Le Creaverse de Benjamin Marchal, TBWA\Paris : « La page blanche ? Je lui déclare la guerre et l’insulte en Comic Sans MS »

Par Élodie C. le 20/11/2024

Temps de lecture : 7 min

Un multiverse de l’Au-Delà qui capte Netflix.

Bienvenue dans le Creaverse, la nouvelle rubrique qui explore l’univers créatif des esprits derrière les – meilleures – campagnes publicitaires. À chaque épisode, nous plongeons dans les sources d’inspiration, les méthodes et les idées parfois insolites qui alimentent les créatifs et créatives de ce secteur en perpétuelle évolution.

Épisode 3 avec Benjamin Marchal, executive creative director de TBWA\Paris, Shaolin de la concentration et adepte du vaudou dont la boule de cristal capte Netflix.

C’est un après-midi pluvieux de janvier, votre café est froid, et vous êtes coincé sur une présentation cruciale pour une marque de cosmétiques bio. L’inspiration vous échappe, mais la deadline approche. Qu’est-ce qui vous aide à débloquer votre créativité dans ce moment de flottement ?

Benjamin Marchal : Je me mets en mode “concentration Shaolin”. D’abord, je regarde mon café froid et je me dis : “Voilà à quoi ressemble l’échec.” Ensuite, je sors un produit de la marque bio en question et je me l’applique partout, même si c’est de l’huile pour les cuticules : immersion totale. Et si ça ne suffit pas, je mets un morceau épique de Hans Zimmer et je me déguise en avocat d’un tribunal imaginaire pour défendre mon idée. Généralement, ça marche. Sinon, il reste toujours les madeleines de Proust (ou juste des madeleines, ça nourrit le cerveau). Perso, ma madeleine à moi, c’est une crêpe au sucre. Et vous ?

Comment vos idées viennent-elles ? Rien que du spontané, du chaos, du bazar… ou avez-vous une méthode qui a fait ses preuves pour les faire naître ?

B.M. : Ah, mes idées viennent directement de l’Au-Delà. Parfois, c’est l’esprit d’un poète romantique qui souffle une inspiration. Parfois, c’est ma tante Huguette, décédé en 1984, qui m’interrompt pour dire : “Ajoute des paillettes. Toujours des paillettes.” Sinon, j’utilise ma boule de cristal qui, à ma grande surprise, capte aussi Netflix. Un épisode de The Crown, et hop, je trouve une idée brillante sur les cosmétiques à base de thé.

Comment fait-on face au manque d’inspiration et à la page blanche ?

B.M. : Je déclare la guerre à la page blanche. Je lui écris des insultes en Comic Sans MS : “TOI, TU @#! !” ou “JE SAIS QUE TU ME JUGES, FEUILLE CRUELLE !” Puis je la scotche au mur et la bombarde de boulettes de papier jusqu’à ce qu’elle se rende. Si ça ne marche pas, je lance une cérémonie vaudou avec un stylo Bic sacrifié en l’honneur des dieux du marketing. En général, ils sont indulgents et m’offrent une idée.

Creaverse parle d’inspirations, quelle est la dernière chose ou image qui vous a inspiré ?

B.M. : Une photo d’un hérisson qui mangeait un beignet. Ce n’est pas tant l’acte que l’attitude : ce hérisson avait l’air tellement sûr de lui, comme si dévorer un donut était un choix de carrière et pas une simple collation. Depuis, je me demande comment transmettre cette « énergie hérisson » dans une campagne : confiant, piquant, mais sucré à l’intérieur.

Et celle qui vous a intrigué (WTF) ?

B.M. : Une vidéo YouTube d’un mec qui tricote un pull pour un poulpe. J’étais fasciné et horrifié. Je ne savais pas si c’était une blague, de l’art ou un appel à l’aide. Mais depuis, j’ai envie de créer une campagne où tout est tricoté : les visuels, le texte, même le logo. Tout.

Musées, comptes YouTube, podcasts, fenêtre sur cour… Quelles sont vos inspirations quotidiennes ?

B.M. : Ah, facile : en étant curieux de tout, tout le temps, même de ce qui semble totalement inutile. Le monde connecté est une sorte de buffet à volonté pour l’esprit. Tout est à portée de clic… ou de balade nocturne à Paris. D’ailleurs, il y a peu, au hasard de mes flâneries de hibou insomniaque, je suis tombé sur l’amour de ma vie : une armure de samouraï dans une galerie d’art. Bon, “l’amour” est un grand mot, vu qu’elle coûte probablement le prix d’un T3 à Bordeaux. Mais elle m’a fasciné par sa beauté hypnotique et son assemblage tellement complexe que même IKEA aurait jeté l’éponge.

