Pourquoi les annonceurs organisent tant de compétitions

Par Xuoan D. le 08/06/2017 - Agence : VTscan

Temps de lecture : 9 min

64% des annonceurs vont organiser un appel d’offres en 2017 aux États-Unis*.

Le marché américain de la communication de par sa taille, le nombre de ses marques globales et ses moyens est précurseur de tendances de fond. Comme chaque année, Fabrice Valmier, co-dirigeant de Groupe VTscan est de retour après avoir sondé les principales agences et annonceurs américains dans le cadre de l’Adforum Summit. Le fait le plus marquant : le marché est actuellement en pleine redistribution des cartes, avec près de 2/3 des annonceurs qui vont mettre une partie de leurs budgets en compétition ! Comment expliquer une telle activité ? Qu’est-ce qui pousse un annonceur à potentiellement changer d’agence ? Réponses en 7 points !
 

Quel est le contexte du marché de la sélection aux États-Unis ?

Fabrice Valmier : Le marché est “en feu” pour deux raisons.

Premièrement, cela a commencé en 2015 avec les agences média. Il y a eu une grande interrogation des annonceurs sur la transparence de l’achat média en ligne, notamment avec le programmatique. Cela a mené le marché américain à un moment critique avec près de 40% du marché de l’achat média en compétition l’année dernière. Ce qui n’est pas anodin pour les agences. Celles-ci recrutent en fonction des projets et des comptes, et non en fonction des compétitions. Ainsi, si les effectifs des agences sont occupés à gérer les campagnes de leurs clients et 20% de temps passé sur le newbiz en plus, 40% de compétitions en cours demandent de mobiliser schématiquement 120% des ressources. Un tel niveau crée des contraintes d’absorption de la charge de travail monumentales.

Nous observons à notre niveau, chez VTscan, que le marché français de l’achat média suit. Ce qui tend très fortement le marché et nous incite à conseiller les clients à de la prudence sur leurs décisions.

Secundo, les budgets marketing et communication ont augmenté de 11,6% l’année dernière aux États-Unis. Les annonceurs veulent ainsi répondre à de nouveaux challenges, notamment liés à leur transformation, et à l’impact de la digitalisation, plus fort que jamais. Cela a un impact sur la nature et la perception de leurs partenaires. D’où une redistribution des cartes sensible dans les portefeuilles d’agences des clients.

Ce qui in fine nous mène à la situation actuelle. Près de 64% des annonceurs américains comptent consulter dans les 12 prochains mois, et potentiellement changer d’agence conseil, quelle que soit la spécialisation : pub / intégrée, activation, digital, PR… Ce pic d’activité est totalement unique dans l’histoire de notre industrie.
 

Avez-vous constaté d’autres raisons qui poussent les annonceurs à déclencher autant de compétitions ?

FV : Que ce soit aux États-Unis ou en France, vous ne serez pas surpris de lire que les marques font face à une explosion des points de contact. Cela met à rude épreuve la brand equity tout au long du parcours client. Plutôt que de faire appel à une multitude d’agences spécialistes de chaque point de contact, les annonceurs cherchent à renforcer leur plateforme de marque, la rendre plus consistante.

Un pitch sur la stratégie de communication remonte très souvent sur la plateforme de marque. Et cela s’accélère ! Depuis début 2017, VTscan a effectué 6 missions de sélection sur la brand platform, soit quasiment autant que sur 2016.

Deuxième raison : les annonceurs ne cessent de rechercher davantage de transparence. Et pas seulement au niveau des agences média. La confiance est un vrai sujet de fond.

Ensuite, la culture du ROI ne cesse de gagner du terrain, sous l’impulsion de la data mais aussi des cibles qui sont de plus en plus présentes sur des supports digitaux. Avant les millennials n’étaient que des “jeunes” que l’on identifiait rarement comme des intentionnistes pour des marchés clés comme l’automobile, la finance ou l’immobilier. La trentaine bien entamée pour certains, leur pouvoir d’achat a pris de l’ampleur. Leur média de référence étant le digital, leurs parcours laissent bien plus de datas que ceux de leurs aînés. Que d’opportunités !

