Se renouveler en restant les mêmes, le pari de Michel et Augustin

Par Élodie C. le 30/05/2024

Temps de lecture : 9 min

L'interview d'Aurélie Juillard, directrice artistique.

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. Et quand on en a 20, l’est-on plus pour autant ? Lancée en 2004, la marque Michel et Augustin (vendu à Giovanni Ferrero par Danone en mars dernier) a joué les trublions de l’alimentation en bousculant les codes du marché avec des prises de parole et une identité visuelle décalées, mais désormais instantanément reconnaissables. 

Suffisant pour perdurer et se distinguer alors que les prises de parole décalées sont aujourd’hui l’apanage de nouvelles marques désireuses, elles aussi de jouer les agitateurs sur ce même marché ? Une chose est sûre, Michel et Augustin revendique haut et fort son humour, sa liberté et ce pas de côté. Entre transparence, gourmandise et innovation, la marque poursuit son aventure en s’appuyant sur ses valeurs fondatrices et un esprit collectif fort.

Aurélie Juillard, directrice artistique de Michel et Augustin chargée de la communication et des réseaux sociaux de la marque, nous livre la recette derrière cette réussite made in France.

Quel est le principal défi de la marque aujourd’hui ? 

Aurélie Juillard : Certaines choses paraissent naturelles après 20 ans d’existence, alors cette année, nous avons réécrit la mission de la marque pour réexprimer clairement nos fondamentaux et la donner à voir à travers une campagne déployée en début de cette année.

Notre défi est de prendre la parole de manière inspirée et différente, comme nous l’avons toujours fait, de façon troubillonne, avec des codes graphiques très affirmés, en expliquant à nouveau ce qui fait l’aventure Michel et Augustin depuis l’origine : des recettes courtes, avec des ingrédients de qualité. Cela a toujours été un prérequis, mais la concurrence s’est accrue et le marché d’hier n’est plus le même aujourd’hui. Au lancement de la marque, nous étions les précurseurs sur le bien manger, depuis le marché de la food s’est développé et beaucoup d’acteurs, petits notamment, sont arrivés sur le marché, souvent assez fortement inspirés par la marque.

Je suis chargée de l’agence interne chez Michel et Augustin (tout se fait en interne), nous avons réécrit notre manifeste, sans transformer ce qu’était notre aventure, mais en choisissant les mots. Nous nous sommes donc naturellement dirigés vers la gourmandise, “notre plus joli défaut”. Pourquoi ? Nos consommateurs aiment nos produits parce qu’ils sont très bons et très bien faits. Mais une marque alimentaire ne se distingue pas avec ce type de discours, nous avons donc érigé la gourmandise en un état d’esprit et une manière de vivre en disant non aux injonctions et à la culpabilité. Il est possible de bien manger et aussi de se faire plaisir, tout est une question de dosage et d’équilibre dans une journée ou dans une semaine. Nous sommes donc allés titiller une salle de sport avec un affichage sauvage tel que “Moins de prise de masse, plus de prise de mousse”, pour nous, ce n’est pas incompatible.

La marque est connue pour ses prises de parole décalées, mais comment se renouvelle-t-on pour se distinguer au sein d’un marché fait d’autres “trublions” ?

A.J. : On tente toujours d’apporter sourire et transparence à nos consommateurs, de créer une relation de proximité. C’est ce que nous faisons lors de nos événements, au cours de nos échanges ou sur les réseaux sociaux. C’est quelque chose qui nous différencie. Notre clé d’entrée, ce n’est pas la liste d’ingrédients, puisque nous l’affichons depuis le départ et ce n’est pas un levier de communication, ni de différenciation puisque la plupart des marques rentrent par la transparence. Nous, c’est l’état d’esprit, pas seulement le bien manger, mais profiter de la vie. 

Cela fait 8 ans que je suis arrivée dans l’entreprise, ce qui demande toujours de trouver un nouveau point de vue, la phrase qui fera sourire. On se creuse beaucoup la tête pour trouver de nouvelles accroches, comme celles de la nouvelle campagne – “Charcuterie, fromage, enfin un apéritif équilibré”. Il faut faire sourire sans être agressif ou mal perçu.

