Où en est la digitalisation des RP ?

Par Xuoan D. le 12/02/2015 - Agence : Babel

Temps de lecture : 12 min

Avant, les annonceurs confiaient aux agences RP leurs relations publiques et médias. Mais ça, c’était avant le raz de marée numérique ! Les RP riment désormais avec Relations Publics. Au delà de leurs missions historiques, le champ d’intervention des agences n’a jamais été aussi vaste : contenus, community management, data, activation… Le tout dans un contexte de bouleversement des médias et de désintermédiation des relations avec les leaders d’opinion. Une mutation passionnante que nous vous proposons de décrypter en compagnie d’experts.

Les experts RP

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Olivier Cimelière
Directeur Associé
[tag]Wellcom[/tag]

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Julie Espalioux
Associée fondatrice, stratégies d’engagement, [tag]Babel[/tag]

albine guenot - albine & co

Albine Guenot
Fondatrice et directrice générale Albine & Co

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Caroline Langlais
Directrice Générale
Hill+Knowlton Strategies

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Eric Maillard
Managing director
Ogilvy PR Worldwide

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Caroline Saslawsky
Fondatrice et présidente
Idenium

Les Relations Publics

« Premier changement : le terme RP – Relations Publiques – devenu Relations Publics » démontre pour Albine Guenot, fondatrice d’Albine & Co, « la modernisation du métier en France, après quelques années de retard, au regard des méthodes appliquées dans les pays anglo-saxons. » Eric Maillard, managing director d’Ogilvy PR précise qu’il s’agit de la « contraction de Relations avec les publics » et que la profession doit ce progrès sémantique à l’impulsion du Syntec RP :

En quoi cette mutation est-elle due au digital ? Pour Caroline Langlais, DG de Hill+Knowlton Strategies, « le principal changement réside dans la désintermédiation de la relation avec les parties prenantes de l’entreprise. Là où il y a seulement quelques années, les médias étaient le principal vecteur de relations avec les publics, d’autres parties prenantes sont devenues à la fois des émetteurs d’information ou d’opinion à part entière. Avec le digital des acteurs, comme des associations ou des particuliers, disposent désormais du même réseau de diffusion et de la même immédiateté que des journalistes ou des institutions. Ce qui leur confère une influence, une visibilité et une force d’interpellation toujours plus importante. »

Les termes Relations Presse, Relations Médias et Relations Publiques sont donc rapidement devenus des termes trop restrictifs avec le digital, alors que la cartographie des publics et médias ne cesse de se naviguer entre individus et entreprises. Comme le résume Albine Guenot, « les stratégies de Relations Publics intègrent désormais les canaux essentiels pour sensibiliser et influencer les publics cibles : médias on et off, prescripteurs de l’univers de la marque, et consommateurs influenceurs ». 3 segmentations de publics ô combien souples, puisqu’un journaliste peut désormais produire de l’information pour un média, mais aussi à titre personnel être suivi par une audience conséquente en ligne. Sans oublier qu’il est aussi un simple consommateur qui pourrait rentrer en contact avec une marque sur les médias sociaux en cas d’expérience positive ou négative. Ce qui pousse les agences de Relations Publics à entretenir cette relation avec des missions qui ne leur incombaient pas précédemment, tels que le community management, l’activation, les contenus et leur diffusion virale ou publicitaire.

La fusion des RP digitales et classiques

Comme dans tous les secteurs concernés par la digitalisation – c’est à dire tous les secteurs économiques ! – le digital n’est plus pour Albine Guenot un support « ou un moyen traité à part mais intégré et incontournable dans toute stratégie de Relations Publics. D’autant plus dans les stratégies de marques internationales ! »

Une fusion qu’Eric Maillard décrypte : « les sphères d’influence et les moyens d’accéder à ceux qui y sont actifs se sont élargis avec les médias sociaux qui regroupent des leaders d’opinion historiques disposant d’un nouveau canal d’expression et de nouveaux influenceurs pouvant émerger très rapidement et acquérir une légitimité forte auprès d’une audience très affinitaire, jusque dans les médias. L’impact digital a donc percuté les espaces plus traditionnels à tel point qu’il est devenu impossible de dissocier RP classiques et RP digitale. »

