Clément Berthet, NRJ : « Le marché de l’audio digital se structure avec l’arrivée massive des annonceurs radio »

Par Xuoan D. le 12/02/2025

Temps de lecture : 9 min

Attention… expansion en cours !

Cette interview fait partie de notre numéro spécial audio digital.

Que ce soit du côté de l’Alliance digitale ou du SRI, les chiffres sont éloquents : l’audio digital est la catégorie publicitaire qui a connu la plus belle croissance en 2024 en France (entre +26 % et 29 % !) Comment expliquer une telle vigueur, d’autant plus sur un marché national qui a connu quelques remous depuis le 9 juin dernier ? Les défis intrinsèques ne manquant pas pour ce secteur avec l’absence de mesure unifiée et la fragmentation de la consommation média.

Pour décrypter ces enjeux et esquisser les perspectives de l’audio digital en France, Clément Berthet, directeur général adjoint en charge du digital de NRJ Global, revient sur la dynamique du marché, l’évolution des investissements et les innovations à venir. De la montée en puissance du host-read à l’impact de l’IA et de la DCO, il nous livre son analyse sur un secteur en pleine transformation.

+26 % de croissance : c’est ce que la publicité de l’audio digital a connu en 2024 d’après l’Observatoire de l’epub. Vous attendez-vous à une telle croissance en 2025 ?

Clément Berthet : Le marché de l’audio connait une croissance à deux chiffres depuis le lancement de la mesure de ce marché par le SRI.

Même s’il est encore difficile d’avoir une visibilité claire sur l’année à venir, car beaucoup de campagnes se déclenchent très tardivement, parfois même à la dernière minute. Mais nous restons confiants et visons encore une très belle croissance en 2025 et une progression à deux chiffres.

Quels sont les leviers d’une telle croissance ?

C.B. : Plusieurs leviers expliquent cette dynamique. D’abord, il y avait encore en 2024 un nombre important d’annonceurs qui n’étaient pas encore convertis à l’audio digital. Certaines marques avaient testé ponctuellement, sans intégrer le format de manière récurrente. Nous avons constaté une montée en puissance de  la fidélisation de ces annonceurs, qui reviennent désormais régulièrement.

Par ailleurs, le marché bascule avec l’arrivée massive des grands annonceurs radio. Aujourd’hui, quasiment tous les annonceurs historiques de la radio ont franchi le cap du digital. Dans le secteur de la grande distribution, par exemple, les six plus grands distributeurs — y compris Amazon — sont désormais tous présents en audio digital. C’est un tournant qui structure véritablement le marché.

Quel est pour vous le principal défi actuel de laudio digital en France ? 

C.B. : La mesure. C’est un défi qui concerne aussi la vidéo, mais il est encore plus crucial pour l’audio. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une vision claire et unifiée de l’audience : il faut pouvoir mesurer et certifier l’ensemble des contacts générés par la radio, l’audio digital et les plateformes de streaming audio gratuites. Cette unification des mesures est essentielle pour permettre aux médias planners d’optimiser leurs campagnes et d’évaluer précisément les gains incrémentaux en couverture.

Aujourd’hui, nous avons des chiffres sur l’impact global de l’audio digital, mais pas de répartition par média ou par régie. Pourtant, une fois ces chiffres consolidés et certifiés, il sera beaucoup plus facile de convaincre les annonceurs et les agences du rôle clé que joue l’audio digital dans leur stratégie. 

La convergence permettra de désiloter les investissements radio et audio digital.

Sur le segment du podcast, nous avons déjà fait un premier pas important : Médiamétrie suit désormais les certifications de l’ACPM, qui est une mesure plus exigeante en termes de sessions d’écoute et de téléchargements. 

Pour une régie radio, est-ce simple de commercialiser des inventaires aussi variés que les radios lives, les radio digitales et les podcasts ?