Comment « survit-on » au départ de ses fondateurs iconiques ? Est-ce que ça change quelque chose fondamentalement ?

A.J. : Ca pose des questions. Je ne cache pas en avoir eu avant et après, avec par moments, la crainte que cet état d’esprit si particulier s’en aille. Mais il a perduré au fil des années et dans tout ce qu’on fait, des recrutements à nos campagnes. Notre tribu a vraiment une place très importante, au point qu’il arrive souvent qu’on signe “la tribu Michel et Augustin”. Par exemple, on passe tous le CAP pâtisserie, c’est un formidable moyen d’entrer dans l’aventure et tout le monde a cette passion de la nourriture, de la gourmandise et de la pâtisserie en commun.

Même avec des personnalités différentes, on conserve cet état d’esprit qui nous lie. Des choses qu’on applique tous au quotidien, un esprit de débrouille, d’entraide et pas trop de hiérarchie, tout le monde peut apporter sa pierre à l’édifice, une idée, même si ce n’est pas sa spécialité. Ca se cultive.

Comment décririez-vous l’identité visuelle de Michel et Augustin et comment évolue-t-elle avec le temps ?

A.J. : C’est un socle, toutefois la charte n’est pas figée, on s’accorde beaucoup de souplesse. Avoir l’agence en interne offre beaucoup plus de latitude lorsqu’on entreprend un sujet et c’est nous qui statuons. Nos codes sont très forts, colorés et ludiques avec une typo manuscrite, des petites explosions et des personnages.

J’aime beaucoup, car nous avons un territoire graphique très fort et nous ne sommes pas restreints à une place précise. Et je dis ça en ayant moi-même conçu des chartes pour d’autres marques auparavant. C’est cette identité qui nous rend instantanément reconnaissable. Aujourd’hui, la typographie manuscrite visible sur nos packagings est faite à la main, la mienne, elle ne peut pas être reproduite à l’identique et c’est quelque chose qui n’existait pas avant mon arrivée, néanmoins, on reconnaît totalement Michel et Augustin.

Quelles sont vos sources d’inspiration principales pour vos créations ?

A.J. : On regarde beaucoup ce qui se passe chez les autres marques. Certaines, récentes,  sortent des choses très chouettes, avec beaucoup de liberté. Ca fait du bien, les grandes marques installées depuis longtemps ont tendance à être cloisonnées dans des territoires où elles sont tenues de parler de liste d’ingrédients, de labels, etc., alors que toutes les petites startups ou les marques de niche s’amusent plus avec les couleurs ou leur univers graphique. 

Les réseaux sociaux m’inspirent beaucoup, on observe une très grande liberté avec des choses beaucoup moins craftées, réfléchies et fermées, et la vidéo qui est de plus en plus présente. Ensuite bien sûr, la culture en général, les sorties, les musées, les artistes, toutes les expositions à Paris qui sont absolument formidables. Et enfin, la veille packaging mais en Angleterre ou aux Etats-Unis où la liberté d’illustration sur le graphisme et le packaging est absolument géniale. Comme sur les barres protéinées, chocolatées, à base de graines, etc., ils ne s’embêtent pas à mettre tous les ingrédients ou la représentation produit. En France, sur le papier, on aime bien, mais lorsqu’il s’agit de les mettre dans les linéaires, on n’a pas encore toujours le courage.

Pouvez-vous nous parler d’une campagne de communication qui a marqué un tournant pour la marque ? Et à l’inverse un échec ou d’un obstacle rencontré dans une campagne ?

A.J. : La dernière campagne marque un tournant dans le sens où nous ne sommes pas entrés par une catégorie de produits, mais par une idée générale. Ca fait longtemps que j’espérais ce type de campagne de marque.

Après, la campagne qui m’a marquée c’est notre première campagne télé mettant en avant notre gamme apéritif AOP. On l’a tourné dans la cave où est produit le Beaufort de nos sablés apéritifs avec notre fromager affineur. Aller sur le terrain, montrer tout le fromage mis dans nos sablés, la qualité de nos produits, sans se départir de notre humour et de notre état d’esprit est essentiel.

