Nicolas Dubois, Emova Group (Monceau Fleurs, Au nom de la Rose…)
Que ce soit pour un évènement particulier ou simplement pour leur plaisir personnel, les Français trouvent toujours une occasion pour acheter des fleurs, et ce à tout moment de l’année. Mais ce produit plaisir « naturel » est-il tout rose en matière d’écologie ? À en croire les médias, pas tellement, puisque ceux-ci laissent entendre que le marché français est en proie à 90 % aux fleurs coupées d’importations (la grande majorité viendrait des Pays-Bas et des pays hors-UE). Jusqu’ici, les grands groupes floraux ne prenaient pas réellement de mesures pour limiter l’import des fleurs et le bilan carbone aberrant que cela entraînait.
Mais au début de l’été, Emova Group (Au Nom de la Rose, Monceau Fleurs, Happy, Coeur de fleurs) a dévoilé une charte RSE des plus ambitieuses signée par tous ses magasins. Celle-ci mise principalement sur la saisonnalité, la production locale, la réduction de ses déchets, la lutte contre le gaspillage et le développement de sa contribution sociale et sociétale. Quel est l’enjeu de cette charte et comment le groupe compte-il la mettre en place ? Réponse dans cet entretien avec Nicolas Dubois, responsable marketing d’Emova Group, qui nous a fait une fleur en répondant à nos questions pour notre rubrique « Moteurs de changement ».
Pourquoi le groupe Emova a-t-il mis en place une charte RSE ?
Nicolas Dubois : C’est super à la mode, alors on s’est dit qu’on allait le faire aussi I. Trêve de plaisanterie, il y a deux ans, les premiers à avoir amené le sujet sur la table étaient nos magasins. nous en dénombrons environ 300, dont une majorité de franchisés). Ceux-ci ont tenu à placer ce thème sur un piédestal non seulement à titre personnel, (par conviction), mais aussi parce que certains d’entre eux ont été confrontés à une ribambelle de questions de la part des clients sur la manière dont poussaient leurs fleurs, où, et comment est-ce qu’elles étaient cultivées.
Également, le recrutement de Céline Rivals (directrice des ressources humaines et de la RSE d’Emova group) il y a 1 an a accéléré les choses. Nous nous sommes demandé ce que le groupe était capable de faire en termes d’engagement pour créer ensemble une charte RSE complète. Bien que vous ayons déjà établi un certain nombre d’actions en faveur de l’environnement, l’idée de cette charte était de structurer tout cela. Ce projet a mobilisé toutes nos équipes, des magasins (puisque la charte les concerne en grande partie) aux ressources humaines (pour toute la partie sociale).
Accessoirement, nous sommes leader sur notre marché des fleuristes en France, il nous paraissait logique de prendre le sujet très à cœur. Nous sommes dans un secteur où il y a encore énormément d’indépendants : pour 14 000 fleuristes en France, il y en a à peu près 13 000 qui ne sont pas sous enseigne). Il va être plus difficile pour de petits fleuristes (sans être péjoratif) indépendants de mener ces combats-là et de faire évoluer les choses.
Comment cette annonce a-t-elle été reçue par vos différents publics ?
N.D. : Il est encore un peu trop tôt pour vous répondre objectivement. La charte est parue début juillet, nous relançons le sujet pour cette rentrée.
90 % de la production de fleurs vendues en France se ferait à l’étranger contre 10 % en France. Est-ce aussi le cas dans votre groupe ?
N.D. : C’est à peu près cela. Chez Emova, nous oscillons entre 5 % et 20 % de production française selon les saisons. Ce haut pourcentage à l’étranger peut s’expliquer par le fait que les Pays-Bas sont des leaders historiques dans la production de fleurs en Europe. D’autres pays, notamment en Amérique du Sud et en Afrique, détiennent des terroirs particulièrement bien adaptés à la culture de certaines fleurs comme les roses – au même titre que le café ou le cacao, certains endroits sont plus propice à la pousse de certaines variétés.
Pour autant, il existe un grand nombre de variétés de fleurs que l’on peut faire pousser en France. Notre défi le plus difficile va être de recréer de la production dans le pays. Nous avons déjà un gros travail à faire pour identifier tous les producteurs français qui existent. Ensuite, nous leur proposerons de travailler avec nous, le but étant que nous nous engagions auprès d’eux pour plusieurs années, incitant ainsi – nous l’espérons – d’autres agriculteurs.
Cela fait partie des avantages que l’on peut avoir en tant que groupe : nous pouvons nous engager sur la durée. Par exemple, si un agriculteur veut venir chez nous pour convertir une partie de sa production, nous pouvons lui proposer de lui acheter toute sa production pendant 3 ans. C’est ce que nous avons pu faire avec un producteur de pivoines en Île-de-France. S’engager sur plusieurs années, c’est prendre un risque mais la finalité est que l’on puisse développer une production française bien plus importante.
Votre charte RSE s’applique-t-elle aussi aux producteurs de fleurs à l’étranger ?
N.D. : Oui. La charte comporte des engagements précis concernant les producteurs étrangers, avec des exigences en termes de certification. Notre objectif, c’est que la totalité de nos producteurs étrangers soient validés par des certifications durables, respectueuses de l’environnement et des individus.
