Les 5 points clés de la transformation de la direction de la communication

Par Xuoan D. le 28/05/2015

Temps de lecture : 11 min

La fonction communication est en pleine transformation. À l’ère digitale, le directeur de la communication est passé d’un rôle d’émetteur garant des messages à un facilitateur connecteur, qui permet aux parties prenantes de s’approprier des contenus. Et cela signifie un vrai changement de paradigme. Le dircom doit aujourd’hui :
– Faire le deuil de la parfaite maîtrise du discours
– Penser contenus avant canaux
– Passer du contrôle à l’animation, et du discours à la conversation
– Se préoccuper davantage de réputation et de la transformation en recommandation

Une évolution passionnante que nous vous proposons de décrypter aujourd’hui en compagnie de 4 experts.

Les dircom et experts

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Laurence Mugniery
Directrice de la communication et des affaires publiques, RTE

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Delphine Penalva
Directrice de la communication, Solocal

 

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Frédérique Raoult
Directeur du développement durable et de la communication, Suez Environnement

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Pascal Guibert
Fondateur, La Compagnie du Changement (Groupe VTscan)

1. Le digital à l’origine de la mutation

Les entreprises ont dû faire face à un triple bouleversement avec la mondialisation, la financiarisation et la digitalisation de leurs activités. Ce qui n’a pas manqué de chambouler le monde de la communication. Pascal Guibert a pu observer ces mutations depuis la création de la Compagnie du Changement en 2003 : “On ne le dira jamais assez mais le secteur de la communication est depuis près de 15 ans aux avant-postes de la révolution numérique aujourd’hui partout observée. Celle-ci étant avant tout une révolution des usages et des comportements des consommateurs, des clients ou des citoyens pris dans les vagues successives d’évolution technologique, elle a d’abord modifié les façons de communiquer puis aujourd’hui impacte jusqu’à la mission et l’organisation de la fonction communication.”

Distinguons 3 étapes :

– Les années d’expérimentation au début des années 2000 : l’après bulle internet, une période clé où les principales innovations à venir (médias sociaux, standards du web, open data, puis le mobile…) se sont mises en place. Des tendances qui ne seront reprises que plus tard par le marché de la communication. Pascal Guibert résume cette période : “internet est alors considéré comme un média supplémentaire, de pionnier mais sans réelle audience ni efficacité ; chacun fait son site vitrine, achète quelques bannières… et c’est à peu près tout.”

– Les années d’intégration stratégique : “le web, puis les médias sociaux s’intègrent de plus en plus aux stratégies de marketing / communication ; on crée des contenus, des liens, des parcours ; qu’elle soit interne ou externe la communication est de plus en plus en digitale, produit de plus en plus de données qu’on a souvent du mal à exploiter.”

– Les années de la transformation digitale, depuis 2-3 ans : les médias sociaux ne sont plus une particularité mais une fenêtre ouverte en permanence sur la réputation d’une entreprise. La data, le mobile et la disruption digitale de marchés établis contribuent à ce que les entreprises se digitalisent de fond en comble. Pour Pascal Guibert, “ces 15 ans d’innovation technologiques successives ont augmenté la communication d’un nouveau potentiel, d’une nouvelle valeur également pour les entreprises.”

En effet, il s’agit désormais pour le “dircom augmenté” de piloter un nouvel écosystème à l’ère digitale, porteur de sens et de cohérence, contributif pour l’entreprise et sa stratégie et en coordination avec toutes les principales fonction de l’entreprise.

C’est à dire pour Pascal Guibert “une évolution considérable du rôle de dircom et de ses missions : d’un rôle porté sur l’émission et la maîtrise des contenus, nous sommes passés à un rôle de facilitateur et d’animateur de liens ; d’une logique de production de discours planifiés à une logique de conversation et de partage, de communication de masse à la communication de proximité…”

Un raz de marée digital qui incite à “repenser la profession” pour Delphine Penalva, directrice de la communication de Solocal (ex Pages Jaunes Groupe), qui identifie ici trois enjeux du métier de dircom qui se sont ainsi renforcés : “aider à la décision (enjeu de conseil), accompagner le changement dans un environnement en perpétuel mouvement (enjeu pédagogique et culturel) et engager la conversation avec nos clients (enjeu d’expérience de marque, notamment avec le brand content).”

2. Une communication client-centric

Frédérique Raoult, directeur du développement durable et de la communication de Suez Environnement ne peut passer outre l’évidence : “la communication n’est plus l’apanage d’un petit nombre au sein de l’entreprise. Elle n’appartient même plus que partiellement à l’entreprise. La propriété de l’information est désormais celle des parties prenantes, internes ou externes”. Les directions de la communication habituées à être en charge des journalistes, blogueurs et communuautés professionnelles doivent rapidement s’habituer à échanger avec de nouveaux acteurs au sein “d’une toile multiforme, pas forcément ordonnée, clairement disruptive” pour Laurence Mugniery, directrice de la communication et des affaires publiques de RTE. “D’autant que l’expression sur l’entreprise continue à se faire quoiqu’il arrive, sans attendre la validation d’un communiqué !”

