Born Social : comment les moins de 13 ans contournent et utilisent les médias sociaux

Par Élodie C. le 01/10/2018

Temps de lecture : 6 min

Nés avec un smartphone.

Comme chaque année depuis 2016 maintenant, l’agence [tag]Heaven[/tag], auteure en 2012 du fameux Guide de la triche sur les réseaux sociaux, lève le voile sur son baromètre #BORNSOCIAL, décrivant les usages des moins de 13 ans (ici qualifiés de Génération Z), nés dans un monde déjà connecté et multi-écrans : tablette, smartphone, télévision, ordinateur.

Une catégorie d’internautes assez particulière puisque la plupart des réseaux sociaux leur sont interdits. En effet, l’âge limite d’inscription sur les principales plateformes est fixé à 13 ans (Instagram, Snapchat ou YouTube), et 15 ans en France sans autorisation parentale. En marge du RGPD, WhatsApp a relevé cette limite à 16 ans pour les utilisateurs de l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, le ciblage publicitaire à destination des moins de 13 ans est officiellement interdit aux marques : sus à la collecte de données, profilage et autre retargeting. La législation américaine proscrit formellement la collecte des données personnelles de cette catégorie de jeunes, futurs consommateurs en puissance.

Pourtant social media native, les jeunes pousses de la génération Z représentent une population (censée être) invisible. Disons plutôt qu’elle est clandestine. L’année dernière déjà, Arthur Kannas, DG de l’agence Heaven, l’annonçait tout de go : « Ces enfants sont les passagers clandestins des réseaux sociaux, ils sont de plus en plus nombreux à mentir sur leur âge« . Tendance confirmée cette année encore à l’écoute des témoignages de certains jeunes de 6e ou 5e recueillis par Heaven pour l’occasion.

Mais au fait, quels usages ont-ils des réseaux sociaux ? Lesquels ont leur faveur ? Facebook est-il vraiment considéré comme old school et réservé “aux vieux” ? Quel rapport entretiennent-ils avec les marques et quelles évolutions depuis 2017 ?

Une chose est sûre, le smartphone reste l’écran privilégié : “On peut tout faire” dessus. Il est tout autant le symbole d’une nouvelle autonomie acquise vis-à-vis des parents, que la détention d’un tel objet rassure – l’enfant est joignable à tout moment-, qu’un outil de socialisation et de divertissement.

Depuis 2015, on observe une augmentation du temps passé sur internet : +45 minutes en deux ans. Aujourd’hui, les 7-12 passent en moyenne 6h10 à surfer sur la toile chaque semaine. La télévision n’a pas encore à craindre son grand remplacement puisqu’elle reste l’écran numéro 1 en temps passé, même s’il décline sensiblement de 9 minutes par jour entre août 2017 et 2018 pour les 4-14 ans.

Toute la classe est inscrite sur des réseaux sociaux

Que ce soit Instagram, Snapchat, Musical.ly (aujourd’hui TikTok) et WhatsApp, ces jeunes, des filles en majorité (58%), sont présents sur près de 4 plateformes sociales en moyenne, soit une augmentation de 25% en 2 ans grâce à la diffusion des applications de messagerie comme WhatsApp ou Messenger. La disponibilité d’une tablette au sein du foyer a souvent préfiguré leur inscription sur un réseau social, quand leurs parents n’en étaient pas à l’initiative. “Mes amis avaient Snapchat, les magazines en parlaient, tout le monde y est alors je me suis inscrite”, explique tout simplement une jeune fille dans un témoignage recueilli par Heaven. On y discute majoritairement avec ses amis (75%), on regarde, partage et publie photos et vidéos, mais ils sont encore très peu à s’informer. À noter que 1% d’entre eux a tout de même avoué “chercher à faire des rencontres”.

Être sur au moins un réseau social est devenu une norme : plus de 50% sont inscrits dès l’âge de 11 ans, c’est-à-dire en 6e et 90% des élèves le sont en 3e.

Cette année encore, Snapchat reste le réseau social le plus populaire auprès des moins de 13 ans, attiré par la gamification des usages (flammes, Lenses, Bitmoji), suivi par Instagram (66,7%), Musical.ly et WhatsApp. Si Facebook sauve sa place dans le Top 5, c’est au prix d’une dégringolade de près de 20 points par rapport à l’année passée. Confirmant la tendance d’une fuite des jeunes du réseau social créé en 2004 et aujourd’hui considéré comme une plateforme où les “vieux”, les parents notamment, se retrouvent pour parler politique par exemple. Sur Facebook, on ne trouve personne, comme sur Twitter où l’on s’y rend uniquement pour suivre les tweets de Youtubers.

