« L’État est en compétition avec toutes les autres grandes marques »

Par Élodie C. le 02/07/2023

Temps de lecture : 9 min

Action, transformation, modernisation et création.

En 2020, à la “faveur” d’une crise pandémique mondiale, l’État se déployait sur les ondes avec des blockbusters publicitaires que ne renieraient pas nos annonceurs français. Si bien que nous nous demandions alors si l’État s’exprimait désormais comme une marque publicitaire

La communication publique se transforme à mesure que le paysage médiatique se digitalise. Une modernisation à l’œuvre aussi indispensable qu’inévitable pour s’assurer de toucher tous les publics/citoyens. D’une communication assez classique, pédagogique, voire très injonctive, comme le concédait alors Michael Nathan, directeur du service d’information du gouvernement (SIG), l’État fait place à une prise de parole plus “créative” et ambitionne aujourd’hui de mobiliser cette création française au sein d’un collectif d’agences. Une initiative inédite pour un tel acteur public et à coup sûr un vent de changement au sein de la communication du gouvernement.

Défis, territoire de marque, transformation et création, Michael Nathan nous détaille le futur de la communication institutionnelle gouvernementale.

Quels sont vos défis en matière de communication publique ? 

M.N. : Nous sommes dans un environnement de plus en plus dense, avec de nombreux messages diffusés et acteurs prenant la parole, de la désinformation, et donc un espace entre l’émetteur et le récepteur qui est de plus en plus compact. Pour une communication institutionnelle jusque-là considérée comme le parent pauvre de la communication, la moins impactante et créative, c’est un challenge important.

En 2018 (à sa prise de fonction, NDLR), l’enjeu était de réinventer la communication publique et de la transformer. Cependant, nous avons vite été rattrapés par une communication de crise, en particulier la méta crise Covid. Ces crises ont finalement permis de valider des intuitions : une communication institutionnelle organisée, structurée, harmonisée est une communication intrinsèquement puissante et transformative, car elle perfore cet espace de plus en plus dense.

La communication institutionnelle a des leviers que la communication grand public n’a pas, comme des vecteurs de réassurance. Comme nous avons pu le voir lors de la crise Covid. Évidemment, dans certains cas, comme la réforme des retraites, cela peut être compliqué. C’est un autre enjeu, lorsque le politique (sur lequel nous n’intervenons pas) s’exprime sur un sujet qui génère une crispation, cela espace d’autant plus le message de son destinataire. Notre sujet, c’est la résonance. On ne pourra pas résoudre la partie tensions ponctuelles, mais d’un point de vue calendaire et stratégique, si l’on parvient à s’aligner (com politique et institutionnelle), comme avec la sobriété énergétique, la parole/message passe et est suivi d’effet. En tant que marque, nous avons tous les mêmes problématiques : toucher notre audience.

Comment ?

M.N. : Nous devons poursuivre cette transformation pour répondre aux attentes de nos audiences. Être centrés sur le citoyen et ses besoins. Cette marque institutionnelle a des valeurs que d’autres marques n’ont pas, nous avons la capacité de donner du sens à l’action de l’État, de la rendre perceptible. Nous devons le faire avec des codes modernes sur tous les canaux et à un niveau de transparence et de granularité propre à chaque individu (perception et réattribution). Nous avons ainsi lancé une initiative avec la Direction interministérielle de la Transformation Publique (DITP), le baromètre de l’action publique, accessible sur tous les sites du gouvernement où chaque citoyen peut observer les mesures mises en œuvre dans son département (nombre de kilomètres de pistes cyclables par exemple).

Votre communication n’est-elle pas phagocytée par l’éléphant au milieu de la pièce (la réforme hier, aujourd’hui les émeutes), tout autre sujet risque d’être rendu inaudible ? Faut-il moins communiquer pour éviter les amalgames avec la prise de parole gouvernementale/présidentielle ?

