« Je souhaite que la société soit relancée par un Green New Deal »

Par Xuoan D. le 09/05/2020

Temps de lecture : 10 min

L'interview de Rémi Ferrante, créateur du compte Instagram Le Confiné Libéré.

La pandémie de Covid-19 et « Le Grand Confinement » imposent à chacun de rester chez soi, vidant au passage les entreprises du secteur de la communication. Si leur activité a été fortement bouleversée, les agences n’ont pas pour autant cessé d’œuvrer, organisant leur continuité grâce au télétravail et ses divers outils.

Si la question n’est désormais plus de savoir si le monde de la com’ peut travailler à distance (notre première émission en direct, Les enjeux – la Réclame / live Covid-19, nous a fourni la réponse), nous avons souhaité donner la parole aux travailleurs confinés, qu’ils viennent d’agences, de médias ou d’annonceurs.

Pour cette nouvelle interview “Le confiné libéré”, nous donnons la parole au plus « confiné libéré » de tous nos interviewés : Rémi Ferrante, photographe, réalisateur, créatif (représenté par Obvious) et à l’initiative du très actuel compte Instagram @leconfinelibere aux 14 000 abonnés.
 

Comment travaillez-vous depuis le confinement ? Avez-vous une journée type ?

Rémi Ferrante : Cela m’a pris presque un mois pour trouver une routine d’efficacité, et surtout du confort dans cet état imposé. C’est toujours un moment privilégié de devoir s’adapter à un nouvel écosystème quand on est dans la création, car souvent très galvanisant et donc essentiel. C’était un processus d’acceptation des circonstances et de mes états passagers de procrastination, où j’ai souvent été frustré. Donc j’ai dû créer des canaux qui me mèneraient à la satisfaction. J’ai l’habitude de travailler seul, depuis chez moi, donc le switch du confinement était peut-être plus simple à aborder. Mais une journée commence je pense par de bons rituels matinaux. Je me prépare un iced matcha coco avec des suppléments alimentaires, ensuite je fais quelques étirements et du yoga. Puis je catch-up avec les news du monde entier, beaucoup de late night shows américains, comme Seth Meyers et John Oliver. J’ai vraiment utilisé la majeure partie de ce confinement à restructurer mon organisme biologique si on peut dire ainsi, et mes disques durs. Déblayer, et réorganiser la partie digitale de ma vie est une chose que je ne pouvais pas forcément faire avant, faute de temps. J’ai trié plusieurs dizaines de giga d’e-mails et spams aussi, qui ont une grosse empreinte carbone. Il est important de savoir qu’un e-mail inutile envoyé chaque jour et par chaque Français, représente plus de 15 000 tonnes de CO2 à la fin de l’année. Une chose anodine, mais très satisfaisante.
 

La nouvelle habitude que vous garderez une fois « déconfiné » ?

R.F. : Je pense avoir eu la chance d’avoir pu être confiné seul, avec 3 adorables animaux. Ce qui m’a fait me concentrer en grande partie sur moi-même, mes ambitions et mes envies. Et si je devais résumer ce que j’ai appris et que j’essaierai d’appliquer sur le long terme : je dirais que ce serait de produire des choses par moi-même plutôt qu’aller vers une certaine facilité d’achat. Je pense qu’être plus crafty était déjà dans le pipe surtout par mes habitudes de cuisine, ne consommant pas de produits animaliers depuis plusieurs années, mais cela s’est renforcé d’autant plus avec le confinement. Retrouver du plaisir par l’exécution manuelle plutôt que par le shopping compulsif. Le DIY est une démarche substantielle et complètement satisfaisante que cela soit en faisant son propre parfum, une crème hydratante, ou une recette maison Nutella écoresponsable par exemple.
 

Et au contraire, l’habitude que vous allez abandonner ?

R.F. : Il est difficile de se projeter dans l’avenir. Le bénéfice certain est le temps assez abondant que l’on a pour soi en quarantaine, il faut savoir l’appréhender. Je pense que j’ai pu prendre le temps de penser des décisions, moins prises à la hâte car le temps me le permettait. Je vais donc essayer de réagir moins sous l’impulsion et faire mûrir mes idées et y apporter plus de réflexion. Mais je me suis rendu compte aussi qu’avoir trop de temps pouvait avoir un effet négatif sur la productivité.
 

Arrivez-vous à photographier et à filmer en plein confinement ?

R.F. : Je n’ai pas cherché à forcer la création photo pendant les mois de confinement. Mon écosystème est assez limité pour pouvoir en tirer quelque chose de vraiment bon à mon sens. Je fais mes photos en pellicule uniquement, et n’avais pas les moyens autonomes de mon schéma habituel. Le vrai sujet que j’ai abordé était plus un sujet introspectif et moral qu’un travail visuel. C’était ce sujet-là que je voulais partager. J’ai souvent écrit en publicité, principalement dans le secteur lifestyle automobile, et j’écris encore aujourd’hui par plaisir, pour des magazines (Playboy France, City Magazine International..) et j’ai apprécié renouer avec l’écriture. Je fais en permanence des photos avec mon téléphone cela dit, et je n’ai pas arrêté de prendre en photo les deux chats et le chien qui partagent ma quarantaine. Mais le bruit du déclencheur de l’appareil photo de mon iPhone a surtout retenti plus de 100 fois par jour, pour faire des captures d’écrans de memes sur Internet lol.
 

