Comment Smart Phil a digitalisé la file d’attente en plein confinement

Par Élodie C. le 28/05/2020

Temps de lecture : 10 min

Les nouveaux commerçants.

À la mi mars, alors que la France se trouve placée en confinement, les commerces de première nécessité doivent s’adapter en quelques jours pour recevoir les clients confinés dans le respect des mesures de distanciation sociale préconisées. C’est dans ce contexte que Vanksen imagine une solution pour digitaliser les files d’attente afin de permettre aux clients de patienter en toute sécurité. Développée en quelques jours seulement et proposée gratuitement, Smart Phil n’a bénéficié d’aucune campagne promotionnelle autre que les retombées presses de son lancement. Elle compte aujourd’hui des centaines d’utilisateurs, clients et commerçants, répartis entre la France, la Belgique, le Luxembourg ou la Suisse. Retour sur ce lancement réussi avec Jérémy Coxet, directeur général de l’agence digitale Vanksen, dans ce nouveau bilan de campagne. 

Le contexte

Au soir du lundi 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel Macron annonce le confinement de la population, déclarant le pays en « guerre » sanitaire contre l’épidémie de Covid-19, aussi connue sous le nom de coronavirus. Les déplacements des Français doivent désormais être réduits au strict nécessaire, dans l’application des mesures de distanciation sociale et des gestes barrières préconisées. Avec cette nouvelle problématique pour les commerces autorisés à ouvrir, de gérer la venue des clients, entre attente et respect des règles sanitaires.

« La genèse du projet s’est faite dans la file d’attente d’un supermarché, se rappelle Jérémy Coxet, directeur général de Vanksen. Nous étions alors en plein milieu du confinement et je me suis retrouvé dans une file assez anxiogène, où les gens ne savaient pas vraiment prendre leur distance les uns par rapport aux autres. Nous nous trouvions pourtant en extérieur, dans un énorme parking avec des dizaines de voitures garées, mais évidemment sans personne à l’intérieur. » L’idée a donc germé : ne peut-on pas virtualiser la file d’attente, plutôt que de patienter physiquement, dans une file où les distances sont d’un mètre minimum, où l’on peut être sujet aux intempéries, etc., alors que l’on pourrait attendre tranquillement son tour dans sa voiture ? Beaucoup de commerces disposent d’espaces de parking et doivent organiser des accès en respectant les différentes mesures de sécurité. Un service de gestion des files d’attente serait donc intéressant aussi bien pour les commerçants que le client. Son expérience s’en verrait changer s’il pouvait patienter dans un univers sécurisant et confiné : sa voiture. Smart Phil est née.

Le développement du projet n’est donc pas le résultat du brief d’une marque, précise encore Jérémy Coxet. « La France était en période de confinement, avec la difficulté pour de nombreux magasins, surtout alimentaires, de gérer les flux, entrées et sorties, et le nombre de personnes en magasin. Nous étions et sommes encore dans un contexte où tout à chacun, en se confinant, joue le jeu de la solidarité et fait société pour préserver les autres, se souvient-il. Et d’un autre côté, des entreprises, dans des démarches personnelles, produisent des masques ou du gel hydroalcoolique. Chez Vanksen, nous souhaitions, à notre niveau, participer à cet effort collectif. En tant qu’agence digitale, nous avons donc développé un service numérique de manière totalement pro active. La traction (la capacité d’une entreprise à intéresser au-delà d’un certain cercle, NDLR) est venue du marché, et non d’une marque en particulier. » 

La solution

Comment fonctionne Smart Phil ? Lorsque le client arrive en magasin, il lui suffit de scanner le QR code placé à l’entrée par le commerçant ou renseigner l’URL inscrite sous le QR code pour être automatiquement intégré à une file d’attente virtuelle : le client a un numéro, peut visionner sa position dans la file et son état d’avancement. Une fois son tour venu, une notification lui est envoyée pour qu’il se présente à l’entrée du magasin. « Nous avons digitalisé le ticket du boucher », résume le directeur général chez Vanksen.