Enfin, le phénomène in-house continue à se développer. 50% des annonceurs américains ont déjà internalisé une partie des missions qui étaient jusqu’alors confiées à des agences. Et 30% s’y mettent ou planifient de le faire. Ce qui représente 80% du marché au total. Les raisons ? Ce n’est pas simplement pour une question de coûts mais cela recouvre des enjeux stratégiques pour les Annonceurs : accélérer davantage la production des contenus “always-on” sur les médias sociaux, être propriétaire de leurs datas (face au GAFA), et plus globalement de ne pas “déléguer la compréhension des choses” comme le dirait Eames.
 

Près de 2/3 des Annonceurs du marché américain sont donc en phase de compétition. Mais y a-t-il tout de même quelques points de la satisfaction des annonceurs vis-à-vis des agences ?

FV : Bien entendu, et ils sont nombreux ! Les talents avant tout. Les annonceurs veulent désormais être exposés très tôt aux personnes qui s’occuperont de leur marque. Ils souhaitent avoir en face d’eux des organisations horizontales, et non une pyramide avec une équipe “account” filtrant tout.

La capacité de ces talents à faire le bon diagnostic de l’existant est très recherchée, avec une inventivité demandée à deux niveaux. D’abord dans le channel planning, avec la bonne ventilation des investissements selon les canaux. Et ensuite dans l’engagement planning : comme faire plus de conversion et plus d’engagement (notamment sur les médias sociaux).

Les annonceurs apprécient également la capacité des agences à tenir le cap de leur brand equity tout au long de leurs prises de parole, et la créativité, toujours une carte maîtresse des agences.
 

Et au niveau des points d’insatisfaction ?

FV : Selon leur expertise, les agences doivent tenir leurs promesses entre ce qu’elles savent faire et ne pas faire. Plus personne ne croit à l’agence qui saurait tout faire, les annonceurs sont désormais très matures sur ce point. Aux agences d’être transparentes, de bien délimiter leurs champs potentiels d’interventions. Et de délivrer ensuite ! Notre rôle en tant que cabinet de conseil en choix d’agence est aussi de sensibiliser et d’aider les annonceurs à fixer des limites dès la compétition, car cela crée des coûts d’avant-vente trop importants à supporter pour les agences. Ce qui crée des frustrations car les agences refusent aussi d’aller sur certains appels d’offres, dont la rentabilité ne se ferait qu’en année 3.

Le delivery, justement, est un point majeur d’insatisfaction qui en découle. “Une compétition se gagne souvent sur la création. Passée celle-ci, le client se perd trop souvent au niveau du service” : ce pourrait être un résumé de ce que nous entendons de la part des annonceurs.
Et pour conclure : la transparence sur les coûts et le modèle économique. Un des critères qui fait changer d’agence dans les 5 ans d’après une étude récemment parue aux US, c’est la transparence dans 100% des sondés, au-delà d’autres critères “métier” bien entendu.
 

Qui sont les principaux décideurs lors d’une compétition ?

FV : toujours selon la 4A’s, le déclencheur d’une sélection d’agence est à 35% le / la directeur marketing & communication. À 28%, il s’agit du ou de la PDG / CEO.

Le choix de la short-list revient à 34% au dircom / marketing, et à 20% au PDG / CEO.

Enfin, le choix final est quasi effectué à parts égales entre la direction de la communication / marketing (36%) et la direction de l’entreprise (31%).

Il est intéressant d’observer la montée de l’intervention du couple DirMktg-com / CEO en début et en fin de sélection. Pourquoi ? Car la communication permet aussi de revoir, d’accompagner ou de matérialiser la vision de l’entreprise. Avant d’être un sujet marketing, c’est un sujet d’entreprise et de modèle. Cela est d’autant plus évident pour un.e PDG qu’il est moins exposé à l’agence, et non au quotidien de la relation avec celle-ci.

