Petit précis "d'antécrise" avec Julien Carette, Havas Paris.
Alors que la France vit actuellement son 2e confinement de l’année, la Réclame compte résister à la morosité ambiante avec une nouvelle rubrique : L’Antécrise.
Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole à des dirigeant(es) confiné(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech. Le but ? Impulser une énergie positive pendant cette période complexe. Nous nous interrogerons sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi). On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique.
Nous interviewons aujourd’hui Julien Carette, PDG de Havas Paris.
Comment gardez-vous le moral en ce moment ?
Julien Carette : Je suis un éternel optimiste.
En tant que communicants, notre travail n’est pas de sauver des vies, et il ne nous met pas en danger. On se doit donc d’être exemplaire vis-à-vis du reste de la société : quand on fait un métier lié à la publicité, on est forcément de bonne humeur.
Christophe Coffre, co-président et directeur de la création de l’agence, le dit souvent : « quand les grandes marques prennent la parole, ce doit être une bonne nouvelle ». Les grandes marques essaient d’avoir un regard optimiste sur le monde et de ré-enchanter le quotidien. Nous sommes porteurs de tels messages.
En temps de crise, votre rôle est-il plus que jamais de transmettre de l’énergie positive à vos équipes ?
J.C. : La clé du management, pour moi, c’est l’exemplarité. Si un manager est positif, il embarque le collectif dans l’idée que c’est possible. C’est aussi bête que cela. (rires)
Olivier Bas, vice-président de Havas Paris et expert de la communication interne, managérial, et de la conduite du changement, a écrit un livre qui étaye cette approche : “L’envie, une stratégie”. Olivier a analysé 25 ans d’évolutions des entreprises : il en ressort que l’envie est la clé des transformations réussies. Les gens se mettent dans une posture positive, qui est elle-même liée à des émotions positives. À l’inverse, les crises ou fusions ratées sont souvent engendrées par une succession d’émotions négatives.
A cet égard, l’analyse sémantique du discours des dirigeants dans une séquence de changements comme celle que nous vivons actuellement est intéressante. Dans leurs propos, certains nous incitent à être positifs. Mais ils évoquent ensuite principalement des chiffres, et utilisent des formules telles que « il faut que », « nous devons », « nous sommes obligés de », qui sont des injonctions par la coercition.
À l’opposé, d’autres discours de managers affirment que « c’est possible », que l’on « peut prendre du plaisir en le faisant », que l’on « va se réinventer » et cela change complètement la dynamique d’entreprise. Ce n’est pas une façon d’échapper à la réalité. Mais y faire face avec de l’envie permet de se transformer. Ce qui n’est jamais le cas avec du stress et de la pression.
Qui dit crise, dit décisions difficiles à prendre, notamment d’un point de vue RH. Comment s’y prépare-t-on en tant que dirigeant ?
J.C. : J’ai toujours considéré que se séparer d’un collaborateur, c’est le signe d’un échec réciproque, et donc y compris du manager et de l’agence qui n’ont pas su construire la bonne trajectoire pour la personne concernée.
Quand il faut faire de tels choix, il me semble que la clé c’est de se baser sur la qualité : l’évaluation de la performance, de l’évolution, et de la capacité du talent à faire bouger les lignes. J’essaie toujours d’avoir une analyse qui n’est pas uniquement mathématique et financière de notre modèle.
Dans une crise comme celle que nous vivons actuellement, nous sommes évidemment rattrapés par les chiffres. Quand il y a une vague de décroissance très forte, elle s’impose à vous. Mais même dans ces moments-là, il faut essayer d’avoir une analyse qui repose uniquement sur la dimension qualitative. C’est ce que l’on doit aux salariés.
Aujourd’hui, les éléments de conjoncture sont très contrastés selon les disciplines. Cette année, nous avons connu un reflux très fort sur l’événementiel pour des raisons sanitaires. À l’inverse, nous avons doublé de taille sur le social media. C’est aussi l’intérêt de notre modèle intégré.
Au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, nous percevons que la crise économique est aussi une crise de confiance. La communication publique a-t-elle un rôle à jouer ?
J.C. : Il y a 10 ans avec la crise financière liée aux subprimes, la communication a été jugée comme une des responsables de la crise, un élément structurant. Alors que dans la séquence actuelle, la communication peut être un levier d’apaisement et d’aide à la sortie de crise. C’est vrai pour les marques et pour la communication politique.