« C’est une application totalement gratuite, mise à la disposition de tout le monde. Ce n’est pas un business model. Son but est d’apporter sa pierre à l’édifice dans un contexte de crise sanitaire auquel de nombreuses personnes font face et qui voit chacun contribuer à son niveau. »

Dans un premier temps, il était donc nécessaire d’impliquer les personnes en charge de la gestion de l’accès aux magasins — commerces et agents de sécurité — et de les sensibiliser à la solution alors qu’elles n’ont pas forcément toutes des profils digitaux.

« Certaines grandes enseignes veulent des fonctionnalités spécifiques propres à leur enseigne, explique également Jérémy Coxet : travailler avec des marques blanches, pousser des messages personnalisés, etc., alors que le produit est universel dans son usage : il a été pensé sur un modèle de gratuité et non sur tous ces customs que les marques/enseignes demandent. »

Comme le pointe Vanksen, Smart Phil a été développé dans le cadre du confinement, le minimum viable product (MVP) devait donc impérativement sortir le plus rapidement possible. « Entre son développement et sa mise en ligne, il s’est passé 5 à 6 jours (pas en jours-hommes), précise Jérémy Coxet de Vanksen. Nous avons mobilisé les équipes en mode agile, tout en échangeant avec les utilisateurs/clients et les gestionnaires des files d’attente pour développer l’application et répondre à leurs besoins du moment. »

Surprise, l’agence s’est rendu compte que le produit, réfléchi et pensé pour être utile à court terme (la période du confinement), est encore plus d’actualité et important post déconfinement. Dorénavant, ce ne sont plus seulement les supermarchés et autres commerces alimentaires qui font face à un enjeu de gestion des accès, mais tous les lieux publics et commerciaux. « Nous souhaitions sortir le MVP le plus rapidement possible pour répondre à un contexte donné, mais c’est à peine maintenant qu’il commence à avoir le plus d’intérêt pour tout à chacun », concède Jérémy Coxet.
 
« Nous avons observé un vrai besoin des consommateurs, une demande du marché, une vraie traction, et des besoins changeants. Nous avons donc fait évoluer l’application toutes les semaines, de manière transparente, en offrant de nouvelles fonctionnalités, rapporte le DG de l’agence digitale. La première version digitalisait simplement la file d’attente. Aujourd’hui, nous continuons à la faire évoluer avec des demandes spécifiques, comme un système partagé pour les commerces bénéficiant de plusieurs entrées. »

Le lancement

Le service étant totalement gratuit du fait de sa vocation sociétale, les investissements média se sont faits à minima, essentiellement au travers de la presse (RP) a son lancement. « Cette couverture nous a fait bénéficier par ricochet d’une certaine visibilité sur les réseaux sociaux », souligne Jérémy Coxet. Vanksen a donc réalisé du on media, du owned media avec l’ensemble de ses clients, « mais pas du tout de paid pour lui assurer une visibilité additionnelle. C’est un produit gratuit, nous y avons déjà investi notre expertise, notre temps et nos ressources. Son succès pourrait certainement être plus important aujourd’hui si le service avait plus de visibilité, mais nous avons préféré pousser sur les réseaux sociaux de par notre activité, puis via certaines de nos relations (influence) qui ont partagé l’information contribuant ainsi au bouche-à-oreille, notamment auprès des gens travaillant dans le retail. ».

Quel avenir pour Smart Phil ? Si la solution a été pensée pour un besoin précis, Vanksen se repose sur une road map de développement, « évidemment soumise aux demandes externes », mais qui offre notamment la possibilité de passer des messages personnalisés aux clients attendant dans leur voiture. « Un bon outil de wait marketing, présage-t-on chez Vanksen : l’attente peut être un moment propice pour faire passer certains messages. Ne fut-ce que les consignes de sécurité », estime ainsi Jérémy Coxet

Pour des questions de contingence du public, Smart Phil pourra également déterminer le nombre de personnes correspondant à un ticket dans la file (nous sommes passés d’une personne acceptée par famille à plusieurs aujourd’hui). Les magasins auront notamment la possibilité d’obtenir des statistiques de fréquentation (à quel moment y a-t-il le plus de monde dans la file et donc de files plus longues, etc.), « avec pourquoi pas, la possibilité de proposer aux clients des créneaux plus opportuns pour se présenter en magasin. »

Les résultats

– Entre 250 et 300 commerces utilisateurs réguliers et organiques
Que ce soit au Luxembourg, en Belgique, en France ou en Suisse, cette solution est majoritairement utilisée par des pays francophones aujourd’hui puisque Smart Phil a été lancée en français. Une version en anglais est toutefois disponible depuis une semaine, nous précise le directeur général de l’agence digitale. 