Cela prouve que le lien s’est renforcé entre CEO et dircom / marketing, et que ces derniers ne perdent pas de terrain dans l’organisation. Au contraire ! Les CEO y trouvent un appui au niveau de la vision d’entreprise et de la marque, plus aisément qu’avec les directions IT ou finance. Voici plutôt une bonne nouvelle pour notre secteur.
 

Face à ce contexte, quelles sont les opportunités pour les agences ?

FV : Le sujet du productising est en train de monter. La tendance n’est que les agences conçoivent des produits à la place des marques. Mais plutôt que celles-ci deviennent de véritables interfaces. Il faut inventer des fonctionnalités qui vont enrichir l’expérience de marque, pour générer davantage de fidélisation, de viralité, de recrutement… L’ancêtre de cette approche est la puce Nike+ de R/GA. Ce qui au final ne fera que renforcer l’engagement planning.

De plus, les agences peuvent faire évoluer leur modèle de rémunération, pour s’associer encore plus au développement de services, et devenir co-éditeurs de ces nouvelles solutions. R/GA n’a d’ailleurs plus que 20% de sa rémunération associée au modèle classique d’agence.

Enfin, la capacité des agences à monter des articulations riches en création de valeur (via les partenariats ainsi que leur agilité originelle) est une source de croissance forte, car c’est une réponse structurante pour les annonceurs pour délivrer de l’innovation, et donc de faire profiter les clients des nouvelles opportunités qu’offre la communication d’aujourd’hui.
 

En tant que cabinet conseil en sélection d’agences, comment voyez-vous votre rôle évoluer ?

FV : Nos missions et interventions se sont totalement transformées. Ne rester que sur le périmètre de la sélection, du brief annonceur, avec des critères et une liste d’agences (long, medium, short…) relève du siècle dernier.

Nous nous sommes transformés en remontant sur les enjeux globaux du client, en ayant à l’esprit son organisation d’aujourd’hui et de demain. Nous avons d’ailleurs de nombreuses missions sur ce que nous appelons l’Agency Policy VT Scan, qui consiste à optimiser le management du portefeuille d’agences d’un client. Plus on travaille cela en amont, plus cela a un impact sur le profil et la pertinence des agences retenues. Mais aussi sur le périmètre idéal de chacune, ainsi que sur leur rémunération pour un deal gagnant-gagnant. Au final, nous les accompagnons sur l’ensemble de ces interrogations pour sécuriser leurs choix.

Ainsi, un annonceur peut nous solliciter pour une problématique de communication. Après immersion sur le sujet, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’un problème de branding. Ou par exemple que la meilleure réponse est de créer une agence in-house, quelle que soit sa dimension, ce qui permettra de mieux recentrer les partenaires-agences externes sur le conseil et ce qui constitue leur force et leur valeur ajoutée. Sans intervention de ce type en amont, on ne peut proposer les meilleures solutions aux marques face à l’explosion des points de contact pour les marques.

Souvent aussi, nous expliquons aux clients pourquoi il est préférable de continuer avec leur agence, en remettant à plat la relation… cela nous arrive très régulièrement, et les clients apprécient cette posture et le discours-vérité que nous apportons, ce qui renforce notre crédibilité à leurs yeux. Les agences concernées aussi :)
Enfin, pour les clients dont la demande est moins sophistiquée, moins complexe, nous nous sommes auto-ubérisés avec Scan Book, en co-production avec la Réclame. Cette plateforme permet aux annonceurs de trouver les meilleurs partenaires agences, content et tech pour leurs marques.

En opérant ainsi notre propre transformation digitale, nous nous sommes mis au niveau des annonceurs qui connaissent eux aussi de telles mutations. C’est aujourd’hui clé pour tout acteur de la communication qui souhaite bien conseiller les marques !


* Selon la 4A’s, l’association des agences conseil américaines, équivalente à l’AACC en France.

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