Post-cookie, année zéro ?
Cette interview fait partie de notre numéro spécial cookieless.
Alors que l’industrie publicitaire se prépare à un marché sans cookies tiers, Claude Spasevski, SVP Retail Media & Data d’Equativ, revient sur l’hybridation en cours – cookies + IDs + contextuel – qui n’est pas sans challenge pour les annonceurs, agences média et adtech. « C’est aux plateformes tech de simplifier cette hybridation ». Ce spécialiste du retail média revient également sur les défis de ce secteur et émet quelques pistes prospectives d’un monde réellement cookieless.
Est-ce qu’Equativ est déjà une entreprise 100 % cookieless ?
Claude Spasevski : Equativ n’est pas encore une entreprise 100 % cookieless. Nous utilisons encore des cookies, car ils sont toujours présents dans l’écosystème. En revanche, nous avons adopté une approche hybride qui anticipe leur disparition progressive et mise sur des solutions alternatives.
Cela fait plusieurs années qu’Equativ travaille à réduire sa dépendance aux cookies. L’objectif est double : améliorer la performance publicitaire et offrir des alternatives plus précises pour le ciblage. Sur notre plateforme de curation Maestro [Equativ étant désormais bien plus qu’un SSP, ndlr], nous avons intégré entre 7 et 8 solutions d’identifiants alternatifs comme First ID, Unified ID 2.0, ID5, RampID ou encore Panorama ID
Quid du ciblage contextuel sémantique ?
C.S. : Oui, bien sûr, le ciblage contextuel et sémantique reste une composante essentielle de nos solutions. C’est quelque chose que nous avons toujours fait et que nous continuons à développer. Aujourd’hui, notre approche repose sur une hybridation entre plusieurs méthodes : le cookie, tant qu’il est encore disponible, les identifiants alternatifs et bien sûr le ciblage contextuel et sémantique. C’est clé pour naviguer dans un écosystème actuel qui est extrêmement fragmenté.
L’intérêt du ciblage contextuel est qu’il ne repose pas sur des identifiants individuels, ce qui garantit un meilleur respect de la confidentialité des utilisateurs. Et nous avons constaté, à travers différentes études et résultats de campagnes, que cette approche hybride – qui combine contextuel et identifiants alternatifs – permet d’augmenter l’efficacité des campagnes, notamment en termes de complétion vidéo et d’engagement.
L’hybridation n’apporte-t-elle pas de la complexification ?
C.S. : L’hybridation apporte une certaine complexité, notamment dans la phase de mise en place des campagnes. Avant, avec le cookie, tout était relativement simple : on récupérait l’identifiant et on ciblait directement. Aujourd’hui, on doit jongler entre plusieurs solutions, analyser leur portée, comprendre comment elles fonctionnent et les intégrer dans nos systèmes.
Cela dit, cette complexité ne doit pas être un frein pour les annonceurs. C’est à nous, plateformes technologiques, de simplifier cette hybridation. C’est nous qui devons faire le gros du travail d’intégration et d’optimisation, pour que nos clients puissent activer leurs campagnes sans se soucier des contraintes techniques.
Chaque solution alternative a ses spécificités. Certains identifiants ne fonctionnent pas sur tous les environnements : en CTV (télévision connectée), par exemple, il n’y a pas de cookie, donc on doit s’appuyer sur d’autres solutions comme le device ID ou le ciblage contextuel. L’hybridation nous oblige donc à investir massivement dans la reconnaissance des données, dans des ID graphs et dans l’interopérabilité des plateformes.
Comment fonctionnent et à quoi servent les identity graphs ?
C.S. : Les identity graphs sont des bases de données qui permettent de faire correspondre différentes sources d’identifiants pour retrouver une même audience sur plusieurs environnements. Ils servent à étendre l’audience, à mieux identifier les utilisateurs à travers différents supports et à assurer une continuité dans le ciblage, notamment lorsque les cookies ne sont plus utilisables.
Il existe plusieurs cas d’usage. Par exemple, dans le retail media, si une marque veut toucher les mêmes consommateurs sur différents écrans – en magasin, sur le web, en télévision connectée – nous avons besoin d’un identity graph pour faire le lien entre ces différents environnements et garantir une cohérence dans le ciblage. Sans cela, on se retrouve avec des silos et une perte d’efficacité.
Les identity graphs sont aussi utilisés pour le retargeting. Si un utilisateur a vu un produit sur un site e-commerce mais qu’il navigue ensuite sur un autre environnement où le cookie n’est pas actif, un identity graph peut permettre de le reconnaître sans passer par un identifiant unique traditionnel.
CTV, DOOH et retail media sont des univers naturellement pauvres en cookie tiers. Contribuent-ils à faire du cookieless une réalité déjà trangible ?
C.S. : Absolument. L’ère du cookieless est déjà bien avancée, bien plus qu’on ne l’imagine souvent. Une étude de l’IAB de l’année dernière montrait que les cookies tiers ne couvraient déjà plus que 42 % des inventaires. Cela signifie que sur une grande partie du web, et encore plus sur d’autres environnements comme la CTV (télévision connectée), le DOOH (digital out-of-home) ou le retail media, le cookie n’a jamais été la norme.