C.B. : Rien n’est simple, mais c’est un challenge passionnant. Et surtout, c’est un énorme avantage concurrentiel pour nous de pouvoir traiter l’ensemble des formats audio digital : la radio live, la radio digitale et le podcast, qu’il soit en replay ou natif. Peu de régies ont cette capacité à gérer un spectre aussi large avec un reach puissant.

L’un des atouts majeurs de cette diversité, c’est la complémentarité des audiences. Avec la radio digitale et le live, nous touchons un public fidèle aux stations, tandis que le podcast natif nous permet d’atteindre des profils qui, pour certains, ne sont pas du tout des auditeurs de radio. Cela permet d’apporter une couverture additionnelle et de répondre à des objectifs de reach avec des logiques de consommation différentes.

Ce qui facilite aussi notre travail, c’est la montée en compétences des agences médias. Elles ont désormais des cellules dédiées à l’audio digital et une vision plus globale du marché.

Quelle est la part dannonceurs radio qui investissent aussi dans laudio digital ?

C.B. : En part d’investissements, l’audio digital représente une part importante, mais si l’on regarde en nombre d’annonceurs, c’est plus compliqué à quantifier. 

Ce que l’on observe clairement, c’est que les grands annonceurs radio sont aujourd’hui très présents en audio digital. Pour eux, la transition s’est faite naturellement. 

Du côté des petits et moyens annonceurs, nous voyons une montée en puissance progressive.

Un phénomène intéressant que nous observons est que certains annonceurs alternent désormais entre radio et audio digital en fonction de leurs objectifs. Ils vont par exemple déployer des campagnes puissantes en radio sur des temps forts, puis maintenir une présence continue en digital en mode always-on.

Quelle est la part de gré à gré et de programmatique dans la commercialisation de votre inventaire audio digital ? (et dopen programmatique vs programmatique garanti ?)

C.B. :  Aujourd’hui, environ un tiers de notre inventaire audio digital est vendu en gré à gré, tandis que les deux tiers passent par le programmatique. Cela peut varier selon les périodes, mais c’est la tendance globale.

Si l’on parle de « vrai » programmatique open, c’est encore infime en France. Les derniers chiffres montrent qu’il représente environ 3 % du marché, ce qui reste marginal. Aux États-Unis, on commence à voir un développement plus important de l’open.

L’essentiel du programmatique en audio digital repose donc sur des deals garantis, qui assurent un contrôle plus précis aux annonceurs et aux éditeurs.

Mais il est certain que ces équilibres évolueront avec le temps, à mesure que l’open programmatique gagnera en maturité sur notre marché.

Quel format publicitaire audio voyez-vous croitre dans les mois à venir ?

C.B. : Le brand content audio a un énorme potentiel. Je crois notamment au développement du host-read. 

Aujourd’hui, il y a encore trop peu d’annonceurs qui exploitent ce format alors qu’il fonctionne très bien. Quand on voit le nombre de programmes sponsorisés en télévision, il est évident que le host-read offre des opportunités similaires, voire supérieures en termes d’engagement.

Le host-read, où l’animateur du podcast présente lui-même la marque, bénéficie d’un avantage unique : la relation de proximité et de confiance qu’il entretient avec son audience. 

La question qui se pose est de savoir qui, au sein des agences média, doit prendre en charge ces campagnes : est-ce l’expert brand content ou l’expert audio ? C’est un vrai sujet d’organisation, mais une fois que cela sera plus clair, nous verrons un essor significatif de ces formats.


Pouvez-vous nous parler du partenariat Binge Audio x AudioMeans x NRJ Global ? Pourquoi un tel rapprochement entre votre régie, un éditeur de podcasts et un hébergeur de podcasts ?

C.B. : Ce partenariat est né de notre collaboration avec AudioMeans, qui est l’hébergeur de nos podcasts natifs et de nombreux autres groupes médias. Ce qui nous a tout de suite plu chez eux, c’est qu’ils sont exclusivement spécialisés dans l’hébergement et la distribution, sans faire de monétisation. Cela nous permet d’avoir un partenaire totalement concentré sur son expertise, pendant que nous nous chargeons de la nôtre, à savoir la monétisation publicitaire.