Au delà de la multiplication des parties prenantes, les directions de la communication doivent désormais converser avec une cible toute particulière : le client, dont “le regard sur les entreprises a pris un nouveau virage” pour Delphine Penalva. “Il dispose d’outils pour s’informer, donner son avis, mobiliser son réseau. Combattre ou encenser une marque lui est devenu très simple. Piloter l’e-reputation de notre entreprise est donc vital. Cela pose de facto la question du brand content : le message doit être pertinent et capable d’entretenir des conversations entre l’entreprise et ses client. En passant de plus en plus par les réseaux sociaux pour interagir avec nous, le client est devenu central dans notre pratique du métier de communication. Ce qui nous rapproche en ce sens des directions marketing ou commerciale.” Ce qui pose des questions organisationnelles au sein de l’entreprise entre les différents services. Une des questions du moment à la direction de la communication de Solocal est justement de savoir si celle-ci “aura demain comme mission d’accompagner la relation client à répondre directement sur les médias sociaux.”

L’importance croissante des conversations en ligne peut donc être perçue, comme une évolution positive du métier de dircom, plus que jamais en phase avec les attentes des consommateurs. Cette proximité est cependant à double tranchant, notamment pour les entreprises agissant dans la sphère publique. C’est le cas de RTE qui rencontre parfois des opposants variés (associations, groupes politiques ou citoyens) lors de l’installation d’une nouvelle ligne à haute ou moyenne tension, son cœur d’activité. En cas d’opposition forte, Laurence Mugniery prévient : “si la marque n’est pas suffisamment organisée à l’échelle nationale et régionale, elle perd toute crédibilité. Nous avons vu venir cette évolution, mais la plupart des dircom l’ont sous-dimensionnée. Ce qui pose également la question de la stratégie de transparence de l’entreprise avec ses publics.”

3. Le nouveau positionnement du dircom au sein de l’entreprise

Une transparence à installer de façon globale, puisque “le dircom n’est plus propriétaire de la com, jouant désormais un rôle que l’on pourrait qualifier d’émetteur” selon Frédérique Raoult. Son importance au sein de l’entreprise serait-elle en perte de vitesse ? Nous avons pu observer tout l’inverse chez les différentes directions de la communication interviewées :

Delphine Penalva, Solocal : “Les zones d’influence des dircom vont au-delà de leur périmètre de responsabilité initiale, même si donner du sens, créer des relations durables et maintenir la confiance reste la clé de voute de notre métier. La profession évolue en vitesse accélérée avec de plus en plus de porosité entre les fonctions. On est moins dans une approche ‘je travaille pour’ la direction marketing, les RH, le SI, etc. que dans une approche ‘je travaille avec’. Le co-working a pris une place majeure dans notre travail, impulsé par le digital. Avec notre programme « Digital 2015 » qui a donné lieu à environ 60 chantiers de transformation touchant toutes les composantes du Groupe, la communication des projets n’a pas été la chasse gardée de la direction de la com.”

Frédérique Raoult, Suez Environnement : “Aujourd’hui, le dircom est très en amont de la stratégie de l’entreprise, qu’il maitrise. Il doit avoir une vision et une compréhension à 360° des parties prenantes, pour mieux émettre des messages et en faire des ambassadeurs.”

Si bien que le directeur de la communication a de plus en plus sa place au comité exécutif ou de direction. Ce que revendique ardemment Frédérique Raoult : “Je me suis toujours battue pour que la com soit au niveau de la direction générale. Car pour faire ce métier avec les exigences d’aujourd’hui, il faut avoir une compréhension globale de l’entreprise. Puisque la dircom sert de courroie de distribution sur plein d’autres sujets que des sujets com, ce service doit clairement être identifié au sein de chaque business unit, tout comme peuvent l’être les RH ou la finance.”

Un changement récent, qui décuple ainsi le rôle de la direction de la communication. Un service “qui autrefois pouvait n’avoir comme fonction que la communication du président, en simple exécution” selon Laurence Mugniery .

Il reste cependant quelques stigmates de cette époque, où la communication paraissait secondaire. Delphine Penalva en témoigne : “Tout le monde a un avis sur la communication et considère qu’avec les réseaux sociaux chaque service peut émettre à tout moment un message au nom de l’entreprise. Or cela conduit parfois à produire du bruit et non du sens. Il nous reste un travail de fond important à mener en interne pour mettre en lumière le savoir-faire et la spécificité des métiers de la com, et à faire accepter aux autres directions le conseil et l’accompagnement par notre service de leurs collaborateurs pour être des ambassadeurs responsables du Groupe.”

