Fin des cookies tiers : un triple échec ?

Par Iris M. le 12/03/2025

Temps de lecture : 6 min

Et à la fin, ce sont les plateformes qui gagnent.


Cette tribune fait partie de notre numéro spécial cookieless.

Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclicksur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.


C’est bien connu : le mieux est l’ennemi du bien. Et à ce titre, la séquence (inter)minable sur la fin des cookies tiers frôle l’indigestion.

Prenons un pas de recul : jamais les marques n’ont disposé d’autant de données qu’aujourd’hui et pourtant le data smog semble de plus en plus épais. Au point parfois de paralyser la prise de décision. Car depuis 2017 et les premiers coups de semonce d’Apple avec l’ITP, il est faible de dire que les annonceurs pilotent à vue leur mix marketing.

S’en est suivi depuis un enchaînement visant à la reductio ad cookium. Blocage des cookies tiers chez Mozilla et Apple ; réduction de la validité des cookies first party à 7 jours sur Safari ; option explicite nécessaire pour l’IDFA… jusqu’à que Chrome embraye et cale. Puisque pour rappel, c’est en 2020 que Google annonce son intention de s’aligner avec le marché et que 5 ans plus tard il n’y a toujours pas ni de date officielle de décommissionnement, ni d’alternative consensuelle ! Il faut dire que les tests autour de la Privacy Sandbox ou du protocole FLoC ont réussi à plutôt braquer le marché des éditeurs. 

Résultat, on se retrouve à la croisée des chemins avec un cookie de plus en plus en voie de relégation, mais qui reste à minima le plus petit commun dénominateur sur le web. Et des technologies de remplacement qui peinent à fédérer si l’on en croit les derniers chiffres d’eMarketer.

Pourtant, cette course vers la fin des cookies tiers n’est officiellement que la réponse aux récentes directives autour de la protection des données personnelles et de leur transfert telles qu’ils sont appréhendés par la RGPD, mais aussi plus récemment la CCPA ou la DMA.  Mais on sait bien que l’enfer est pavé de bonnes intentions… et on ne peut pas s’empêcher de penser que des acteurs comme Apple ou Mozilla y ont vu un intérêt économique afin de se positionner du côté des utilisateurs finaux vs un Google qui commercialise ces données.

Avec le recul, que peut-on penser de ce virage ? J’y vois un triple renoncement face aux aspirations du début. Éléments de réflexion.

1. Pour les éditeurs, le calice jusqu’à la lie

Premières victimes de la fin des cookies tiers à venir : les éditeurs, ceux-là mêmes dont le modèle économique principal repose sur la monétisation de leurs audiences en échange de la production de contenu.

Et il est faible de dire que le niveau d’alerte est maximal depuis l’annonce de Chrome de suivre Mozilla et Apple comme en témoigne le sondage ci-dessous :

(source)

Car derrière la fin des cookies tiers, c’est surtout le risque d’avoir des segments d’audiences moins personnalisés à monétiser et donc à valoriser. Dans ce cadre, une récente étude de Google ne laisse que peu de place au doute : en comparant les revenus publicitaires de 500 éditeurs, le cluster sans cookies tiers a vu ses revenus chuter de 64 % !

Tout va bien donc madame la marquise… Une autre étude de Making Science a identifié de son côté que 30 % du revenu des publishers dépendaient directement de ces mêmes cookies tiers. Peu importe in fine où se situe le barycentre, à la fin des fins, le cookieless promet d’impacter fortement à court terme les modèles économiques des éditeurs. Tant et si bien que certains misent sur des modèles alternatifs comme la valorisation des contenus premiums ou l’abonnement online à tout crin. 

2. Pour les annonceurs, un vrai casse-tête

61 % des annonceurs estiment qu’il devient de plus en plus difficile de collecter des données utilisateurs et d’y apporter du sens d’après une récente étude d’eMarketer. 

