Attention, ça pique.
Dès 2000 et l’explosion des audiences Internet, les chiffres de vente de la presse ont commencé à diminuer petit à petit. Cette tendance s’est ensuite accentuée d’année en année, avec la crise de 2008 comme facteur aggravant.
Alors que l’année 2020 risque d’être l’une des pires de l’Histoire pour la presse française, quelle était la tendance globale pour le secteur avant le confinement ? Avec le numérique, les médias peuvent-ils espérer résorber économiquement ce qui se perd actuellement en print ? Certains titres ou types de médias s’en sortent-ils mieux que d’autres ?
Mathieu Lehot, data journaliste (Le Monde, Mediapart, L’Argus de l’assurance) s’est penché sur les principaux chiffres de diffusion connus de la presse, représentés par ses soins sous forme de graphiques vertigineux. Le tout a été partagé dans un thread Twitter sur lequel nous rebondissons aujourd’hui.
Les données viennent principalement des chiffres publiés chaque mois par l’ACPM sur son site, et non de la récente étude quali OneNext qui s’intéresse davantage à la nature des audiences de chaque marque média.
Les quotidiens nationaux
Les quotidiens nationaux connaissent une forte baisse depuis 2015.
En matière de ventes papier (abonnés + kiosque), les quotidiens nationaux suivent tous une trajectoire fortement baissière. Les chutes sont particulièrement sévères pour Aujourd’hui en France (l’édition nationale du Parisien) et Libération (7/60) pic.twitter.com/J4UU4O6zzj
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Les plus touchés sont : Libération qui a perdu 40 % de son lectorat papier (- 19 000 journaux vendus par jour, que ce soit en kiosque ou par abonnement) entre les mois de décembre 2015 et 2019, et Aujourd’hui en France qui a chuté de 38 % (- 48 000 journaux vendus par jour) pour la même période.
Ceux dont on remarque les moins fortes baisses (La Croix et L’Humanité) sont également ceux dont la plus grande partie des ventes se fait par abonnement.
Côté numérique, la presse nationale et celle qui s’adapte le mieux, notamment Le Monde.
En décembre 2019, 65% du lectorat payant du Monde est composé d’abonnés numériques. Le journal du soir avait franchi le cap des 50% au printemps 2018. Des titres comme La Croix (23%) ou L’Humanité (17%) sont en revanche plus en retard (32/60) pic.twitter.com/9cL5U1RgP8
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Sur le plan financier, la presse voit ses recettes fondre année après année. Les recettes publicitaires de la presse quotidienne nationale représentent 60 % des revenus (660 M€) en 2000. En 2018, elles ne représentent plus que 34 % des revenus (180 M€)
La crise financière de 2008 a entrainé une accélération considérable de la chute des revenus publicitaires. La baisse des recettes des ventes se précipite depuis 2015 (48/60) pic.twitter.com/CoO0MY5X27
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Presse quotidienne régionale
Pour la presse quotidienne régionale, on constate le même phénomène que pour la presse nationale avec une forte baisse, pour ceux dont la vente se fait le plus en kiosque.
La chute est plus marquée pour le Parisien a perdu 31 % de ses ventes papier en 4 ans, et pour Sud-Ouest qui chute de 21 %.
Le Parisien a perdu 31% de son lectorat en quatre ans seulement (-61 000 journaux vendus par jour). Sur la même période, Sud-Ouest chute de 21% (-48 000 journaux vendus par jour) (11/60) pic.twitter.com/pILAqLkDh2
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Pour la presse quotidienne régionale, on ne peut parler de mutation numérique tant elle encore faible. Les proportions d’abonnés purement numériques vont de 3 % à La Nouvelle République à 13 % pour Le Parisien, en décembre 2019.
De même que pour la presse quotidienne nationale, la crise financière a entraîné une chute des recettes publicitaires pour les quotidiens régionaux.