Un repositionnement, qui après le rapprochement avec les RH, lorgne aujourd’hui vers la RSE pour atteindre un niveau dépassant la communication. C’est ce qu’a mis en place Suez Environnement en confiant la direction du développement durable à Frédérique Raoult en plus de la dircom. Un acte loin d’être anodin pour une entreprise dont le nom comporte le mot environnement ! “Les activités de Suez Environnement sont liées à des sujets profondément sociétaux – de part la gestion des ressources et des déchets avec différents publics et cela dans différents pays. Un lien étroit avec le développement durable nous permet en tant que communicants d’avoir une vision augmentée des parties prenantes ainsi que des sujets sociaux, sociétaux et environnementaux. » Ce qui produit un enrichissement mutuel à double sens entre les départements communication et développement durable.

4. L’importance de la dimension managériale du dircom

Pour Delphine Penalva de Solocal, toutes ces mutations ne peuvent avoir lieu sans un accompagnement managérial clé, en commençant par repenser les profils des collaborateurs : “Certains métiers sont en mutation, d’autres se créent. Ce qui est certain c’est que les activités ayant pour objectif de favoriser les modes conversationnels, relationnels ou participatifs sont promises à un bel avenir. Savoir s’entourer de nouveaux savoirs est essentiel et, surtout, savoir accepter d’être entouré de collaborateurs meilleurs que soi, quel que soit leurs âges et parcours ! Il est important d’accepter d’en savoir moins qu’eux sur certains sujets dans la mesure où les évolutions des entreprises ont engendré des besoins d’hyper-expertises qu’il ne serait pas raisonnable de vouloir toutes maîtriser. C’est un vrai changement de culture managériale. Et un challenge intellectuel très stimulant en tant que dircom. L’image du chef d’orchestre pour définir notre métier me parait juste : on s’attache à la mise en cohérence stratégique, à l’impulsion globale, à l’articulation d’un talent à un autre. Notre création de valeur vient de notre capacité à mettre en mouvement toutes les équipes vers la réalisation du projet d’entreprise.”

Un enjeu décuplé par le digital, qui s’accompagne d’une montée en compétence sur de nouveaux sujets mais aussi d’une agilité et d’une réactivité face à des cycles d’innovation toujours plus courts. Pour Laurence Mugniery de RTE : “le digital impose non seulement une remise à niveau des collaborateurs mais aussi de structurer des programmes de formations perpétuels, à plusieurs dimensions.”

Au delà de la digitalisation des compétences, le repositionnement plus stratégique du dircom a un impact RH. Frédérique Raoult de Suez environnement exige que les dircom soient au comité exécutif de chaque structure du groupe. “Cette revendication impose que le recrutement se fasse à ce niveau. Cela n’aurait plus aucun sens que les dircom soient les exécutants des directions commerciales et RH. Car cela ne positionne pas sur l’innovation et ce que seront demain l’entreprise et sa communication.”

5. Un acte de transformation au sein de l’entreprise

Laurence Mugniery de RTE nous prévient que le projet est d’envergure : “Curieusement on se rend compte que le dircom a énormément de pédagogie à faire sur son rôle. Ce n’est que par accompagnement des autres services que le dircom se forge un rôle indispensable. D’autant plus dans les entreprises où la communication ne fait pas partie de leur ADN, comme celles où l’ingénierie est au centre. Nous consacrons beaucoup d’énergie à produire des livrables pour expliquer ce que fait la dircom”.

Tant de mutations à mener ne peuvent reposer sur les seules épaules du directeur de la communication. Pour Pascal Guibert de la Compagnie du changement, “il s’agit d’un véritable projet de transformation à structurer d’un point global et stratégique, et qui nécessite d’utiliser des méthodologies pour le mener à bien”. Au programme : un accompagnement des personnes qui ont besoin de montée en compétence, une redéfinition des méthodes de travail, et potentiellement une réorganisation de la direction de la communication, et de sa position dans l’entreprise. Ce qui nécessite du temps, de l’énergie et des moyens. Mais l’enjeu est stratégique, tant la capacité des entreprises à s’adapter aux enjeux du moment est directement liée à leur survie.

Conclusion

L’époque est donc à une évolution considérable du rôle du dircom et de ses missions. Pour Pascal Guibert, “celui-ci est passé d’un rôle porté sur l’émission et la maîtrise des contenus, à un rôle de facilitateur et d’animateur de liens ; d’une logique de production de discours planifiés à une logique de conversation et de partage, de communication de masse à la communication de proximité… »

Il s’agit donc pour le dircom d’ajouter une nouvelle corde à leur arc de missions : après expert communicant et manager d’équipes et / ou de réseau, il s’agit de devenir un véritable leader de cette transformation !

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