Les grandes plateformes d’alors : Pinterest, Twitter, Facebook et Messenger accusent le coup, tandis que d’autres plateformes méconnues opèrent une percée dans le coeur des jeunes. Plateformes sur lesquelles ils tiennent le rôle d’early adopters en termes d’usage. C’est le cas de la plateforme française Askip (à ce qu’il paraît), une application de messagerie anonyme, Discord, pour créer des groupes de discussion, Yubo, un Tinder pour adolescents (eh oui) et Musical.ly où l’on peut chanter en play-back (comme Dubsmash avec elle). En France, Musical.ly, rebaptisé Tik Tok depuis son rachat par le groupe chinois Beijing ByteDance Technology, compte 2,5 millions d’utilisateurs, principalement des filles (62% des filles de 5e).

À noter que la présence de it-teens sur Instagram, comme la star de la série Stranger Things Millie Bobby Brown, pose des questions sur la représentation des adolescents et l’envie de leur ressembler en adoptant leurs codes et leurs postures. La jeune fille a d’ailleurs été au coeur d’une polémique sur l’hyper sexualisation des jeunes actrices.

À ce titre, 2018 aura été une année charnière pour les réseaux sociaux : RGPD, scandale Cambridge Analytica avec Facebook, étude sur l’impact des réseaux sociaux sur le bien-être, etc. Autant d’enjeux qui semblent avoir été pris en compte par les plateformes : de YouTube Kids, après les vidéos polémiques autour des enfants, Messenger Kids, Tencent en passant par Apple (iOS 12 et sa gestion du temps passé) et Alexa, tous ont intégré des fonctionnalité de vérifications et de contrôle parental. Des fonctionnalités plus destinées à satisfaire les parents qu’à convaincre les jeunes utilisateurs.

« Tout le monde aimerait bien avoir des partenariats et gagner de l’argent grâce à eux ».

Si la collecte des données des moins de 13 ans est interdite, ces derniers restent perméables aux publicités présentes sur des plateformes, puisqu’ils mentent pour s’y inscrire. Sur Instagram par exemple, ces jeunes détectent facilement les contenus sponsorisés de leur Youtubers, mais trouvent qu’il y a trop de publicités similaires et sans rapport avec eux, ils aimeraient « gagner de l’argent grâce aux partenariats » et suivent des marques de luxe dont ils aimeraient s’offrir les produits (« Même si je sais que je ne les aurais pas, j’aime bien regarder »). Dans le même temps, l’usage des adblockers diminue légèrement par rapport à 2017 : le RGPD et le scandale Cambridge Analytica semblent avoir brouillé le message autour de la confidentialité des données, même s’ils restent conscients des traces qu’ils peuvent laisser sur la toile.

La facilité avec laquelle ils adoptent les différentes fonctionnalités proposées sur ces réseaux dénote d’une certaine maturité dans leur usage. Ils n’attachent pas grande importance à leurs publications, sont friands de contenus éphémères (stories, messages sur Snapchat) et font régulièrement le ménage sur leur profil en supprimant des photos ou en en archivant d’autres.

À l’avenir, d’autres questions se posent. Ainsi, verra-t-on l’apparition d’un web générationnel, scindé entre celui des adultes et des jeunes ? La dimension sociale des réseaux sociaux semble miner ces plateformes et les empêcher de s’extraire de la catégorie d’utilisateurs dans laquelle on les enferme. Un réseau social plébiscité par les jeunes pourra-t-il trouver grâce aux yeux des adultes et inversement alors qu’ils n’ont pas les mêmes envies, intérêts, usages, etc. ?

Les plateformes sociales ont vocation à toucher le plus grand nombre d’utilisateurs, notamment pour intéresser un plus large éventail d’annonceurs. Mais la question de la responsabilité des plateformes, des agences, des annonceurs et des parents se pose encore. Cet écosystème doit travailler à sa mise en conformité légale avec en ligne de mire un Zero Data Internet prophétique pour les plus jeunes.

Pour en savoir plus, voici les slides du Baromètre Born Social 2018 :


* Méthodologie : exploitation de données quantitatives apportées par l’association Génération Numérique (16 578 élèves de 5eme et 6eme répondants).

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