La musique qui aura bercé ces deux derniers mois ?

R.F. : Beaucoup de musique, c’est essentiel pour la concentration, tant le risque de la procrastination est omniprésent. J’écoute de tout, mais j’ai développé un vrai plaisir pour les musiques électroniques, sans chant, comme l’ambiant principalement. Je pense que le meilleur album et qui est celui que j’ai le plus écouté, est celui de Nils Frahm – All Melody, que je recommande vraiment. Un pur voyage atmosphérique et mélodique. J’ai été d’ailleurs surpris d’entendre que Nils Frahm avait été choisi en accompagnement sonore du texte très inspirant de Michel Houellebecq lu par Augustin Trapenard sur France Inter il y a quelques jours.

Comment vous est venue l’idée du compte Instagram @leconfinelibere ?

R.F. : Le Confiné Libéré est né dans la nuit du 11 au 12 mars, quelques jours avant l’annonce du confinement par Emmanuel Macron. Suivant quotidiennement ce qu’il se passe à l’étranger dans mon industrie depuis les réseaux sociaux, j’ai remarqué que les internautes italiens, en avance sur la crise, envoyaient beaucoup de messages au reste du monde, alertant sur l’importance d’un confinement rapide et total. J’ai vu évoluer la situation, jusqu’à la voir devenir dramatique là-bas. J’avais personnellement anticipé l’idée d’un confinement en m’étant mis comme objectif de refaire de la musique avec mon sampler. Au bout de quelques jours, ne voyant que pas grand chose se passait en France en prévention de la situation qui se profilait, j’ai décidé de créer une page qui avait comme primo ambition de donner des clés créatives aux gens pour apprécier le confinement. La page a suscité un intérêt rapide et a été partagée par des comptes français parmi les plus influents du moment, comme le créateur Jacquemus, l’actrice Charlotte Le Bon, ou la blogueuse Léna Situations ainsi que beaucoup d’autres que je remercie.

Au tout début, il s’agissait seulement de stories Instagram, avec des partages d’infos pratiques, des témoignages, entrecoupés d’humour, de vidéos, mais aussi et surtout de memes, que je faisais ou repostais d’autres comptes, souvent américains. Tout le contenu du Confine Libéré s’articule autour de 3 thématiques: La Positivité, La Créativité, et La Solidarité. Par la suite j’ai commencé à poster des choses sur le feed, comme un magazine disons lifestyle. J’ai offert de la presse gratuite via le site Cafeyn (ex Kiosk), fait des sondages, partagé des initiatives créatives d’autres, que cela soit de la méditation ou des recettes. L’humour est clairement le vecteur que j’ai choisi pour faire passer l’information sur le Confiné Libéré. Sûrement le meilleur moyen de sensibiliser aux infos ou à d’autres sujets de société plus sérieux et pouvant parfois être anxiogènes. Tout en tentant de se tenir à distance des fake news. Je remercie au passage mes amis qui me faisaient passer quotidiennement des liens et des réflexions, qu’ils soient journalistes, planners strat, data scientists ou même infirmiers.
 

Qu’est-ce qui vous avez le plus surpris en animant ce compte ?

R.F. : Le plus surprenant a été que beaucoup de personnes se sont tournées vers le compte pour poser les questions qui ne trouvaient pas réponses immédiates dans les administrations ou les « news medias » classiques, sûrement occupés à ce moment-là à organiser leurs « remote » mode. A commencé alors un travail de mise en relation de personnes tantôt dans le besoin, tantôt dans le désir d’aider. Au cours des premières semaines je recevais environ 200 DM par jour. C’est devenu une vraie initiative virale et solidaire qui dans les premières semaines a reçu 3 millions d’impressions. J’ai aussi reçu un appel de Facebook [ndlr : propriétaire d’Instagram] qui m’a félicité pour cette initiative, en me proposant son aide si besoin.

Mon contact chez Facebook m’a affirmé que plus de 200 000 Français avaient rejoint des organisations solidaires sur leurs divers services (pages Instagram, nouvelles chaînes de live, etc.) Une réaction sans précédent que la plateforme a relevée très tôt dans la crise. Cela peut s’expliquer relativement facilement, compte tenu de la part de frustration importante des personnes chez eux, souhaitant se porter volontaires mais tenues d’observer la distanciation sociale. Via le compte j’ai pu faciliter l’acheminement de masques imprimés en 3D, la mise en relation de Français coincés à l’étranger avec des ambassades, quand il était difficile d’obtenir des infos directes et rapides. J’ai soutenu des causes sociétales diverses, et collaboré notamment avec le service vidéo de Libération sur un sujet sur l’augmentation des agressions, notamment dans les transports, envers les femmes. C’est devenu leur vidéo la plus vue en 48h. L’engouement très humain de la communauté m’a beaucoup impressionné et je suis content d’avoir pu faire grandir cette chaîne grâce à l’implication et la bienveillance des abonnés.

