Quel avenir pour les écoles de com ?

Par Élodie C. le 02/09/2019

Temps de lecture : 10 min

L’école, ce nouveau tiers-lieu entre agence et coworking.

Entre les soucis de rentabilité, la perte d’attractivité sur le marché de l’emploi, et les défis sociétaux et environnementaux inédits pour les marques, le secteur de la communication a de quoi se poser quelques questions sur son avenir. Ajoutez à cela que 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore, d’après une étude publiée Dell et le think tank californien L’Institut pour le futur et nous en venons forcément à la formation des futures générations.

Quels sont les enjeux des écoles de communication aujourd’hui ? Comment bien former les futurs diplômés et les préparer à une vie professionnelle pleine de mutations ? Comment répondre aux critiques adressées par les agences qui pointent un faible niveau à leur sortie ? À la tête de l’ESD Paris (Ecole Supérieure du Digital), Pierre-Edouard Schmitt, a récemment vu ses fonctions élargies à la direction de l’ESP Paris (École Supérieure de Publicité). Le truculent “PES” répond à nos questions dans cette nouvelle interview Jeunes Loups sous forme de rentrée des classes.

Quelle différence y a-t-il entre une école digitale comme celle que vous dirigez également et une école de com comme l’ESP ?

Pierre-Edouard Schmitt : Avant de trouver une différence, je dirais qu’il y a une vraie complémentarité entre les deux et des points communs assez forts. L’un d’eux est le fait de communiquer sur des marques ou des contenus, quels qu’ils soient, que ce soit dans le digital pur et dur à l’ESD, ou à l’ESP.

Le trait différenciant s’opère sur les métiers sur lesquels on forme : quand vous faites du SEO, du développement ou de l’UX, cela participe à, mais ce n’est pas de la com. À l’inverse à l’ESP, nous formons au planning stratégique ou à l’univers des médias. Sur un projet 360, nous allons être sur des complémentarités de métiers. C’est fondamental chez nous qui formons à la communication, car dans ce secteur vous serez potentiellement amenés à travailler avec des personnes dont le métier est éloigné du vôtre : tout le monde doit comprendre les technicités de chacun, son expertise pour faire appel à telle ou telle personne selon les besoins.

Il y a une volonté de construire des profils polyvalents, avec un socle assez fort et une ouverture d’esprit importante. Nous savons que les jobs sur lesquels nous formons aujourd’hui ne seront plus les mêmes dans 5 ans, notamment à l’ESD.
 

La nouvelle signature de l’ESP Paris dont vous avez pris la tête en juin dernier est « Advertising next generation », quelles ambitions porte-t-elle ?

PES : L’ESP est la plus ancienne école de publicité de France, elle a été créée en 1927. Avec cette nouvelle signature, le parti pris est de dire : on peut être le plus ancien, rester à la pointe et se remettre en question tout le temps.

L’ambition est évidemment de former la nouvelle génération des pros de la communication. Avec cette notion cross où le digital est une colonne vertébrale et non une fin en soi. L’ambition est d’apporter une vraie pratique et connaissance de la révolution technologique – qui évolue en permanence – et culturelle sur les usages du digital.
 

Comment être sûr que l’enseignement que l’on prodigue dans une école est ce qu’il y a de plus actuel en la matière, que ce soit sur les tendances, l’innovation, ou la création ? Et dans un second temps, comment bien préparer les étudiants à intégrer un secteur en mutation ?

PES : Première chose, basique, mais qui est l’un des fondamentaux de l’ESP : dès la première année, et lors de la 2e année également, les élèves sont sur un rythme alterné, avec un stage obligatoire en entreprise en fin d’année. C’est un rythme relativement dense entre l’enseignement et l’activité professionnelle. En troisième année, nous sommes sur un rythme alterné encore plus fort : 1 jour de cours par semaine et 8 semaines de temps plein à l’école, le reste du temps en en entreprise.

La relation de nos étudiants avec le monde professionnel est très importante. Dès la troisième année, nous formons des professionnels salariés. Nous sommes sur des métiers de passion. Nous proposons par exemple des cycles intensifs où l’on permet à des étudiants qui ne sont pas issus du sérail, de se former sur tous les fondamentaux de la com, du marketing et de la publicité pendant 6 mois pour leur permettre de trouver un stage qui soit significatif par la suite et ainsi poursuivre leur cursus en alternance. Nous essayons d’être un facilitateur pour ces étudiants. Ce qui fait sans doute que nous avons des étudiants très investis dans leurs missions en entreprise et dans leur scolarité.

