Ni programmatique ni podcasts de marques : pourquoi Orso Media détonne sur le marché des podcasts

Par Xuoan D. le 12/02/2025

Temps de lecture : 8 min

L’interview de Christofer Ciminelli, co-fondateur du studio de Matthieu Stefani.

Cette interview fait partie de notre numéro spécial audio digital.

Alors que le secteur de l’audio digital a pris pas loin d’un tiers de croissance en 2024, certains studios de podcasts, et non des moindres, ont été en grande difficulté. Comment expliquer ce paradoxe ? Christofer Ciminelli, co-fondateur d’Orso Media avec Matthieu Stefani, a son avis sur la question.

En se positionnant sur la creator economy, Orso Media mise sur un accompagnement complet des podcasteurs : développement de l’audience, gestion des revenus et transformation des podcasts en véritables médias. Dans cet entretien, Christofer Ciminelli revient sur les mutations du marché, l’efficacité du sponsoring audio et les perspectives d’innovation qui pourraient redéfinir la monétisation des podcasts dans les années à venir.

La publicité de l’audio digital a été en forte croissance en 2024 en France : +26 % selon l’Observatoire de l’epub. Pourtant, 2024 a semblé être une année de consolidation pour les studios de podcasts, avec des rachats, mais aussi des redressements. Comment l’expliquez-vous ?

Christofer Ciminelli : Il y a beaucoup de structures qui, dans le podcast, se sont lancées avec un modèle hybride : 50 % de production de podcasts de marques – et 50 % de production pour elles-mêmes, monétisée via leur équipe commerciale ou des régies externes. Ce modèle a très bien fonctionné au moment de l’essor du podcast, à la sortie du Covid.

Mais après trois ans, les choses sont devenues plus compliquées avec des réorientations budgétaires et un contexte économique plus tendu. Cette manne financière issue des marques s’est tarie. Or, les structures qui reposaient principalement sur ce modèle hybride ont rencontré des difficultés, car la monétisation de leurs propres podcasts ne suffisait pas à couvrir les salaires.

Quand on regarde aujourd’hui le marché, on constate que les structures qui sont en difficulté sont quasi exclusivement celles qui fonctionnaient sur ce modèle hybride.

Ce modèle n’est pas celui d’Orso Media ?

C.C. : Cela n’a jamais été notre modèle. Je ne dis pas cela avec animosité, c’est simplement une approche différente. Notre positionnement est celui de la creator economy.

Quand nous avons monté Orso Media, c’était avec le constat que beaucoup de créateurs de contenu, notamment des podcasteurs, avaient du talent, mais peinaient à franchir certains paliers. Matthieu Stefani, par exemple, avec Génération Do It Yourself, a réussi à construire un modèle viable en indépendant. En 2017, il faisait déjà 300 000 écoutes par mois et générait presque autant de chiffre d’affaires annuel.

Nous avons donc voulu appliquer cette recette en fédérant des créateurs à fort potentiel, pour les aider à se développer. Notre enjeu principal, c’est cet accompagnement, pas la création de podcasts pour les marques. D’ailleurs, Cosa Vostra, l’agence de Matthieu, produisait des podcasts pour les marques, mais c’était une activité secondaire pour eux. (Matthieu Stefani a cédé en 2024 ses parts de Cosa Vostra, ndlr)

Pourquoi les podcasts de marques ont-ils rencontré des difficultés ?

C.C. : Il y a eu deux facteurs principaux. D’abord, un repli des budgets. Dans un contexte économique plus tendu, les marques privilégient la performance au détriment du branding.

Ensuite, je pense qu’il y a eu une erreur d’appréciation au départ. Beaucoup d’entreprises ont cru qu’il suffisait de lancer un podcast pour que cela fonctionne, alors que c’est un média très exigeant. Un podcast demande du temps, de l’énergie et des efforts avant de porter ses fruits. Mais quand une audience se construit, elle est généralement très solide et très engagée.

Autre erreur : pendant longtemps, les marques ont mis 100 % de leurs budgets dans la production, en se disant que cela suffirait. Or, aujourd’hui, on sait qu’un podcast de marque ne peut pas décoller sans médiatisation : entre 50 et 60 % du budget doit y être consacré.

Chez Orso Media, nous avons vu ce changement de perception s’opérer progressivement. Il y a désormais des solutions comme celles proposées par Spotify, qui permet de mettre en avant des podcasts de marques auprès des utilisateurs non abonnés, ou encore CrossPod d’AudioMeans, qui insère un podcast dans le flux d’un autre pour lui donner plus de visibilité.

En revanche, les formats display – bannières, pavés publicitaires – n’ont jamais été très efficaces pour promouvoir un podcast. On a fait des tests, mais les résultats étaient peu probants.

Il existe aussi des solutions plus industrielles, comme intégrer un player audio en autoplay ou en in-read dans un article. Mais ce sont des écoutes peu qualifiées. Elles gonflent les chiffres, certes, mais elles n’apportent pas une vraie valeur en termes d’engagement et d’audience durable.

En tant qu’éditeur de podcasts, quelle est la part de programmatique dans vos ventes publicitaires ?

C.C. : Chez Orso Media, nous ne faisons aucun programmatique. Ce n’est pas parce que nous trouvons cela inintéressant, mais simplement parce que cela ne correspond pas à notre modèle de monétisation.

Nos podcasteurs ne sont pas de simples espaces publicitaires, ce sont de véritables prescripteurs. Leur parole a du poids, leur relation avec leur audience est forte, et c’est cette connexion qui fait la valeur de notre offre. C’est pourquoi nous ne parlons pas de publicité, mais de sponsoring, et plus précisément de host-read : des messages intégrés directement dans la voix du podcasteur, dans son ton, dans son style, et qui durent entre 60 et 90 secondes.

