Campagnes publicitaires : doit-on laisser l’IA tout faire ?

Par Jérémy Lacoste le 26/02/2025

Temps de lecture : 6 min

Êtes-vous prêts à tout confier au pilote automatique ?

Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame. Jérémy est directeur général France de l’agence Eskimoz. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclicksur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou dans ses tribunes sur la Réclame.

Il y a quelques semaines, Mark Zuckerberg a lancé un sacré pavé dans la mare… sans que cela émeuve le quidam. Qu’a-t-il dit ?

« Nous en sommes arrivés au point où notre système de publicité peut mieux prédire qui est intéressé que les annonceurs eux-mêmes. Mais aujourd’hui, les annonceurs doivent encore développer eux-mêmes leurs créas. Dans les années à venir, l’IA sera en mesure de générer des créas pour les annonceurs et de les personnaliser en fonction de ce que les gens verront ».

Comprendre donc que la sophistication des modèles publicitaire est telle qu’ils surpasseraient désormais les performances et compétences humaines. Crédible ? En tout cas, cette lame de fond narrative a le mérite de tracer la vision cible. Sans fard.

« À long terme, les annonceurs pourront se contenter de nous communiquer un objectif commercial et un budget, et nous ferons le reste pour eux » conclut le PDG de Meta. En filigrane, il faut donc comprendre que le blocage se situe plus au niveau des réticences individuelles des CMO que de la maturité technologique. Nous sommes là au cœur du réacteur. 

Mike Proulx, vice-président et directeur de recherche chez Forrester ne dit pas autre chose : « il faudra encore un certain temps avant que les directeurs marketing ne remettent les clés à un agent IA qui générera de manière autonome des créations publicitaires en leur nom. »

1. La preuve par les faits ?

Plus de doute permis. Depuis quelques mois, les études s’amoncellent pour montrer la suprématie des productions IA sur celles humaines. La dernière en date réalisée par Semrush ne dit pas autre chose : les contenus générés automatiquement se positionnent aussi bien dans les SERP que les contenus produits manuellement.

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Mieux, les marketeurs interrogés estiment même que les performances seraient au-dessus (alors que l’étude empirique ne le démontre pas). Preuve s’il le fallait qu’est ancré dans les inconscients la supériorité du tout-machine !

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Dans une autre étude de Nativo, au-delà de la performance, c’est même la qualité du contenu IA qui est jugée supérieure avec une propension plus importante à la poursuite de la lecture.

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Si aujourd’hui, l’accueil de l’IA parmi les professionnels du marketing est aussi positif, c’est que ce n’est que l’aboutissement d’un processus d’objectivation qui a commencé il y a quelques années. Pour preuve : cette étude du BCG de 2019 qui survalorise l’impact de l’automatisation dans l’amélioration des performances des campagnes, et positionne l’action humaine comme uniquement « un coup de pouce ».

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2. Méthode Coué ?

Il est tout de même étonnant que les discours des adtechs soient à ce point alignés sur la toute-puissance de leur modèle algorithmique au détriment de l’action des experts…  À moins d’y voir la patte d’un agenda caché.

Car aujourd’hui, pas une feature ne sort sans que Google ou Meta n’y justifie un uplift de quelques pourcentages sur la performance. Comme s’il était possible, toutes choses égales par ailleurs, de mesurer un incrément à chaque déploiement IA de campagnes. Et on se retrouve donc à devoir composer avec des « +10 % » ou « +20 % » qui sont communiqués par les régies elles-mêmes et font office de vérité révélée. 

Pourtant, si on fait un pas de côté, on ne peut s’enlever la sensation qu’à mesure que les dispositifs publicitaires sont augmentés à l’IA, les performances semblent diminuer ! Il suffit d’échanger autour de soi pour s’apercevoir que ce sentiment est ultra-partagé… à rebours donc des études que nous partagent les éditeurs qui sont à la fois juges et partis.

En tirant le trait, c’est à se demander s’il n’y a pas un petit côté prophétie autoréalisatrice. Cette communication positive des adtechs à l’endroit de l’IA a au moins 4 applications :

– Lever les barrières à l’entrée. Si les plateformes publicitaires sont boostées à l’IA et se substituent à l’expert dans la prise de décision et le pilotage des campagnes, toute marque peut désormais communiquer et espérer atteindre le même niveau de performance. Magique donc !

– C’est une manière de faire porter la responsabilité de l’échec éventuel des campagnes à l’annonceur. Sous-entendu, qui irait remettre en cause la pertinence et l’efficacité des algorithmes des GAFAM ? Personne évidemment. Si la campagne s’est plantée, c’est forcément que les créas, l’offre ou le site n’étaient pas à la hauteur.

– Face à la réduction des possibilités de personnalisation publicitaire en raison de l’activisme européen, Meta en tête pourra avoir tendance à vouloir allumer un contrefeu en mettant en avant l’extrême efficacité de son algorithme. Pourquoi personnaliser les créas, quand l’outil peut cibler les personnes idoines ?

– Enfin, c’est un moyen détourné et sacrément malin pour vendre de l’inventaire publicitaire additionnel. On ne compte plus les témoignages d’annonceurs surpris de s’apercevoir que leur dispositif publicitaire diffusait sur des emplacements non forcément désirés. Car dernière des wordings aussi flous que « le ciblage avancé » ou l’ « extension d’audience » se cachent de puissants effets de nudges marketing dont le seul but est de surlivrer des impressions publicitaires !

3. Jusqu’à l’impasse ?

Comme toujours : tout est affaire de mesure. Si le virage IA des plateformes publicitaires semble inéluctable comme en témoigne la démocratisation des formats Performance Max, Demand Gen pour Google ou Advantage+ pour Meta… il doit se faire en conscience.

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Alors certes, les performances sont au rendez-vous. C’est ce que démontre cette étude universitaire sur l’univers automobile : +15 % de CTR. Mais reste qu’il semble y avoir deux écueils majeurs à procéder à ce changement :

– La déresponsabilisation : Basculer le pilotage de ses campagnes en mode automatique, c’est faire un pari pascalien. On décide de croire. Et donc, on ne remet plus en cause les décisions prises puisque cela participe de la foi. Autant, on peut discuter des directions prises par un consultant sur le pilotage d’un compte, autant il devient difficile d’en contester la contenance lorsqu’elles sont régies par des règles mathématiques. Le pilotage IA semble bénéficier d’un blanc-seing.

– La perte de maitrise : à force de rajouter des features IA à tous les étages dans leurs plateformes, les régies publicitaires complexifient la compréhension du pilotage des campagnes… au point où on estime aujourd’hui qu’une publicité sur deux générées par l’IA n’est pas identifiée comme telle. Sous-entendu : non seulement les adtechs créeraient plus ou moins à l’insu des annonceurs des déclinaisons créatives automatiques, mais aussi celles-ci seraient diffusées de manière quasi organique auprès du public cible. Une double entaille donc dans le contrat de confiance avec les utilisateurs web.

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