Pourtant, l’impact des influents digitaux dans le succès d’une stratégie de viralisation est désormais contesté par des travaux de recherche tels que ceux de Duncan Watts pour Microsoft Research. Les partages en masse de contenus suivraient des parcours imprévisibles au sein desquels les influents digitaux auraient un rôle loin d’être systématique. Un doute que ne partage pas Eric Maillard, pour qui l’écosystème d’influence est bien plus large et vertueux : « Il suffit de mesurer combien la couverture médiatique nourrit les conversations sur les médias sociaux qui eux-même nourrissent les médias de sujets qui y ont émergé spontanément pour mieux comprendre le rôle majeur des journalistes et autres leaders d’opinion. Et, en tant que convaincu du digital depuis longtemps, j’aime rappeler systématiquement que le seul espace qui réunit encore jusqu’à 9 millions de personnes au même moment tous les soirs est le 20h de TF1. Le rôle de caisse de résonance des influenceurs ne tend absolument pas à s’effacer, il passe seulement par des voies démultipliées. »

Il existe néanmoins 2 nuances à apporter dans la relation fusionnelle entre RP digitales et classiques.

– La communication de crise : une crise offline aura forcément un impact online. La réciproque n’est pas automatique, comme le précise Eric Maillard, avec des « crises visibles exclusivement sur le web, comme il en existe désormais très souvent ». Nous pensons spontanément à des cas de « bad buzz » ne débordant pas des médias sociaux, par nature éphémères. Les RP ayant alors un rôle clé dans l’accompagnement des marques, en les aidant à communiquer au mieux afin que ces infos destructrices ne se propagent pas.

– Un décalage de perception des médias chez les annonceurs : pour Caroline Saslawsky, fondatrice d’Idenium, « les réseaux sociaux jouent un rôle important aujourd’hui pour les entreprises mais à vrai dire, nous constatons une dichotomie entre la démultiplication des médias online et la volonté de nos clients d’être encore dans les médias dits classiques. » Gageons que ce ne soit qu’une question de temps, tant les audiences des médias digitaux (web ou apps) se renforcent mois après mois.

Le digital, un atout dans la relation média

Identifier les média clés pour une entreprise n’a jamais été aussi simple d’accès pour Caroline Saslawsky. Gare cependant à l’éclatement du nombre de cibles mise en exergue par Olivier Cimelière, directeur associé de l’agence Wellcom : « de nouveaux intervenants sont apparus souvent dénommés sous le terme influenceurs. Leur profil est nettement plus hétérogène. On trouve des experts, des universitaires, des professionnels d’un secteur, des militants, de simples individus qui bloguent, etc. Or, les RP doivent être en capacité d’appréhender ces canaux supplémentaires, de connaître les auteurs comme ils le font avec la presse. » Afin de s’y retrouver, Julie Espalioux, associée fondatrice en charge des stratégies d’engagement de [tag]Babel[/tag], préconise « de cartographier les grands carrefours d’audience et d’influence. Celui des digital mums comme celui des experts du Grand Paris. La connaissance de ces cibles est facilitée mais plus encore c’est la capacité à les connecter facilement que permettent particulièrement les réseaux sociaux.

Si l’identification des cibles peut ainsi s’avérer être un travail d’orfèvre, le digital permet ensuite selon Caroline Saslawsky de développer « des relations encore plus directes avec les journalistes et influenceurs. Échanger sur Facebook ou Twitter avec un leader d’opinion est une pratique désormais courante. » Grâce à ces nouveaux modes d’interaction, Olivier Cimelière « y voit quelque part une ringardisation du communiqué de presse. Le digital oblige à repenser les CP sous un format enrichi avec des liens pertinents vers des contenus textuels, vidéos, audio, graphiques… et non plus les 5 à 6 paragraphes indigestes avec la citation qui ne veut rien dire et le bla-bla que les journalistes n’ont plus le temps de lire. »

Autre changement en faveur des entreprises dans la relation média : la désintermédiation. Pour Julie Espalioux, « le digital et notamment les réseaux sociaux ont ouvert une relation plus directe avec les entreprises et les institutions. Cela implique un changement des rapports de force. Les médias n’ont plus le monopole de l’information. Et donc de l’influence. »

Les médias ne s’avèrent pourtant pas perdants puisque pour Julie Espalioux, « le permet aux médias d’avoir une présence à la fois collective par le biais de leur support mais aussi individuelle par le biais des comptes sociaux créés par chacun des journalistes. D’un seul relais d’influence à plusieurs, ils démultiplient potentiellement leur capacité d’influence et d’audience. »

La désintermédiation avec le public

Les entreprises peuvent désormais devenir leurs propres médias. Olivier Cimélière évoque « Coca-Cola, Red Bull, Marriott qui ont par exemple créé des newsrooms qui s’adressent directement et sans intermédiaire à leurs publics. » Les médias sociaux, journalistes et influenceurs demeurant alors « des amplificateurs importants dans la diffusion des contenus ». Importants mais optionnels. Et positionnés en aval et non plus en amont.