Il faut dire que depuis 10 ans, rien de leur a été épargné : collecte du consentement obligatoire avec les CMP ; migration pour la plupart de GA vers GA 4 ; déploiement nécessaire de rustines sur Google Ads et Meta pour continuer à tracker dans des environnements hostiles… Si bien que le niveau de confiance a chuté vis-à-vis de la qualité des données collectées sur les différentes régies. 

Pire, alors que l’esprit de la RGPD, mais surtout de la DMA est de mettre fin aux positions hégémoniques des grandes adtechs américaines, on assiste à la dynamique exactement inverse : plus l’obsolescence programmée du cookie tiers avance et meilleurs se portent ces écosystèmes fermés au détriment des acteurs programmatiques, plateformes d’affiliation etc. Si on avait voulu jouer contre notre camp, on ne s’y serait pas pris autrement !

Et avec en prime, une plus grande difficulté pour mesurer la performance des campagnes pour 73% des marketeurs. 

C’est à se demander même si nous ne sommes pas en train de reculer tant c’est devenu une usine à gaz chez les marques pour avoir une vision claire de son mix-marketing. On en regrettait presque la fameuse citation : « je gaspille la moitié de mon budget marketing, mais je ne sais pas laquelle »… aujourd’hui, bien malin celui qui peut avancer un ordre de grandeur.

Et ce ne sont pas les projets de modélisation statistique (MMM) ou même les dernières orientations de Chrome avec un consentement au niveau du navigateur qui vont apporter un peu de sérénité…

3. Pour les utilisateurs finaux : de Charybde en Scylla

La protection des données personnelles est le nouveau leitmotiv qui semble tout justifier désormais. Preuve en est, c’est en son nom que le législateur :

– A rendu obligatoire le consentement cookie avec des CMP qui ont fleuri un peu partout au point de rendre l’expérience de navigation assez déplaisante.

– A forcé Meta à revoir sa politique de ciblage avec des publicités moins personnalisées. Et donc encore plus pénibles à mon sens.

– A invisibilisé le tracking. Tant que le cookie était l’identifiant roi, c’était assez simple de s’en prémunir en les supprimant. À présent, comme le dit Nils Lind, le fondateur d’Assertive Yield : « Nous sommes confrontés à une situation dans laquelle nous ne sommes pas en mesure d’éliminer ou d’éradiquer les données accumulées, ce qui entrave considérablement notre capacité à prendre un nouveau départ ».

Pour un résultat final assez décevant puisque 63 % des internautes pensent que les entreprises ne sont toujours pas transparentes en matière d’utilisation des données. 

Un sujet qui d’ailleurs semble intéresser dans une moindre mesure les jeunes générations prêtes à partager une partie de leurs données en échange d’une expérience personnalisée.

(source)

4. Quelles alternatives ?

Si la fin des cookies tiers semble plutôt actée (sans date de fin encore), reste la question en suspens : quoi pour les remplacer ? Les initiatives sont nombreuses : Universal ID, matching cookies, identifiants partagés ; fingerprinting ; tracking par cohortes via la Privacy Sandox… autant d’alternatives dont aujourd’hui aucune ne tient vraiment la corde.

(source)

Pour les annonceurs, cette séquence est l’occasion en tout cas de réinvestir fortement sur leurs données propriétaires, à savoir les data 1rst party. À la fois en s’outillant, mais aussi en mettant en place des workflows d’activation.

(source)

Reste que comme souvent, la porte de sortie semble se diriger vers l’IA. C’est en tout cas la conviction de beaucoup de marketeurs et il faut le dire des plateformes publicitaires : face à la complexification des protocoles de tracking et les limitations accrues sur l’hypersegmentation, la solution pourrait venir des modèles algorithmiques embarqués directement dans Google, Meta, Amazon and co.

Façon d’admettre qu’encore une fois ce sont les grandes régies publicitaires qui devraient sortir gagnantes de cette séquence post-cookies tiers.

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