Mark Zuckerberg veut-il réellement la peau des agences ?

Par Xuoan D. le 07/05/2025

Temps de lecture : 5 min

L’automatisation publicitaire est en marche.

Mark Zuckerberg a récemment partagé la nouvelle vision stratégique de Meta pour la publicité numérique dans une interview accordée à Ben Thompson dans un podcast de Stratechery – à l’accès payant, mais retranscrit gratuitement. Cette déclaration marque un tournant majeur : l’objectif de Meta est de transformer radicalement la création, la diffusion, le ciblage et l’optimisation des campagnes publicitaires à l’aide de l’intelligence artificielle.

Meta ambitionne de créer ce que Zuckerberg appelle un “agent commercial ultime”. Ce système d’IA serait capable de piloter l’ensemble du cycle publicitaire : de la compréhension des objectifs d’une marque à la génération de créations, jusqu’au ciblage et à l’optimisation en temps réel. Les annonceurs n’auraient qu’à fournir un budget et un objectif (comme “générer des ventes” ou “attirer des prospects”) ; l’IA se chargerait du reste. À condition que leur “compte bancaire soit connecté” à Meta, précise sans le moindre second degré Mark Zuckerberg. 

Ce modèle remet en cause le fonctionnement traditionnel de la publicité, en particulier le ciblage manuel, que ce soit par les annonceurs ou leurs conseils agences, devenu selon Meta obsolète face aux capacités de son système à identifier de manière plus fine les segments à fort potentiel d’engagement.

L’un des piliers de cette nouvelle approche réside dans la génération automatisée de créations publicitaires. Meta mise sur des outils d’IA générative capables de produire, à grande échelle, des visuels, des vidéos et des textes publicitaires adaptés à différentes audiences et formats. Exit l’agence créa ? Les annonceurs pourront toujours fournir leurs propres contenus, mais l’accent est mis sur l’efficacité des assets générés par l’IA à grande échelle – comprendre en volume – censés être plus dynamiques et mieux adaptés à la logique des algorithmes de diffusion.

Autre évolution majeure : la facturation des campagnes. Meta souhaite désormais privilégier un modèle basé sur la performance (achats, conversions, etc.) plutôt que sur les impressions ou les clics. Ce qui n’est pas franchement nouveau, me direz-vous. Mais l’IA jouera un rôle clé dans la mesure des résultats, intégrés nativement aux outils d’optimisation à la volée et de reporting des campagnes.

Alors que nos fils d’actualité LinkedIn sont peuplés d’analyses hurlant que Mark Zuckerberg vient ainsi de déclarer la guerre aux agences média et aux agences publicitaires. Après vérification, le terme “agence” n’apparait pas une seule fois dans l’interview. Le fondateur de Facebook pense surtout que cette offre publicitaire automatisée, qui n’est autre qu’une version future d’Advantage+ (le “Performance Max” de Meta), rencontrera un énorme succès – “I think that’s going to be huge” – et qu’elle constituera une “redéfinition de la catégorie de la publicité”, permettant ainsi aux annonceurs d’investir encore plus, tant la publicité sera rentable pour eux grâce à l’IA.

Évidemment, une telle vision suscite quelques réserves. En l’absence de supervision humaine, le risque est de produire des campagnes génériques, mal alignées ou potentiellement néfastes pour l’image de marque. Tout en se concentrant avant tout sur la performance, et non l’impact branding à long-terme. “The long and short of it”, comme dirait Les Binet. Enfin, peut-on faire confiance à Meta, en laissant ainsi accès à la fois à son compte bancaire et aux messages émis par sa marque ? Une plateforme qui n’est pas connue pour sa transparence, et dont les erreurs de reporting ou bugs à la charge des annonceurs sont courants.  Les agences média resteront donc clés pour arbitrer entre différents investissements média, et les agences créatives pour que les marques aient des créations et stratégies à la hauteur de leurs ambitions.

Cependant, nul doute qu’une telle solution – qui n’est pas exclusive, puisque Google prend le même chemin avec AI Max for Search ou Performance Max – représente un nouveau risque de désintermédiation pour les agences. Le défi sera pour elles de prouver la valeur ajoutée de leurs conseils, se posant comme des tiers au service des marques, favorisant la diversité des médias et des investissements qui y sont liés.

Alex Schultz, CMO & VP chez Meta, s’est montré rassurant sur Linkedin : “J’ai vu passer certains commentaires trompeurs affirmant que Meta allait remplacer les agences par l’IA. Ce n’est pas vrai. Nous croyons en l’avenir des agences. Et bien sûr, j’ai vérifié auprès de Zuck que j’interprétais correctement ses propos avant de publier cela.” Selon lui, l’intérêt d’automatiser avec l’IA la publicité est de permettre aux marketeurs et aux agences de se concentrer sur les tâches les plus intéressantes et créatives, et de déléguer à la machine le rébarbatif. “Même si nous pensons que le marketing sera de plus en plus automatisé, le rôle des agences deviendra encore plus crucial grâce à leur capacité à planifier, exécuter et mesurer les campagnes sur l’ensemble des canaux.” De plus, des millions de TPE et PME n’ont pas forcément les moyens de faire appel à une agence ou les ressources pour produire un film publicitaire. C’est cette cible que Meta vise particulièrement : transformer en annonceurs réguliers les entreprises qui n’investissent pas ou sous-investissent en publicité aujourd’hui.

Alex Schultz conclut avec un certain darwinisme : “La seule constante dans le marketing, c’est le changement, et les marketeurs excellent dans l’art de s’adapter. Les agences, en particulier, n’ont pas seulement accepté le changement : elles ont joué un rôle clé pour aider les entreprises à raconter leurs histoires sur de nouvelles plateformes. Elles ont été, et resteront, des partenaires de confiance pour maximiser la performance et générer du ROI.”

Reste à savoir si les 160 milliards de revenus publicitaires générés en 2024 par Meta sont de l’incrémental pur pour le marché publicitaire, ou si tout ou partie provient d’un transfert de valeur depuis les médias traditionnels, voire depuis les agences. La question mérite d’être posée avec innocence…

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