Comme pour la presse quotidienne nationale, la crise financière a entraîné une chute vertigineuse des recettes publicitaires des quotidiens régionaux. Les revenus des ventes entament une baisse en 2012 qui s’accélère depuis 2016 (51/60) pic.twitter.com/y2IfS9LCfx
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
News magazine et Journal du dimanche
Pour les « news mags » et le Journal du Dimanche, la baisse est particulièrement forte. L’Express et L’Obs sont les plus impactés avec respectivement une perte en 4 ans de 166 000 lecteurs (- 48 %) pour l’Express et de -121 000 magazines vendus par semaine (- 53 %) pour l’Obs.
À l’inverse des quotidiens nationaux et régionaux, les magazines dont les ventes reposent le plus sur l’abonnement connaissent les plus fortes baisses.
Contrairement aux quotidiens nationaux et régionaux, les deux magazines dont les ventes reposent le plus sur l’abonnement (L’Express et L’Obs) sont également ceux qui enregistrent les plus fortes baisses (15/60) pic.twitter.com/wjtgYHkX1h
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Pour les news magazines et le JDD, même chose que pour la presse régionale, les proportions d’abonnés numériques sont très faibles comparées aux ventes papier (abonnés + kiosques). Elles tournent autour de 10 %.
Côté finances, L’Obs cumule 27 millions d’euros de pertes d’exploitation entre 2010 et 2016, malgré un plan de départs volontaires en 2016.
Du côté des News mag, L’Obs a cumulé 27 millions d’euros de pertes d’exploitation entre 2010 et 2016. Un plan de départs volontaires en 2016 permet au magazine d’enregistrer un bénéfice d’exploitation de 3,2 millions en 2017, qui fond aussitôt en 2018 à 800000 euros (53/60) pic.twitter.com/pCjnHS2adQ
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Presse féminine et bien-être
Pour la presse féminine et bien-être, toujours le même rapport, une baisse des ventes papier considérable.
Dans la presse féminine et bien-être, les 8 plus gros titres enregistrent tous des ventes à la baisse. Femme Actuelle et Avantages suivent les trajectoires les plus tendues (16/60) pic.twitter.com/97nQQlCWJP
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Les plus touchées sont Femme Actuelle qui perd 193 000 lecteurs entre 2015 et 2019 (- 34 %), et Avantages qui voit ses ventes papier baisser de 26 % (- 91 000 magazines par semaine).
Il est difficile de prononcer un impact de la vente par abonnement ou kiosque car à l’exception de Elle (-20 %), la presse féminine et bien-être se vend majoritairement en kiosque.
On ne peut pas parler de presse féminine ou bien-être numérique tant elle est faible. En décembre 2019, les abonnés web de Elle ne représentent que 3 % du lectorat payant du magazine. Pour la plupart, ce chiffre ne va pas jusqu’au 1 %.
Presse people
À n’en déplaire à ses fans, la presse people connaît elle aussi la crise des ventes papier.
Les paparazzi n’échappent pas à la baisse. La presse people fait de moins en moins recette. À commencer par Public et Closer dont les ventes fléchissent plus rapidement que les autres (19/60) pic.twitter.com/sVgYJu7Ktz
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Les ventes de Public baissent de 40 % (- 49 000 numéros par semaine) entre décembre 2015 et décembre 2019 . Celles de Closer de 35 % (- 73 000 numéros par semaine). Quant à France Dimanche, elles chutent de 72 000 lecteurs par semaine (- 26 %) pour la même période.
Comme pour la presse féminine et bien-être, la presse people se vend presque exclusivement en kiosque : à 80 % pour France Dimanche et Public, à plus de 70 % pour Voici et Gala.
Pour le numérique, même constat que les deux précédents, les lecteurs purement numériques sont presque inexistants, ils représentent moins de 1 % du lectorat payant de France Dimanche, contre 3 % pour Closer et 9 % pour Public.
Magazines société
Du côté des magazines société, même tendance.
En décembre 2019, Society lancé en mars 2015 ne compterait plus que 17 000 ventes de ses éditions papier, presque autant que Les Inrockuptibles (16 000 d’exemplaires). Society aurait donc perdu 65 % de son lectorat en quatre ans contre 52 % pour Les Inrocks. Télérama, qui se vend à 90 % par abonnement connaît une baisse des ventes plus faible de “seulement” 16 %.