Votre charte semble très complète. Êtes-vous le premier groupe de distribution de végétaux à vous être lancés dans un projet d’une telle envergure ?
N.D. : Parmi les fleuristes, nous sommes les premiers à nous être engagés avec une charte de cette envergure, j’en suis à peu près certain. Si l’on va plus loin dans l’univers des végétaux, il y a déjà des groupes de jardinerie qui ont également pris des engagements à leur niveau.
Les petites enseignes peuvent pousser, bousculer, aider à faire changer les mentalités des consommateurs – et c’est déjà très puissant. Mais n’oublions pas que ce sont les gros acteurs qui sont en capacité de faire bouger les choses pour du bon. À partir du moment où l’on a un poids en termes d’achats sur le marché, relever notre niveau d’exigence a un impact favorable sur le secteur.
Dans votre charte, vous expliquez que vous vous engagez à assumer « avec transparence votre devoir d’exemplarité« . Vous espérez inspirer d’autres marques à faire de même ?
N.D. : C’est bien le but : assumer la transparence – comme afficher l’origine des fleurs en magasins. Ce n’est pas une obligation légale contrairement à d’autres secteurs d’activités (comme les fruits et légumes). Ce n’est pas simple à faire, mais c’est quelque chose que nous mettrons en place dans les mois à venir.
Vous avez tout un volet sur la gestion des invendus et des déchets, pouvez-vous nous en dire davantage ?
N.D. : C’est un vrai sujet aussi. Il n’y a rien de pire que de devoir jeter des fleurs parce qu’elles n’ont pas été vendues. Depuis 1 an et demi, nous travaillons avec Too Good To Go qui plus ou moins tous les jours va proposer des paniers de plantes, des fleurs à des prix très réduits. Le but étant qu’on ne jette plus aucune fleur dans nos magasins.
Nous travaillons également avec Vépluche, qui a un principe très clair : récupérer tous nos déchets végétaux pour en faire du terreau que l’on va revendre dans nos magasins. C’est extrêmement vertueux, tout cela est recyclé, réutilisé, et en plus, c’est très utile. Ce sont des actions que nous mettons en place petit à petit dans nos magasins.
Vous avez créé l’École Florale. Est-ce que cela s’inscrit-il également dans une démarche RSE ou était-ce un projet en parallèle ?
N.D. : Complètement. Nous nous sommes demandé quel était l’avenir de la filière, et comment donner envie aux jeunes de rejoindre l’univers de la fleuristerie – qui, comme pas mal de métiers artisanaux, a été délaissé pendant quelques années voire décennies. C’est un métier créatif, au contact du public.
Nous avons créé l’École florale dans deux buts : Former les jeunes (mais aussi moins jeunes) aux métiers de la fleur avec un CAP et maintenant un BP (que l’on va lancer à la rentrée). Mais l’ambition de l’école est aussi de former en continu nos équipes en interne. Cela permet ainsi aux personnes qui rentrent chez nous en tant que fleuristes de pouvoir d’être responsables de magasins demain. Ceux-ci vont pouvoir progresser, et avoir par la suite leur propre magasin. Ce sont des parcours fréquents chez nous : de fleuriste salarié à franchisé.
À ce propos, est-ce que votre secteur recrute actuellement ?
N.D. : C’est un secteur qui recrute énormément puisque la fleur est un métier assez résilient, même en période de crise, la fleur vend toujours ! On l’observe lors de toutes les dernières crises financières. Nous avons de la chance, car ce produit n’est jamais sacrifié dans un budget.
Les aléas climatiques en France vous ont-ils inquiété cet été ?
N.D. : Évidemment, mais cela a aussi un impact sur les productions à l’étranger. Si les conditions climatiques changent, la production dans ces zones va aussi être compliquée. Pour nous comme pour tout le monde, c’est un problème mondial. C’est pour cela d’ailleurs que je pense que la solution n’est pas la production 100% française : il vaut mieux faire pousser une fleur à l’étranger mais qui n’a pas besoin d’être chauffée au gaz car elle est dans un terroir propice, plutôt qu’une fleur qui pousse sous serre à proximité avec, in fine, un bilan carbone plus mauvais… C’est cet équilibre qu’il va falloir trouver.
Pensez-vous relever tous les objectifs de votre charte RSE d’ici 2025 ? Quelles sont les étapes d’après ?
N.D. : Si nous nous sommes fixé des objectifs atteignables en 3 ans (en 2025) c’est pour… les atteindre. J’espère qu’on y arrivera, et qu’on aura su en dépasser certains. C’est une fois qu’on aura franchi ce premier pallier qu’on sera capable objectivement de se dire jusqu’où est-ce que nous sommes capables d’aller. Là, on se donne pour objectif de faire 20 % d’achats en France et 70% en Europe en moyenne annuelle. Pourrons-nous aller jusqu’à 50% ? Aujourd’hui, je ne suis pas capable de le dire. Il faut être pragmatique sur tous ces sujets-là, ils sont complexes.
À dans 3 ans donc !