différents réseaux (Tiktok, Snapchat, Facebook, Youtube et Instagram), nous donne les clés de ce contenu à valeur ajoutée qui défie les lois de l’actualité.
Ces dernières semaines, TikTok a tour à tour été accusé d’être une plateforme d’espionnage aux mains du gouvernement chinois qu’un outil d’abrutissement de la jeunesse occidentale. Pourtant, voire malgré tout, la plateforme recèle un grand nombre de contenus éducatifs et la nouvelle génération s’y informe en nombre : Comment l’expliquez-vous ?
Maximilien Devay : Le hashtag #learnontiktok par exemple, représente plus de 500 milliards de vues sur la plateforme et c’est l’un des hashtags les plus puissants. C’est un signal assez net que TikTok et les autres plateformes sont un espace d’apprentissage. La dernière étude #MoiJeune de 20 Minutes, pour les 18-30 ans, montre que la connaissance et l’apprentissage sont la 2e chose qui donne un sens à leur vie, après famille et devant le couple.
L’être humain a toujours besoin d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses. On passe un temps exponentiel sur les réseaux sociaux et encore plus sur TikTok (95 minutes par utilisateur et par jour, NDLR) où il y a nécessairement du contenu éducatif et intéressant. Nous voulons nous insérer dans ce temps-là.
L’actualité est assez morose – inflation, guerre en Ukraine, épidémies – et une partie des Français se coupe de l’actualité (un tiers selon Statista). Explore Média ne traite pas l’actualité, mais à vocation à s’adresser à ceux qui souhaitent s’instruire en dehors de l’information quotidienne. Nous faisons la distinction entre infotainment et edutainment, nous ne rebondissons pas sur un fait ou une polémique et ne sommes soumis à aucun agenda médiatique. À l’instar de Gaspard G sur YouTube ou Hugo Decrypt. Ces sujets demandent du temps et permettent de développer un esprit critique à même d’analyser un fait d’actualité quelque temps après.
Qu’est-ce que l’edutainment ? Est-ce un contenu propre à TikTok ?
M.D. : L’Edutainment est la contraction d’éducation et entertainment, un anglicisme venu des États-Unis : c’est faire du contenu pédagogique sur le fond et divertissant sur la forme. Pourquoi devons-nous être divertissant sur la forme ? Parce que la bataille de l’attention est très forte et s’est accentuée depuis l’arrivée de plateformes comme TikTok, avec une culture du zapping et un UX qui favorise le swipe. Nous devons gagner cette guerre de l’attention, avoir des accroches impactantes, une manière d’intriguer les gens, de poser des questions pertinentes ou auxquelles les gens n’ont jamais pensé, montrer des images fortes avec un rythme soutenu, très cut, une voix off et un design sonore particulier. C’est ainsi que l’on envisage le versant entertainment et non sur le prisme de l’humour. Ce n’est pas notre truc, d’autres le font bien.
Comment expliquez-vous son succès et à quelle problématique répond-il ?
M.D. : Les gens ont soif de connaissance, qu’ils fassent partie de la Gen Z, X ou Y. Pour s’instruire, se développer, créer la conversation en soirée ou en cours, rebondir sur une anecdote sans forcément se cristalliser autour de l’actualité, qui peut parfois être dangereuse à manipuler. Parler de la guerre en Ukraine aujourd’hui peut être compliqué si on a pas toutes les informations ou lorsque des fakes news circulent. L’edutainment permet de rester intellectuellement actif sans rebondir sur les mêmes faits d’actualité.
Ces contenus pédagogiques contribuent à développer son esprit critique et son ouverture sur le monde. Comme nos sujets « Atlas » où l’on part d’une image satellite piochée sur Google Earth pour remonter le fil de son histoire. Nous l’avons récemment fait avec les bassins de potassium chinois utilisés pour la création d’engrais agricoles. Ces contenus permettent parfois de susciter des vocations : certaines marques font appel à nous pour des enjeux de marque employeur afin d’expliquer un métier et ou rendre des métiers et filières attractifs. Chose qui n’est pas aisée pour l’industrie notamment.
Revoir notre Masterclass la Réclame / TikTok : Quelles règles du jeu pour les marques en 2023 ?
Quels sont les codes et avantages de l’edutainment ?