Pour le directeur associé de l’agence [tag]Wellcom[/tag], le digital produit également sa propre désintermédiation de ses supports avec « le fameux Dark Social qui court-circuite les relais médiatiques. On estime aujourd’hui qu’il pèse environ 69% des partages opérés entre internautes sans passer par des plateformes sociales ou des sites d’information. » C’est à dire un juste retour du bouche à oreille et des communications privées entre individus : e-mail, messages instantanées…

Cet accès inédit aux Publics ne fait cependant qu’intensifier la « guerre de l’attention » qui pour Olivier Cimelière est « un enjeu encore trop sous-évalué aujourd’hui et pourtant diablement critique. L’internaute est constamment connecté, sans cesse soumis à des stimuli digitaux et inondé de contenus. À l’heure actuelle, tout le monde ou presque s’est mis à communiquer sur le Web social mais sans réellement se préoccuper de bien connaître son public, ses attentes, ses priorités, ses modes d’interaction. » Pour Julie Espalioux, « la concurrence dans l’information est telle que, de toute façon, seuls les contenus les plus pertinents et les plus affinitaires émergent. Et s’ils sont autoportants et se disséminent d’eux-mêmes par les réseaux sociaux, c’est qu’alors l’agence RP a bien œuvré. L’information est devenue sujet de conversation. »

La data

Au sujet du big data, Caroline Saslawsky nous rappelle les fondamentaux. « N’oublions jamais que nous pratiquons un métier de communication entre êtres humains. Je suis assez d’accord avec celui ou celle qui a dit que le Big Data, c’était un peu comme l’amour chez les pré-adolescents : tous en parlent mais rares sont ceux qui le pratiquent réellement ! Encore une fois, privilégions la vraie vie ! »

Le Chief Data Officer du groupe Ogilvy et son équipe ont permis à Ogilvy PR d’optimiser « pertinence et l’efficacité de la veille » d’Ogilvy PR selon Eric Maillard. Cependant « la formalisation des données associées à chaque influenceur n’est pas une option autorisée par la CNIL et soulève des questions déontologiques majeures. Les insights récoltés le sont donc plus de façon informelle que réellement structurée. » Des influents que tente cependant d’identifier un outil comme Agilience grâce à la « social intelligence » (écoute social media + algorithmes + conseil).

Pour Caroline Langlais, « le big data doit être pour les RP l’opportunité de construire des campagnes plus impactantes, plus ciblées et de professionnaliser davantage la mesure de la performance ». Insights, ciblage et reporting semblent donc être les usages évidents de la data pour les agences RP. Olivier Cimelière y voit un gain de temps grâce « aux bases de données enrichies et aux outils de curation de contenus. Ce sont des moyens théoriquement plus performants pour suivre au plus près l’activité des médias ciblés et mieux qualifier. À condition de soi-même pratiquer le digital, d’en comprendre les codes.. »

Au delà de la mesure et des bilans de réputation auxquels les agences RP sont désormais bien familiarisées via des outils interne ou externes (Synthesio, Linkfluence, Mention…) les datas peuvent aussi être une source de contenus à offrir aux médias. Au delà des études propriétaires, la mise à disposition de données internes à l’entreprises ou d’open data peuvent être autant de sujets riches pour les médias, de plus en plus aguerris au traitement des données.