En CTV, par exemple, le cookie est complètement absent. Pour faire du ciblage, on doit s’appuyer sur d’autres solutions : les CTV ID, l’adresse IP, la géolocalisation avec des données comme le code postal, et bien sûr le ciblage contextuel ou la reconnaissance de contenu ACR (Automatic Content Recognition).
Dans ces environnements, la question est aussi de savoir jusqu’où il est pertinent d’affiner le ciblage. En CTV, l’offre publicitaire est très segmentée. Si on cherche à trop affiner les audiences, on risque de limiter la portée des campagnes. L’enjeu est donc de trouver le bon équilibre entre précision et reach.
Même chose en DOOH. Là, on ne parle pas de cookies mais de device ID et de données de localisation (latitude/longitude) pour comprendre les flux de passage et l’audience potentielle d’un écran publicitaire après mapping de sa zone de chalandise. En retail media, la donnée clé, c’est la first-party data des retailers : cartes de fidélité et données transactionnelles qui permettent un ciblage extrêmement précis.
Nous sommes donc déjà dans une ère cookieless, du moins sur une grande partie des inventaires. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est l’adoption massive des solutions alternatives et leur interopérabilité entre les différents canaux. L’enjeu n’est plus de savoir si on peut se passer des cookies, mais comment structurer un écosystème publicitaire efficace et respectueux de la privacy, sans dépendre d’un seul identifiant universel.
Le retail media est souvent perçu comme un levier puissant pour les retailers, mais encore complexe pour certains annonceurs. Comment Equativ facilite-t-il son intégration dans les stratégies média des marques ?
C.S. : Le retail media est en pleine croissance, mais il est vrai qu’il est encore complexe à appréhender pour certains annonceurs. Chez Equativ, notre approche repose sur l’interopérabilité et la simplification. Nous avons une vision open web, c’est-à-dire que notre objectif est de connecter les différents acteurs du retail media pour maximiser le reach et l’efficacité des campagnes.
Avec l’acquisition de Kamino Retail, nous avons enrichi notre offre avec une solution on-site, qui permet aux retailers de monétiser leurs inventaires natifs et d’offrir des opportunités publicitaires directement sur leurs plateformes e-commerce. Cette intégration nous permet de proposer une offre retail media complète, qui ne se limite pas à de l’on-site, mais qui permet aussi de faire de l’extension d’audience et du retargeting en dehors des plateformes des retailers.
Nous travaillons aussi avec le format REC (création e-commerce réactive), qui est une technologie issue d’Amazon, et qui permet aux annonceurs de récupérer des données comme les prix, les créas et la gestion des stocks pour optimiser les campagnes retail media en dehors d’Amazon. Cela leur permet de maximiser leurs ventes et d’améliorer la performance publicitaire de manière plus fluide.
Un des défis majeurs du retail media aujourd’hui est sa fragmentation. Les grands retailers ont chacun développé leurs propres plateformes, ce qui rend l’achat compliqué pour les annonceurs. Aujourd’hui, il n’existe pas encore de standardisation qui permettrait aux marques d’accéder à tous les inventaires retail media via une seule interface. Cette fragmentation complique aussi la gestion de la donnée, puisque chaque retailer possède son propre système.
C’est précisément sur ce point que nous essayons d’apporter des solutions. Avec notre plateforme de curation Maestro, nous facilitons l’activation des campagnes retail media sur plusieurs environnements, en unifiant les données et en permettant aux annonceurs d’avoir une gestion plus fluide de leurs activations publicitaires. Nous sommes aussi impliqués dans les groupes de travail de l’IAB dont l’IAB Tech Lab, qui visent à rendre le retail media plus interopérable et accessible.
Quelle est pour vous la prochaine innovation post-cookies ?
C.S. : Il y a plusieurs pistes qui me semblent intéressantes, et qui vont probablement redessiner le paysage publicitaire dans les prochaines années.
D’abord, on voit émerger des solutions de « zéro ciblage » sans identifiants personnels où des IP sont générées de façon statistique et qui ciblent par rapport à cela. C’est intellectuellement intéressant. Comment cibler les segments qui n’ont pas le moindre cookie ni ID ? Ces solutions tentent d’y répondre.
Ensuite, je pense que l’intégration de l’achat dans la publicité va devenir un enjeu majeur. On parle ici d’expériences publicitaires plus immersives, où l’on peut passer directement de l’exposition publicitaire à l’acte d’achat, sans friction. Ce que l’on appelle le shoppable media ou le commerce média va probablement évoluer, notamment grâce à l’IA et à la personnalisation dynamique des créations.
Chez Equativ, nous travaillons déjà sur ce sujet avec notre approche de Creative Enhancement, qui permet d’adapter dynamiquement les formats publicitaires en fonction de l’audience ciblée. Aujourd’hui, nous avons la technologie nécessaire pour ajuster en temps réel les messages et les créations en fonction des signaux reçus, et je pense que cette capacité va continuer à se renforcer.
Enfin, au-delà des solutions alternatives aux cookies, je vois une montée en puissance des approches prédictives et de l’IA générative dans le domaine du marketing digital. L’IA va jouer un rôle de plus en plus important pour optimiser les ciblages, la mesure et la personnalisation. L’interface entre l’homme et la machine va aussi évoluer : demain, il sera possible de piloter une campagne publicitaire en langage naturel, en demandant simplement à une plateforme d’optimiser les performances en fonction d’un objectif précis.