Pour la question de l’enseignement, tous nos responsable de filières sont des professionnels en activités et nos responsables pédagogiques viennent du monde des agences, tout comme notre directrice générale Mélanie Viala qui vient d’Hopscotch. Avec des personnes du secteur et au cœur du métier, de son écosystème et de ses problématiques, on peut difficilement faire mieux pour la formation à ces métiers.

Notre comité pédagogique est également composé de professionnels du secteur. Nous les sollicitons une fois par an sur les nouveaux cursus, les débouchés, les problématiques métiers rencontrées, que ce soit en termes de compétences métier ou de RH. Aujourd’hui, vous ne gérez pas un jeune de 20 ans qui fait de la DA, du planning strat ou autre, comme vous l’auriez fait il y a dix ans de ça avec un jeune aux mêmes compétences et attributions. Notre problématique avec les comités pédagogiques est d’obtenir toutes ces remontées d’informations. Deux fois par an, nous sondons également les entreprises où se trouvent nos élèves pour un retour sur expérience.
 

Quels sont pour vous les innovations pédagogiques les plus intéressantes actuellement ? Que peuvent-elles apporter à une école comme l’ESP ?

PES : Parmi les innovations pédagogiques évidentes, nous déployons pour cette rentrée une plateforme d’échanges entre les étudiants nommée Beecome. Même s’ils n’ont pas attendu pour échanger entre eux.

Cette nouvelle plateforme, c’est aussi du relationnel, avec un réseau social interne qui leur permettra de travailler leur projet, comme sur un “Google Drive like”, mais brandé pour l’école, d’ajouter des étudiants d’autres écoles pour des projets, utiliser des ressources/supports uploadées par les professeurs, l’équipe pédagogique, etc. Nous voulons tuer les mails. Nous tâchons d’être “en mode startup” dans notre travail, en faisant preuve d’agilité.

Nous mettons par ailleurs en place des “sprints” sur des projets avec un temps très court : vous êtes briefés le matin, le soir vous faites une recommandation. Ce sont des teams d’idées qui présentent différents angles d’attaque tout au long de la journée. L’objectif est aussi de prendre du plaisir, d’intégrer du jeu et du ludique dans la formation, comme avec les serious games.

Nos innovations se trouvent également dans les synergies avec l’ESD qui est clairement le laboratoire d’innovations pédagogiques que l’ESP a créé il y a 5 ans. Toutes nos “best practices” viennent de là. Notre premier projet ESP-ESD aura lieu cette année et mobilisera de 350 à 400 personnes.

Après, il n’y a pas de révolution non plus. L’innovation c’est aussi de se dire que l’outil digital n’est pas une fin en soi, c’est un super accélérateur et une opportunité, mais la chance que l’on a encore aujourd’hui dans nos domaines, c’est de mettre des individus dans un lieu et à un moment donné avec une problématique commune et de les accompagner pour se développer. Les étudiants adorent se retrouver en mode projet, se challenger et s’entraider, cela donne de bons profils par la suite. Nous faisons pas mal de “reverse mentoring” aussi avec d’anciens élèves qui viennent expliquer leur métier. L’école à la papa, le cours sur une estrade, le “top down” n’a plus aucun sens.
 

À l’international et dans la plupart des secteurs, le coût des études est en nette hausse ces dernières années. Comment l’expliquez-vous ?

PES : Je suis un peu embêté par cette question. Il faudrait demander aux acteurs de l’enseignement à l’international. Depuis 5 ans, l’augmentation des frais de scolarité est chez nous minime. Nous sommes à des années-lumière des écoles de commerce où le panier moyen se situe entre 8 000 et 20 000 euros, alors que le nôtre est entre 7 000 et 8000 euros.

Même en tant qu’acteur privé, nous ne sommes pas obnubilés par nos finances et la rentabilité. Au contraire, notre méthode permet de pallier ces choses-là, notamment grâce à l’alternance. Ensuite, les frais d’inscription et tout le processus d’admission (examen d’entrée, étude du dossier scolaire et entretien) servent aussi à sélectionner les candidats les plus motivés, même si nous donnons leur chance à ceux qui se cherchent aussi.
 