Binge Audio nous a rejoints après avoir observé notre travail avec d’autres studios, comme Engle, et ils ont été séduits par notre approche. Ce qui rend ce partenariat particulièrement intéressant, c’est que nous réunissons trois acteurs complémentaires.

Chacun fait son métier et c’est ce qui rend cette association vertueuse. Nous avons une exclusivité sur la vente des audio ads (pré-roll, mid-roll, post-roll), ce qui nous permet de proposer ces inventaires aux grands annonceurs que nous accompagnons déjà. De leur côté, Binge conserve la commercialisation des host-reads, qui nécessitent une relation plus directe avec les annonceurs et une vraie cohérence avec leur ligne éditoriale.

C’est toute la stratégie de notre Hub Audio Premium qui vise à faciliter l’accès à une offre audio puissante, brand safe de 50M d’écoutes – téléchargements certifiés par l’ACPM. Le Hub Audio Premium fédère une richesse d’inventaires issus de nos 4 marques media (NRJ, Nostalgie, Chérie et Rire&Chansons) et de partenaires (Konbini, Bangumi, Blynd, RadioKing, Futura, Engle…) ainsi qu’une diversité de formats tels que les flux live, radios digitales, podcasts replay et podcasts natifs. Au-delà de la facilité d’accès à cette puissance et richesse d’environnements éditoriaux, le bénéfice pour les annonceurs est de pouvoir activer des ciblages data et contextuels tels que Kids&Family, Esprits curieux ou encore Développement personnel. Ces capacités de ciblage sont d’ailleurs activables en bi-media avec un rapprochement des segments sur notre offre radio et audio.

C’est une structure qui fonctionne très bien et qui nous permet d’adresser des annonceurs qui, historiquement, ne venaient pas forcément vers nous. En ouvrant notre offre à des studios comme Binge, nous pouvons toucher des marques qui n’étaient pas clientes en radio mais qui trouvent dans le podcast un format idéal pour s’exprimer. Ce type de partenariat a donc une vraie logique de développement pour nous.


Qu’est-ce que la publicité audio digitale ne permet pas encore aujourd’hui mais permettra demain ?

C.B. :  Je pense que l’un des grands changements à venir pour la publicité audio digitale sera l’ouverture à l’international grâce à l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, nous créons énormément de contenus mais ceux-ci restent majoritairement destinés à un public francophone. Avec les avancées de l’IA, nous allons pouvoir automatiser la traduction et l’adaptation des contenus pour une diffusion bien au-delà des frontières.

Prenons l’exemple de notre podcast Briller en société ou encore Conte-moi laventure, qui raconte les contes les plus iconiques pour enfants. Il n’y a pas de spécificité française sur ces contenus, ils pourraient être diffusés à l’international avec une simple adaptation linguistique. L’IA va nous permettre d’accélérer ce processus et, par extension, d’ouvrir des opportunités publicitaires sur de nouveaux marchés.

Un autre point clé, c’est l’apport de la Dynamic Creative Optimization (DCO). Avec cette technologie, nous allons pouvoir personnaliser les messages en fonction des marchés et même adapter la publicité en fonction des accents régionaux. C’est un enjeu majeur. En Espagne, par exemple, il est impossible d’adresser un Catalan en castillan sans risquer un rejet. L’audio digital, par sa flexibilité et son lien émotionnel fort avec l’auditeur, a tout à gagner à affiner son approche locale.

Aujourd’hui, nos principaux concurrents sont des plateformes internationales comme YouTube ou Spotify, qui ont cette capacité à cibler très finement à l’échelle mondiale. Pour rester compétitifs, les groupes médias européens doivent développer des stratégies similaires, en mutualisant leurs forces et en adaptant leurs contenus pour toucher des audiences bien au-delà de leur marché d’origine.

Et si regarde plus loin, grâce au conversationnel et les commandes vocales, l’audio digital pourrait offrir un nouveau canal de vente pour les marques. 

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