M.D. Simplifier le complexe. Rendre accessible des choses qui peuvent paraître complètement lunaire ou hors de portée avec des codes graphiques actuels : un design pop, du motion design explicatif, des images et illustrations, etc.
Décomplexifier la réalité des choses, rendre intelligible au grand public ce qui ne semble pas l’être et montrer des choses que l’on ne voit pas dans la vie de tous les jours. Notre métier est de parvenir à vulgariser au plus grand nombre ce que font les marques par exemple.
Quel intérêt pour les marques justement ?
M.D. : Aujourd’hui, des marques dépensent des millions d’euros en R&D, font des avancées de dingue pour décarboner leur processus de production, mais ne peuvent pas le raconter dans spot TV de 30 secondes. Avec l’edutainment, on peut prendre le temps, même sur TikTok – avec des formats de 5 à 10 minutes, de montrer l’envers du décor. Pour les marques, c’est l’occasion de déployer un support de communication BtoB, BtoC et même interne pour expliquer tous les efforts réalisés et la façon dont cela a été mis en œuvre.
La communication RSE est souvent teintée des mêmes choses, on voit beaucoup de bons sentiments, Explore Média met la focale sur l’ingénieur qui a permis à une entreprise de diminuer de 10 % le plastique de son packaging ou la manière de fabriquer une brosse à dent à partir de coquilles Saint Jacques. C’est le genre d’histoires que les gens aiment bien : positives, locales, mais parfois compliquées à expliquer. Nous prenons le parti de présenter la technique, les processus de fabrication, les implications et bénéfices pour les consommateurs et les marques.
Pour une campagne avec McDonald’s autour de la mise en place de sa vaisselle réemployable, nous sommes allés interroger le studio de design derrière le projet, Elium. Le designer en charge du projet nous a expliqué ce qu’il a fallu penser en termes de matériaux ou d’utilisation pour rendre cette vaisselle pratique aux consommateurs, mais aussi facile à laver et durable pour l’enseigne. C’est le genre de projet compliqué à mettre en œuvre dans une communication classique. Le contenu cartonne en organique (5,5M de vues et 175K interactions au moment de l’interview le 31 mars dernier) et c’est beau qu’une telle marque laisse un média comme Explore dévoiler les coulisses de création.
Vous avez d’autres exemples ?
M.D. : On travaille actuellement sur des sujets marque employeur pour Renault et Enedis. Et on a aussi travaillé avec l’Armée de l’Air et de l’Espace pour mettre en lumière l’ensemble de leurs métiers au sol. Et ce, afin qu’on ne pense plus uniquement à Tom Cruise ou Thomas Pesquet en pensant à l’Armée de l’Air et de l’Espace. Il n’y a pas que les pilotes, mais des dizaines de milliers de personnes qui travaillent au sol pour que les vols se passent bien : traducteurs, ingénieurs système embarqué, mécatroniciens, etc. En expliquant la chaîne de valeur derrière le vol d’un Rafale, nous avons généré 5 millions de vues, +32K de clics sur le site “Devenir aviateur” et 80K interactions.
Avec la dernière campagne de TikTok vantant les mérites de son moteur de recherche et sachant que selon une récente étude 40 % des jeunes ne font plus de recherches sur Google, mais sur TikTok : comment voyez-vous ce phénomène évoluer ?
M.D. : L’edutainment, sur la partie tutoriel notamment, a véritablement une carte à jouer sur cette fonctionnalité de moteur de recherche. Typiquement, demain en cherchant Islande, Grande-Bretagne ou Ile de la Réunion dans la recherche TikTok, on pourra tomber sur un contenu Explore Média intéressant concernant cette destination. Nos contenus vont ainsi remonter et vivre ad vitam aeternam sur la plateforme. L’un des enjeux de TikTok est de rendre son contenu pérenne, il s’agira d’analyser la façon dont on peut “manipuler” les hashtags et la description des contenus pour parvenir à remonter dans ce moteur de recherche-là.
De manière générale, ce moteur est parfait pour l’edutainement, et les contenus de marques co-créés avec les créateurs de contenu. Ce sera un spécialiste automobile qui expliquera comment réparer une roue ou Decathlon son vélo. La vidéo est au centre des requêtes aujourd’hui, même sur les pages de résultats de Google, et elle le sera nécessairement demain.