Les agences concèdent aujourd’hui un manque d’attractivité auprès des jeunes diplômés à l’inverse des annonceurs ou startups par exemple. Ressentez-vous cela chez vos étudiants ?

PES : Un peu. Je crois que c’est un constat général, toutefois moins fort à l’ESP. L’ADN de l’ESP, c’est l’agence. L’école a été créée par des gens qui voulaient structurer le secteur et qui sentaient qu’il y avait quelque chose à faire.

Après effectivement, beaucoup de nos étudiants vont chez l’annonceur, peut-être parce que les agences recrutent moins d’alternants.

Nous avons cependant beaucoup d’étudiants avec des coeurs dans les yeux à l’idée d’être en agence. Beaucoup d’étudiants ont également envie de tester les deux univers, d’autres veulent faire leur trou dans une boîte et suivre un projet sur plusieurs années. D’autres se renouveler et être challengés tout le temps. Nous sommes dans des domaines – pub, marketing et digital – transversaux qui touchent à plusieurs secteurs d’activité. Mécaniquement aujourd’hui, les annonceurs recrutent plus pour répondre à leurs besoins : communiquer, chercher de nouveaux clients ou utiliser le digital en interne ou en externe.

Pour ma part je ne ressens pas un phénomène de dégoût. Les annonceurs ont peut-être plus de moyens et investissent plus massivement dans leur marque employeur qu’auparavant, créant peut-être de meilleures opportunités pour nos diplômés.
 

Que répondez-vous aux critiques souvent adressées aux écoles de com par ces mêmes agences qui pointent un décalage entre leurs attentes en matière de formation et les compétences réellement acquises ? Autrement dit, l’essentiel de la formation des étudiants se déroulerait durant les stages et les alternances.

PES : Ma première réponse, sans condescendance, c’est que nous ne recevons pas ces critiques-là. Que ce soit lors des sondages au cours de l’année ou des bilans de compétences de nos étudiants en entreprise. Nos profils sont souvent pointés pour leur intérêt. Nos 8 semaines de temps plein en formation réparties sur l’année sont très complètes, nous sommes sur une pédagogie “plug and play”. La culture générale est importante, nous les incitons à participer à des expositions, à sortir, se cultiver, à se rendre aux digitalks [des interventions de professionnels à l’heure du déjeuner à l’école] pour écouter ce que les gens ont à leur apprendre du métier et de son écosystème.

La force de l’ESP c’est d’avoir un pool de professeurs présents depuis des années, qui sont le socle de l’établissement et des nouveaux intervenants chaque année qui viennent apporter des points d’expertises. Le savoir technologique s’acquiert le plus facilement, notamment avec les tutos en ligne. En revanche, les soft skills s’apprennent en voyant des gens inspirants transmettre leur savoir. C’est important de dire : une école ce sont des cours, des notes, un diplôme, une structure, mais aussi savoir-être et savoir-faire. Dans nos innovations pédagogiques nous avons ainsi une unité d’enseignements spécifiques pour les soft skills.
 

Comment imaginez-vous l’école de communication de demain, que ce soit au niveau des enseignements ou des technologies utilisées, etc. ?

PES : Continuer ce sur quoi on avance actuellement : comment transformer l’ESP en une sorte de coworking agence, y compris dans l’agencement des espaces, pour créer un lieu hybride où l’on vient avec son ordinateur portable pour faire du networking, travailler sur un projet, passer un appel, etc.

Et toujours irriguer : par exemple, pourquoi la Réclame ne viendrait pas dans les locaux de l’ESP pour travailler, avec un bureau à l’année dans l’école afin d’être au milieu de la mêlée ?

Les outils digitaux seront certes importants, mais ce sont les modes de collaboration et de réflexion qui changent vraiment, tout comme les usages, quels que soient les secteurs d’activité.

Si on se met en mode agence, nous, l’encadrement pédagogique, serions les directeurs-conseil de nos établissements et nos étudiants des pro juniors. Nous sommes vraiment dans une optique projet et produit. Dans cet avenir pas si lointain, nous ne sommes pas sur des aspects hiérarchiques, mais d’efficience, en donnant le meilleur sur un temps court pour apprendre le métier. C’est aussi une vision éthique que l’on se doit de transmettre et à laquelle on croit vraiment. En tant que seniors nous sommes là pour faciliter les choses et mettre de l’huile dans les rouages, au delà de la simple transmission. Nous sommes tous dans un bateau commun !

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