M.N. : Au contraire, nous avons beaucoup communiqué au moment des retraites (l’interview a été réalisée peu après l’adoption de la loi, NDLR). Dans les stratégies de communication que nous développons, nous tentons de définir si nous devons faire de la sur pondération ou trouver d’autres moyens de toucher l’audience. Ce n’est pas un “ou” mais un “et”, on trouve des leviers additionnels et complémentaires avec la prise de parole politique et institutionnelle classique (sur nos canaux organiques). 

Évidemment, dans un environnement très éruptif, global et médiatique, cela est moins perçu. Le sujet est de trouver d’autres relais, parler avec d’autres acteurs. Sur la partie sobriété, nous avons développé près de 70 partenariats — gratuits — avec des acteurs tiers qui deviennent des intermédiaires portant notre message. C’est un enseignement qui vient de la crise Covid : nous diffusions les gestes barrières, mais nous cherchions à étendre notre reach, nous avons alors proposé à des acteurs/partenaires de diffuser ces messages avec nous. Les acteurs de la grande distribution l’ont repris, tout comme les buralistes, etc., et ce, avec la même identité.

Pour notre campagne en partenariat avec Trainline l’enjeu était de générer de l’intérêt pour cette notion de sobriété, la rendre plus “cool”. Nous l’avons également fait avec Back Market et d’autres acteurs plus loin de nous. La montée en puissance de ce levier est aussi un élément de transformation de la communication institutionnelle, le faire à plusieurs plutôt que seul.

Le SIG a également la responsabilité difficile de mener la campagne d’incitation au vote, un message très difficile à faire passer. Nous devons lui ajouter des dimensions, servicielles notamment, ainsi que des activations in situ comme sur le festival We Love Green l’année dernière, en partenariat avec l’ONG A voté.

L’État a-t-il un territoire de marque ?

M.N. : L’État a renforcé un territoire de marque existant : une marque avec une charte graphique qui datait de 1999. Ce territoire a été conçu à un moment où les réseaux sociaux n’existaient pas et le numérique n’avait pas la puissance d’aujourd’hui. Un territoire de marque est un ADN, et une matérialisation contextualisée à des cas d’usage. Ces derniers ont explosé avec la démultiplication des supports, et certains se sont inventés leurs propres règles. En 2019, au moment de réfléchir à ces sujets, on faisait face à une pluralité d’expression en termes de branding de la part des acteurs de l’État. Les difficultés de réattribution rencontrées trouvaient leur cause : nous ne suivions pas les fondamentaux : une marque unique — chapeau — avec les mêmes éléments.

Nous avons conçu ce territoire de marque avec une déclinaison, une charte graphique et nous sommes surtout allés chercher un maximum de granularité dans la mise en œuvre et dans l’application. En particulier au niveau des différents ministères et des opérateurs de l’État qui avaient tendance à s’émanciper de cette marque commune. Nous avons donc pensé la marque de manière très plastique pour qu’elle soit immédiatement compatible avec un maximum de cas d’usage numérique, les réseaux sociaux, la vidéo, etc. Depuis 4 ans, la marque est déployée, et la réattribution se fait massivement avec le bloc marque Marianne.

C’est-à-dire, quels sont les résultats ?

M.N. : D’après une étude, la réattribution est 6 fois plus importante que précédemment. Nous avons décliné ce territoire de marque en un système de design. L’État, c’est plus de 1 000 sites internet différents, il n’y avait pas deux sites internet qui avaient la même structure, identité, etc. 

Prendre son bâton de pèlerin pour les changer un à un était une gageure irréaliste. Nous avons pris le parti inverse de leur fournir des outils identiques via une bibliothèque de composants/design numériques. Nous avions prévu qu’en trois ans, le budget alloué serait rentabilisé avec plus d’économies générées que le budget donné (3 millions d’euros via le Fonds de transformation de l’action publique) : cette économie a été réalisée en un an seulement. Aujourd’hui, environ 20 % des sites de l’État ont opéré cette bascule, comme le site des Armées, le site du ministère de l’Intérieur et d’autres sites serviciels à l’instar de impots.gouv. 