Évidemment, ma curiosité a pris le contrôle : qui l’a fabriquée ? Pourquoi ? Avec quelles techniques ? J’ai plongé tête la première dans l’histoire des samouraïs et, de clic en clic, je me suis retrouvé à binge-watcher Shogun sur Disney+. Puis, cerise sur le katana, j’ai (re)découvert que Dark Vador lui-même avait un petit côté samouraï ! Vous voyez, une info en amène une autre, comme un jeu de dominos version nerd. Moralité : être accro à la curiosité, c’est l’assurance de ne jamais s’ennuyer… et de toujours finir avec 666 onglets ouverts dans son navigateur…

Pouvez-vous nous envoyer une photo d’un lieu qui vous inspire ?

B.M. : Non… même si ce mot est très mal venu de nos jours, il est pourtant parfois essentiel pour préserver une idée ou son intimité. 

Nous sommes saturés de stimuli visuels et autres messages quotidiens, mais est-ce qu’une chose a réussi à s’extraire de la masse et faire vibrer votre cœur ?

B.M. : Un GIF d’un lama qui rate son saut et tombe dans une piscine. Ce GIF, c’est la vie : on tente un truc, on échoue, mais on reste mignon. Si ça, ça ne vous fait pas vibrer, je ne peux rien pour vous. Vraiment.

L’avènement de l’IA générative a bouleversé le secteur, si le soulèvement des machines n’est pas pour demain, quelle place l’IA a-t-elle dans votre quotidien et votre idéation ?

B.M. : L’IA, c’est comme un collègue bourré qui bosse hyper vite, mais qui adore les blagues très douteuses. Parfois, elle me pond des accroches dignes de Shakespeare. D’autres fois, elle me propose : “Faites confiance à cette crème : elle ne mord pas !” Alors oui, c’est un outil puissant, mais je garde une tronçonneuse à portée de main, au cas où elle déciderait d’écrire des jingles country à mon insu. No way gringo !

Quelle publicité ou stratégie auriez-vous aimé imaginer ?

B.M. : Le “Whassup” de Budweiser. Trois types qui crient au téléphone pour rien ? On dirait un de nos déjs entre créatifs. Sauf qu’eux, ils ont marqué l’histoire, et moi, j’ai juste marqué la pause-déj.

Si vous étiez un personnage de Mad Men ?

B.M. : Je serais une sorte d’outsider, The Mystic Consultant. Mon rôle serait de rentrer dans les réunions, poser une question qui remettrait tout en question comme : “Mais si votre produit était un fruit, lequel serait-il ?”, puis disparaître dans un nuage de fumée.  

Quelle question poseriez-vous à Don Draper, Peggy Olson ou John Hegarty ?

B.M. : À Don : “Est-ce que tu penses vraiment que le whisky aide à réfléchir, ou est-ce juste un alibi ?”
À Peggy : “Ton budget café, ça représente combien de pourcent de ton salaire ? »
À John Hegarty : “Est-ce que tu trouves que “Just Do It” aurait été mieux avec un chat qui dépasse un chien dans le spot ? Je précise : pas un petit chien, un lévrier bien-sûr. 

Point de croix, collection de dés à coudre, voix de baryton ou de soprano : avez-vous un talent caché ou passe-temps honteux ?

B.M. : Je suis capable de sculpter des petits animaux dans des morceaux de beurre. Oui, c’est un talent inutile, mais lors des brunchs d’agence, c’est moi qui régale. Vous n’avez jamais mangé de dinosaure, je parie ? Moi, oui. C’est bizarre, on dirait du beurre.

Quel est votre premier/dernier prompt ? Le prompt qui vous a le plus surpris ?

B.M. : Premier prompt : “Écris un poème romantique sur des chaussettes en train de se sécher.” Résultat : bouleversant.

Le plus surprenant : “Raconte une histoire d’amour entre une frite et une glace à la vanille.” Je ne m’attendais pas à pleurer, mais l’IA a touché quelque chose en moi, à moins que ce soit mon estomac… allez savoir.

Le.a réalisateur.rice avec qui vous aimeriez travailler ?

B.M. : Wes Anderson, mais je crains qu’il transforme toutes nos campagnes en symphonies de symétries avec un casting de renards. Ce serait magnifique, mais on vend quoi, au juste ?

La question que vous auriez aimée qu’on vous pose dans cette interview ?

B.M. : “Si un plat était la métaphore de votre travail créatif, ce serait quoi ?” Et là, j’aurais répondu : un french tacos. Parce que c’est un joyeux bazar français, qu’il y a toujours trop de trucs dedans, mais à la fin, bizarrement, ça marche.

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