Exemple d’un même visant a interpeller la RATP sur la situation des agressions en hausse reposté 10 000 fois :

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Explication: après l’agression hier de Manel, infirmière se rendant à son service de nuit, dans la ligne 6, par deux individus, nous avons reçu sur le compte ÉNORMÉMENT de témoignages, que ça soit des agressions raciales, gratuites, tentatives de viols, vols. Ces témoignages ont été relayé en story pour la plus part. Et nous vous en remercions. Mais pour l’instant ZÉRO réponse du côté de la @ratp …. Le problème est loin d’être nouveau, mais à situation exceptionnelle réponse exceptionnelle, pour éviter que le pire se produise, et que des milliers de voyageuses, transitent la peur au ventre. Si vous partagez ce post en story, n’oubliez pas de taguer la @ratp ? Continuez à nous envoyer vos témoignages, nous les relayerons. Merci ?

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Une initiative (citoyenne, même, GIF, de marque, etc.) née pendant le confinement que vous aimeriez évoquer ?

R.F. : Je pense à ce meme de source inconnue, que j’ai repartagé, illustrant parfaitement un switch dans la hiérarchie des valeurs portée par les internautes alors que se multipliaient les vidéos TikTok et autres chorégraphies des personnels soignants.

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La bonne nouvelle de la journée!!

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Ou la cagnotte organisée par Protège ton soignant, qui a récolté à ce jour plus de 6 millions d’euros pour venir en aide techniquement aux hôpitaux, et les fournir en matériel et nécessités manquantes. Les actes de solidarité à distance sont les grands gagnants de cette crise, c’est certain. Les marques et les offres de services qui ont su être généreuses pendant le confinement aussi. Un des exemples les plus probant et qui a résonné à l’échelle mondiale étant Pornhub, qui a offert l’accès premium à son site dans les pays confinés.
 

Vos voisins confinés ont-ils un incroyable talent ?

R.F. : J’ai pu mettre un visage sur certains de mes voisins de confinement rapidement, du moins ceux qui donnaient sur rue comme moi. Ce qui est assez agréable. J’ai même pu parler plusieurs fois avec une mamie en face de mon bâtiment, vraisemblablement seule. Un des voisins a proposé d’offrir des masques faits-maison, via une banderole affichée à sa fenêtre avec son numéro de téléphone. Cela n’a pas de prix de voir comment les esprits les plus inventifs autour de soi font face à une telle crise. Il ne règne pas toujours un climat de cohésion dans la capitale, avec beaucoup de stress au quotidien. Voir de petites initiatives comme celle-ci fait se sentir plus en osmose avec son voisinage et renforce la communauté. J’espère que cela restera une habitude à long terme.
 

Le masque sera-t-il l’accessoire de mode de 2020 ?

R.F. : Le masque, c’est certain, sera la cible des personnes en manque d’idée pour lancer un nouveau business. Il est peu probable que le masque devienne une mode que l’on s’arrache pour son coté cool, car il est né d’une nécessité sanitaire. Dès qu’il pourra être enlevé, il le sera sûrement, dans les lieux où l’on se sent en confiance, en petit comité. L’expression d’émotions sur un visage est sûrement la plus spontanée et vraie des manifestations humaines. Les gens n’auront, je pense, jamais de lien fort avec le masque. Il restera un objet à faible lien d’affection, même s’il sera indispensable dans les espaces confinés et publics, dans les transports en commun notamment.
 

La première chose que vous ferez le jour du déconfinement ?

R.F. : Une chose est certaine : je suis en manque de nature. J’aimerais prendre mon scooter électrique et aller m’allonger dans l’herbe. Et dès que cela sera possible, j’irai faire un road trip en Californie, pourquoi pas faire étape à Ojai quelques jours et prendre cette fois-ci le temps de regarder une journée se passer devant mes yeux loin de mon iPhone.
 

« Le monde d’après » : vraie opportunité ou simple mirage ?

R.F. : Le monde d’après est une réalité très, voire trop, subjective. Cela n’en est pas moins historique et notable, qu’à notre époque, il y ait un élan commun de réflexion sur l’apport intellectuel et imaginatif de « l’ailleurs et du demain ». Ce qu’il en restera est imprévisible. Je ne crois pas en un renversement de notre système mais la situation économique mondiale décidera à notre place de toute façon. Personnellement, je souhaite que la société soit relancée par un Green New Deal. C’est le moment idéal pour le mettre en place.

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