Ce sponsoring est diffusé de manière dynamique, ce qui nous permet d’insérer un message publicitaire sur l’ensemble des écoutes du moment, y compris sur des épisodes mis en ligne en 2017 qui génèrent encore du trafic aujourd’hui. On peut fixer un volume précis – par exemple, 200 000 écoutes – et une fois atteint, la campagne s’arrête et une autre prend le relais. Ou alors, on peut définir une période – un mois entier, par exemple – pendant laquelle le message sera diffusé.

Ce modèle implique aussi une vraie exigence dans le choix de nos partenaires. Nous refusons entre 30 à 40 % des demandes entrantes, tout simplement parce que nous ne voulons pas perdre la cohérence éditoriale de nos podcasts. Nos auditeurs ont confiance en nos podcasteurs, et nous ne voulons pas les transformer en girouettes publicitaires.

C’est aussi pour cette raison que nous n’avons aucune automatisation prévue. Nous sommes sur des podcasts très incarnés, avec un vrai souci d’alignement entre le sponsor, le contenu et l’audience. Et même si nous faisons entre 1,5 et 1,8 million d’écoutes par mois, ce volume ne justifierait pas de passer au programmatique. Nos CPM sont bien valorisés par rapport à nos thématiques et à la typologie de notre audience. Nous savons que nous ne retrouverions jamais ce niveau de monétisation avec un modèle automatisé.

Quelles sont les performances du sponsoring de vos programmes ?

C.C. : Nous garantissons toujours un certain nombre d’écoutes à nos annonceurs. Comme nous diffusons les campagnes en dynamique, nous avons la possibilité de prolonger la diffusion jusqu’à ce que le volume d’écoutes prévu soit atteint.  

Cela étant dit, la mesure de l’impact du sponsoring dans le podcasting est différente de celle d’autres formats publicitaires plus classiques, comme le display ou la vidéo. Avec une bannière, par exemple, on peut calculer très précisément le nombre de clics et obtenir un taux de conversion clair. Dans l’audio, c’est plus complexe, car un podcast peut être écouté sur une douzaine de plateformes différentes, chacune avec ses propres interfaces et outils d’analyse.  

Pour autant, nos sponsors disposent de plusieurs moyens pour mesurer l’impact de leur campagne. La plupart réalisent des post-tests pour évaluer la notoriété et l’efficacité du sponsoring dans le cadre de leur plan média global. D’autres intègrent des questions spécifiques dans leurs formulaires d’onboarding client, du type : « Où avez-vous entendu parler de notre marque ? » Le podcast est souvent cité, mais cela reste du déclaratif, ce qui peut biaiser l’attribution : un même auditeur peut avoir vu la marque en affichage, puis entendu un spot en radio, puis dans un podcast…  

Nous avons aussi une approche plus quantitative avec Podsights, une solution rachetée par Spotify, qui permet d’ajouter un tag de mesure dans le flux du podcast. Cela nous permet de corréler un nombre d’écoutes avec des visites sur le site du sponsor. Mais cette solution a un coût, et nous ne l’utilisons que pour des campagnes à grand budget.  

Une mesure unifiée de l’audience des podcasts vous manque-t-elle ?

C.C. : Beaucoup de choses ont évolué récemment sur le marché, et plutôt dans le bon sens. L’un des points majeurs, c’est la réduction de l’écart entre téléchargements et écoutes réelles. Avant, les téléchargements automatiques – notamment sur Apple Podcasts – pouvaient gonfler artificiellement les chiffres d’audience. Mais avec iOS 17, cette mécanique a pris fin, et cela permet d’avoir des statistiques plus fiables.

Par ailleurs, les nouvelles normes de mesure établies par l’IAB et l’ACPM, qui considèrent qu’une écoute est valide au-delà de 60 secondes, sont également un progrès. Cela garantit que les chiffres communiqués sont plus proches de la réalité et renforce la crédibilité du marché auprès des annonceurs.

Qu’est-ce que le sponsoring dans les podcasts ne permet pas encore aujourd’hui mais permettra demain selon vous ?

C.C. : L’un des grands enjeux du sponsoring audio, et plus largement du marché publicitaire, c’est la prise en compte du contexte d’écoute. Aujourd’hui, nous diffusons nos messages de manière dynamique, mais nous avons encore peu d’informations sur le moment où l’auditeur écoute réellement le podcast.

Demain, on peut imaginer des formats plus personnalisés. Par exemple, si nous savons qu’un auditeur est en train de courir, nous pourrions adapter le message pour qu’il résonne davantage avec son activité : « Pendant ton run, pense à bien t’hydrater… » Ce type d’adaptation contextuelle pourrait rendre le sponsoring plus engageant et plus pertinent.

On peut aussi imaginer des innovations sur la personnalisation linguistique. Nos podcasts sont écoutés au-delà de la France, notamment en Belgique et au Canada, où il existe des variations linguistiques. Pouvoir adapter nos messages à ces spécificités culturelles pourrait renforcer l’efficacité du sponsoring.

Enfin, l’un des défis majeurs reste l’interactivité dans l’audio. Comment intégrer des appels à l’action efficaces dans un format où il n’y a pas d’écran pour cliquer sur un lien ? Une piste intéressante serait l’opt-in email via l’audio : permettre aux auditeurs de s’inscrire à une newsletter ou de recevoir une offre en validant simplement par un signal vocal. C’est quelque chose sur lequel des acteurs comme AudioMeans travaillent déjà, mais il y a encore des obstacles techniques à surmonter, notamment la compatibilité avec toutes les plateformes d’écoute.

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