Et un échec ou un obstacle ?

A.J. : On a tenté de faire des campagnes sur des innovations, mais c’est compliqué au niveau de la temporalité entre leur arrivée, leur intégration et la rencontre réussie ou non avec les consommateurs. Puis, nous sommes une petite marque avec de petits budgets, on ne rééditera pas ce type de campagne, c’est trop risqué. Il vaut mieux soutenir nos fondamentaux, notre aventure et nos socles.

Comment mesurez-vous l’impact de vos campagnes de communication sur la notoriété de la marque ?

A.J. : On réalise des études avec Dentsu et iProspect, notre agence média, dans lesquelles on surveille plusieurs critères comme l’image globale et son évolution (les items d’image et de notoriété). Par exemple, on a des comparatifs sur nos campagnes de 2020, 2022, 2023, 2024, pour lesquelles on a travaillé différents médias – cinéma, télé, affichage. Nous analysons également le nombre de contacts et d’impressions et demandons comment les sondés définiraient la marque sur la sympathie, la convivialité, la modernité. Ca nous permet de vérifier la trajectoire prise.

À l’époque, Michel et Augustin se différenciait par le gout, aujourd’hui, c’est surtout leur qualité, le sourcing local ou durable, le Nutri Score qui est recherché, comment vous adaptez-vous ?

A.J. : Notre priorité reste le goût. C’était le cas il y a 20 ans, ça l’est toujours aujourd’hui. La supériorité goût de nos recettes est primordiale et on la suit régulièrement avec nos consommateurs, en externe et en interne. Nous réalisons énormément de panels dégustation, notamment avec des entreprises comme Accor à qui nous demandons des notes sur 10. Ensuite, bien entendu, nous conservons une liste d’ingrédients courte que tout le monde peut avoir dans son placard. 

Une fois ces choses là réunies, nous n’avons pas de limites puisqu’on estime qu’on peut avoir le meilleur des apéritifs, la meilleure des mousses au chocolat, la meilleure des vaches à boire à emporter, etc. Ce qui explique que notre territoire soit si grand : cette priorité s’applique à toutes nos catégories de produits. Avec le temps, les habitudes alimentaires changent – on veut moins de sucre – les consommateurs sont plus avertis et regardent plus de critères qu’avant. Nos recettes évoluent donc au fur et à mesure, elles sont moins sucrées, mais il y a certaines choses sur lesquelles on ne transigera pas : un gâteau est fait avec du beurre et de la farine, c’est gras, mais c’est très bon.

Quelles sont les tendances actuelles en design graphique et communication que vous trouvez les plus intéressantes ou inspirantes ?

A.J. : Plein ! Avec mon équipe, nous nous partageons énormément de choses, des publicités ou de claims inspirantes. On observe beaucoup les campagnes qui parviennent, comme nous, à allier le bon avec un certain état d’esprit. Je suis toujours très heureuse de voir des annonceurs racontant autre chose qu’une liste d’ingrédients, c’est important pour les consommateurs de ne pas se contenter de ça. La dernière campagne de Naturalia, “Un bon prix, pas que pour vous” va dans le bon sens.

Quand les marques arrivent à garder de l’esprit et une conscience alimentaire, c’est très inspirant. Beaucoup parviennent à faire ce pas, notamment sur le marché du végétal avec pas mal de petites marques émergentes. On retrouve un peu nos formules, une couleur forte et impactante associée à de l’humour, de l’esprit et de vrais fondamentaux justifiés par leurs engagements sur les recettes. Je pense notamment à ces marques qui sont associées contre le décret d’interdiction et qui ont réalisé une superbe campagne d’affichage commune.

Quelle est la prochaine étape communicationnelle pour Michel et Augustin ?

A.J. : Poursuivre l’installation de notre plateforme de marque. On sait à quel point la répétition est importante pour les consommateurs. Il faut donc continuer ce chantier, tout en continuant de s’amuser et d’amuser les gourmands qui nous regardent. Les temps forts d’une année sont autant de prétextes pour s’amuser créativement, trouver les bons mots et à continuer à surprendre notre communauté.

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