Le président de la République a connu des scores d’audience record autour de 25 à 30 millions pour ses dernières interventions. Il y a une attente de la parole politique et une capacité performative de la « compol » qui permet de faire prendre conscience et de changer les comportements.
On dit les Français râleurs, indisciplinés… Et pourtant, le 1er confinement en France a été l’un des mieux respectés au monde. Quand on donne aux Français des éléments clairs d’organisation et des perspectives, ils sont tout à fait capables de se mettre en mouvement. La communication politique est absolument décisive, et nous l’avons vu en bien et en mal dans les séquences de 2020.
Qui de la défiance vis-à-vis des institutions ?
J.C. : Nous vivons dans une société de défiance généralisée, dans laquelle, a priori, nous doutons de tout. Celle-ci n’est pas améliorée par les réseaux sociaux et les fake news.
Si la communication est claire, responsabilisante et sincère, elle marche. Le problème que l’on a eu parfois dans la communication publique – et privée – est que des dirigeants ont asséné de « fausses vérités » alors qu’ils doutaient, qu’ils n’avaient pas toutes les informations en main. Or, les Français n’aiment pas être manipulés, ni être pris pour des imbéciles.
Il faut y faire très attention et s’imposer un travail de sincérité. Les nouveaux leaders politiques, mais aussi les leaders d’entreprises, qui se distinguent sont ceux qui font preuve de transparence et d’honnêteté.
Havas Paris a mené une étude sur le « Meaningful Leadership », ou comment se construisent les leaderships de marques, d’entreprises et de dirigeants de demain. La première qualité qui est attendue d’un leader c’est l’honnêteté et la sincérité. Alors que les critères comme la disruption ou la capacité à cliver sont en bas de la liste.
Le public n’attend plus des leaders qu’ils aient raison tout seul, et disent à tout le monde : « je sais ». On espère à l’inverse des leaders qu’ils disent « je ne sais pas » ou « je ne suis pas sûr » ou « en l’état des données disponibles voici ce que je pense faire, et je vous donne rendez-vous dans 15 jours pour vous en dire plus »… Il y a aujourd’hui une reconnaissance pour le dirigeant ou le politique quand il assume de dire qu’il ne sait pas tout, à l’image de certaines interventions d’Edouard Philippe lors du premier confinement.
Ayons une approche métaphorique : face au tsunami de la crise économique, avez-vous plutôt envie de construire de belles digues, ou au contraire, de vous mettre au surf ?
J.C. : (rires) Je serais plutôt pour le surf, mais sans opportunisme. Les surfeurs sont authentiques. Ils aiment la mer et la nature. Ce sport a une dimension philosophique pour eux.
La vague de transformation de la société préexistait. Elle s’accélère avec la crise.
L’e-commerce était en croissance continue, il explose avec la crise. Même les petits commerces de centre-ville doivent basculer dans une offre digitale pour traverser cette période.
La dimension environnementale était dans tous les esprits, elle est devenue un critère décisif de choix.
La capacité des entreprises à contribuer positivement à leur écosystème et à la communauté – en respectant leurs salariés ou en promouvant le “Made in France” par exemple – est un critère qui gagne en importance.
L’idée que le capitalisme ne doit pas reposer que sur des critères financiers, court-termistes, faisant fi de l’environnement et des personnes, n’a jamais été aussi présente.
Le problème que nous rencontrons est que ces grandes vagues se heurtent à des choses beaucoup plus prosaïques comme la misère, le chômage, l’accès de tous aux biens de première nécessité. On va se retrouver face à une explosion du chômage, de l’aide alimentaire et de problèmes sociaux.
Comment concilier pour les marques, les enjeux d’accessibilité de prix bas et de compétitivité avec les grandes transformations à moyen terme ? Entre fin du monde et fin du mois, il va être difficile d’arbitrer et de trouver la voie juste.
Les marques qui arriveront à être du côté des gens, dans la quotidienneté, dans l’accessibilité, mais avec une perspective de contribution à long terme, seront les marques qui vont gagner. C’est facile à dire en interview, mais c’est très difficile à bien faire de façon structurelle pour demain.
Or la communication a un rôle à jouer pour que les personnes fassent des choix éclairés, en leur proposant de nouvelles façons de consommer, s’inscrivant dans un futur désirable. Quand la communication est sincère, elle est un incroyable levier de transformation positive.