Du côté des magazines société, toujours la même tendance baissière. Lancé en mars 2015, Society voit ses ventes fondre année après année. Les ventes des Inrocks chutent brutalement (22/60) pic.twitter.com/lI6uifuTOE
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Néanmoins, Franck Annese (fondateur de Society) a infirmé cette baisse en dénonçant des chiffres ne prenant pas en compte le numérique, fortement en hausse. Ils seraient donc d’après lui significatifs “d’une presse de +60 ans”, peu représentative du lectorat de Society.
Et en effet, certains magazines société s’adaptent mieux que d’autres. À Télérama, les abonnés numériques ne représentent que 1 % du lectorat payant. Rien à voir avec Society dont la proportion des ventes numériques passe de 13 à plus de 40 % en décembre 2019.
À Télérama, les abonnés purement numériques ne représentent qu’un tout petit 1% du lectorat payant. En janvier 2019, la proportion des ventes numériques de Society passe de 13 à plus de 40%. Mais le journal gagne en réalité autant d’abonnés web qu’il en perd sur le papier (42/60) pic.twitter.com/vDguXLYpQo
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Presse culturelle
La presse culturelle semble se maintenir davantage, à l’exception notable du magazine Première. On remarque par exemple le premier magazine dont les ventes ont augmenté avec Le Magazine Littéraire, devenu Le Nouveau Magazine Littéraire en 2017.
La presse culturelle semble globalement plus résistante, à l’exception notable du magazine bimestriel de cinéma Première qui accuse une forte baisse de ses ventes (25/60) pic.twitter.com/GAo6yABNRZ
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Les titres qui connaissent les plus faibles baisses (Beaux Arts Magazine – 7 % et Connaissance des Arts – 2 %) sont ceux qui ont le plus d’abonnés.
La presse culturelle compte quant à elle très peu d’abonnés purement numériques, entre moins de 1 % du lectorat payant pour Connaissance des arts et 4 % pour Première.
Coté finances, les recettes publicitaires des magazines spécialisées en général ne génèrent plus que 500 millions d’euros en 2018, contre 1,3 milliard en 2000, soit une baisse de 62 %.
La crise financière de 2008 a entraîné une chute extrêmement forte des recettes publicitaires. Les revenus tirés des ventes suivent également une tendance à la baisse entamée en 2007 (55/60) pic.twitter.com/mVOR8HHing
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Presse jeunesse : la grande exception
La presse jeunesse est la seule exception dans le monde des périodiques. Mis à part Le Journal de Mickey, les plus grands titres du secteur (vendus essentiellement par abonnement) suivent tous des tendances à la hausse.
J’aime Lire, le mensuel littéraire des 7-10 ans, gagne 23 000 jeunes lecteurs (+18%) entre octobre 2015 et octobre 2019. Les Belles Histoires, un mensuel destiné aux 4-7 ans, voit ses ventes grimper de 24% (+11 000 numéros) (29/60) pic.twitter.com/cZAXNzQkrZ
— Mathieu Lehot (@math_lehot) July 10, 2020
Pourtant, la presse jeunesse ne connaît pas de format numérique si ce n’est pour Le Journal de Mickey avec 557 lecteurs numériques en décembre 2019, soit moins de 1 % de son lectorat payant. On pourrait expliquer cette faible digitalisation par une demande probablement faible chez les parents, tant le « sans écran » et la digital detox semblent avoir bonne presse pour les enfants.
Quel avenir pour la presse ?
On assiste depuis quelques années, à l’apparition de partenariat entre les éditeurs et des plateformes comme Cafeyn et ePresse qui proposent des accès illimités à de larges catalogues de titres contre un abonnement mensuel à 10 euros.
S’inspirant de modèles comme Netflix ou Spotify, ces offres regroupés sont-elles un modèle économique suffisamment rémunérateur pour les éditeurs ? Cela irait probablement dans le sens des utilisateurs, mais probablement pas dans celui de la valeur pour les médias.