– Des typologies d’utilisateurs variés 
Les enseignes de supermarchés belges Delhaize et Colruyt, Cora au Luxembourg, Auchan en France. Des particuliers l’utilisent également chez Brico, Exki, Superdry ou Western Union.

« L’application est en self service, les clients/commerçant peuvent l’utiliser au quotidien, sans passer par nous, explique le DG. Le principal bémol, c’est qu’avec le temps investi pour sortir l’application, nous ne pouvons pas investir des dépenses externes additionnelles dans un contexte tendu pour toutes les entreprises. »

« Avec le confinement, la transformation digitale n’a jamais été aussi rapide. En outre, nous parvenons à fournir un service digitalisé dans un monde totalement physique », se félicite Jérémy Coxet.

Les clés de succès

— Le besoin
Vous avez sans doute en mémoire cette entreprise ou startup qui a eu raison trop tôt. Un lancement aussi bien pensé soit-il n’est rien si le service/produit vendu arrive au sein d’un marché qui n’est pas prêt, qu’il ne répond pas à un besoin et n’apporte que peu de valeur ajoutée. Oui, certains besoins sont créés de toute pièce, c’est toute la « magie » de la publicité, mais passons.

Ici, Smart Phil arrive à point nommé, dans un contexte où les mesures de distanciations sociales et les gestes barrières posent des problématiques d’accès aux commerces à tous les confinés désireux d’effectuer leurs achats de première nécessité. Et aux commerçants désireux de les accueillir en toute sécurité.

— L’agilité 
Smart Phil est constamment améliorée à partir des retours des utilisateurs et commerçants. Comme le concède Jérémy Coxet, « travailler en mode agile a été plus que bénéfique, car nous avons pu répondre à une demande très rapidement. En 5-6 jours, c’est plutôt une prouesse et je dis ça en toute humilité. Nous avons pu faire évoluer l’application dans la bonne direction en priorisant les fonctionnalités les plus utiles grâce aux feedback des utilisateurs. »

Le DG de l’agence Vanksen explique discuter avec d’autres acteurs positionnés sur les mêmes sujets, mais dont le produit est toujours en cours de développement un mois ou deux après les premières discussions. « L’application a été présentée au bon moment et évolue avec agilité en fonction de l’actualité. »

— Sa simplicité
Le service est très simple d’utilisation, c’était une priorité de l’agence pour conserver une expérience utilisateur et commerçant la plus fluide possible. Ainsi, l’utilisation de Smart Phil ne nécessite pas de téléchargement et aucune inscription pour les consommateurs, elle est donc dénuée de friction, ou toutes autres contraintes qui freineraient son utilisation. Tout se fait dans le navigateur web du téléphone de l’utilisateur, quel que soit son modèle. Il suffit simplement d’une connexion internet.

Autre point crucial à l’heure du RPGD, des cookies tiers et de la protection des données : Smart Phil ne collecte pas les données personnelles des clients. « Nous sommes sensibles à la protection de la vie privée, explique le DG de l’agence digitale Vanksen : l’objectif n’est pas de capter de la donnée. On dit souvent pour internet ou un service ‘si c’est gratuit, vous êtes le produit’ et vous vous retrouvez donc à payer avec vos informations personnelles. Ici, le service est réellement gratuit. C’est vraiment universel en termes d’usages. »

Jérémy Coxet ne manque pas de rappeler que les statistiques clients fournies sur le taux de fréquentation sont quantitatives, et non qualitatives. « Le commerçant peut ainsi savoir que le samedi de 10h à 11h x personnes ont attendu 5 minutes en moyenne avant d’accéder au magasin et x personnes se trouvaient à l’intérieur. Mais pas que François Dupont, 30 ans, 3 enfants et vivant telle région est venue dans le commerce. Les données sont totalement anonymes, souligne-t-il encore. L’objectif de Smart Phil est de mettre à contribution notre expertise : nous ne sommes pas les meilleurs pour la couture ou pour mélanger des gels hydroalcooliques, mais le digital est notre domaine. Nous voulions contribuer à notre manière à l’effort collectif dans cette période de confinement ».

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