Il y a un effet de réassurance pour l’utilisateur qui voit cette harmonisation se déployer sur les différents sites de l’État.

Comment la communication publique est-elle amenée à se transformer/moderniser ?

M.N. : Dans ses moyens, elle se doit d’être dans les meilleures pratiques. Il n’y a aucune raison que la communication publique soit moins bien-disante qu’une communication grand public. Lors de notre précédente interview, j’avais expliqué que nous devions avoir les réflexes d’une grande marque, cela avait été questionné : nous ne sommes pas une marque comme les autres, en revanche, nous sommes en compétition avec toutes les autres grandes marques — e-commerce, divertissement, etc. — vis-à-vis de nos audiences. Nous devons nous transformer de la même manière qu’elles : être de plus en plus centré sur les attentes des utilisateurs, cela nous oblige de plus en plus à utiliser la voix de retour, mesurer au quotidien ce que l’on fait. Nous nous dotons d’outils à cette fin pour mesurer la performance en temps réel. 

On acquiert également des expertises, nous passons des marchés avec des acteurs pour nous accompagner, sur l’analytics ou le marché interministériel, sur de l’achat média avec une seule agence pour toute cette sphère (Dentsu avec Dentsu public) et demain, ce sera le cas avec la création. Notre enjeu est d’être doté d’un collectif d’agences à briefer.

Pourriez-vous nous en dire plus sur ce collectif ?

M.N. : Historiquement, un certain nombre d’agences ont travaillé sur les campagnes institutionnelles — Havas, DDB (Sécurité Routière), la chose… À un moment, la création a commencé à se limiter, notamment à un cercle d’agences. Depuis quelques années, collectivement, il y a un besoin des ministères de resolliciter de la création. Le Ministère de l’Intérieur travaille avec TBWA et les agence Babel, Madame Bovary et Parties Prenantes ont également des contrats avec le Gouvernement. Nous souhaitions, dans une vision au long cours, mais également achat, planifier ces sujets avec une approche “roster”, au sens d’un groupe d’agences qui se connaissent et travaillent chacun sur leur sujet, mais qui sont systématiquement mobilisées ensemble. La SNCF, LVMH et EDF fonctionnent par exemple de la même manière. 

Ces agences travailleront chacune sur un grand sujet, plutôt que par canaux de diffusion, comme le recrutement, l’information. On table sur un pool de 6 à 9 agences. Nous espérons créer une dynamique de collectif.

Quels étaient les enjeux de ce nouveau marché interministériel autour de l’analytics, on imagine non sans mal qu’il y a un important enjeu de vie privée avec un tel service. Laisser porte ouverte à Google Analytics ou un autre acteur étranger sur de telles données…

M.N. Très clairement. Le sujet de l’hébergement, du cloud souverain faisait partie du marché. Marché depuis attribué à un acteur français, Eulerian. Ce sont des données gouvernementales certes, mais d’audience, ce ne sont pas des données personnelles au sens de la CNIL. Nous devions néanmoins faire respecter les règles du RGPD, les enjeux de cookie first party vs third party, etc.

En juillet 2021, vous nous expliquiez que la marque France était en train d’être retravaillée, avec un enjeu de complémentarité entre la marque domestique et la marque internationale, et que vous vouliez créer ce continuum entre les deux. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

M.N. : C’est toujours en cours. Nous avons une opportunité à venir sur la marque internationale d’attractivité, avec Choose France notamment. Ce qui légitime encore plus d’accélérer sur ces sujets. De grands événements sportifs se profilent devant nous, de la Coupe du monde de rugby aux Jeux Olympiques de Paris, l’enjeu est évidemment d’être prêts à ce moment-là.

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