Les contenus

Pour Eric Maillard, « L’une des principales révolution a déjà eu lieu pour notre métier : les contenus que nous produisions avant étaient conçus de façon à ce que des influenceurs se les approprient pour les porter à leur tour auprès de leurs audiences. Aujourd’hui, nous produisons des contenus (datavisualisation, infographie, vidéos, images, sons, scènes au sein d’événements pour livetweets…) de façon à ce qu’ils soient relayés directement auprès des cibles finales. Ceci a changé drastiquement notre façon de penser ces contenus, les experts internes qui en ont la charge sont souvent eux-même des journalistes. La transformation dans le domaine va continuer à s’accélérer pour faciliter la coproduction avec les influenceurs pour les cibles finales et trouver des voies d’accès réellement pertinentes par le mobile. » Caroline Saslawsky conclut malicieusement : « Gutenberg n’est pas mort mais nous devons sincèrement nous préparer à communiquer en plusieurs dimensions. »

Des contenus diffusés en plusieurs dimensions donc, que ce soit sur les médias sociaux, sur les supports on et off des entreprises, via les influenceurs, ou sur de nouvelles plateformes comme Wiztopic qui propose une Press Room clé en main pour mieux organiser et diffuser les contenus à vocation RP, tout en mesurant les performances.

Les RH

Appréhender les nouveaux rapports avec les médias et influents, produire des contenus plus variés et multi-devices chaque jour, tout en prenant en compte la data : autant de challenges qui nécessitent pour Caroline Langlais « que les agences de relations publics complètent leur offre et leur expertise et soient amenées à recruter de nouvelles compétences et de nouveaux profils. »

Pour Julie Espalioux, la digitalisation des RP nécessite au delà du recrutement d’expertises spécifiques, un « changement d’abord culturel, puis organisationnel, puis seulement il impacte les process. »

« Culturel car il s’agit de comprendre les nouveaux rapports de force, les changements dans les circulations de l’information, les nouvelles exigences imposées aux médias pour continuer d’exister. Bref, une autre forme de système média est en train de se mettre en place. »

« Organisationnel car une seule attachée de presse ne peut plus suffire. Il faut des consultants aguerris aux contenus, des creative technologists, des médiaplanners, des rédacteurs en chefs spécialistes des médias sociaux … Chez Babel, chaque compte client est géré par un binôme RP/Social média. Nous faisons travailler les planeurs stratégiques sur des récits de marque, des consultants éditoriaux sur des mapping de sujets, des créatifs pour travailler sur des dispositifs d’activation pour les marques, des analystes datas pour valider les performances de nos campagnes. »

« Enfin, les process jouent un rôle clé pour opérer une bonne transformation du métier. Nous appliquons une méthode de réflexion sur nos stratégies RP proche des stratégies publicitaires : cible / insight / stratégie / contenus + création / système de connexion / performances attendues. Cela change beaucoup nos recommandations. »

Limites et perspectives

Mieux connaitre les journalistes sur les médias sociaux s’avère un plus pour Caroline Langlais « mais ce n’est pas cela qui fait la différence : la relation engagée directement avec eux, la qualité et la pertinence du contenu qui leur est adressé constituent toujours l’élément déterminant. » Caroline Saslawsky prolonge : « Le vrai pouvoir d’ influence s’opère toujours via les cercles, les réseaux, les publics influents… Bref, la vraie vie a toujours sa place, et heureusement ! Plus le virtuel se développe et plus le réel retrouve son intérêt. C’est un phénomène finalement assez classique. Toute poussée dans un sens génère une poussée dans l’autre. »

De plus, comme le rappelle Albine Guenot, le digital ne résout pas le problème de « l’influence qui est difficilement quantifiable, mais incontournable pour créer une résonance optimale. D’où l’importance de l’évolution des études quali / quanti ! »

Caroline Saslawsky suggère également une évolution des outils de mesure, au delà du nombre de parutions presse ou citations sur les médias sociaux : « chez Idenium, nous estimons avoir bien fait notre travail quand nos actions impactent directement le business réel de nos clients ! » Et si le digital pouvait apporter davantage de transparence dans la relation agence – annonceur, avec une meilleure prise en compte de l’apport business de chaque partie ?

Autant de témoignages qui prouvent que la digitalisation des RP ne passe pas par une approche solutionniste. Le digital permet cependant aux RP de renforcer leur expertise parmi le foisonnement de cibles et de nouveaux territoires d’expression. Soit une opportunité pour Julie Espalioux « de renforcer la contribution stratégique que les agences RP ont auprès des entreprises et institutions, en les aidant à mieux comprendre ce grand chambardement médiatique et à y prendre des positions légitimes et crédibles pour être bien écoutée et au bon moment. »

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