RSE : « La transition écologique est une transition économique »

Par Élodie C. le 23/10/2023

Temps de lecture : 9 min

Un peu plus près chaque jour du business model des entreprises.

Avec Les Experts RSE, la Réclame vous propose un rendez-vous de décryptage et d’analyse sur un sujet ô combien d’actualité, mais non moins complexe et vaste dans les domaines et enjeux qu’il recouvre. Nous souhaitons donner la parole à des experts hors communication pour donner aux agences et aux marques des clés essentielles pour avancer.

Pionnier de la labellisation bio alimentaire, avant de se diversifier dans la cosmétique et le textile, Ecocert certifie et accompagne les entreprises vers leur transition écologique… et économique. La parole à Guillaume Rotrou, directeur de la division conseil et formation RSE et Développement Durable du groupe, dans ce nouveau volet. 

Pouvez-vous nous présenter brièvement le Groupe Écocert ?

Guillaume Rotrou : Ecocert est le pionnier de la certification des produits alimentaires (cosmétiques et textiles depuis) biologiques. Le groupe a été fondé il y a 30 ans par William Vidal (président du groupe) et réunit 2 000 personnes dans 28 pays. Notre métier est d’auditer, certifier tout ce qui permet d’avoir des systèmes de production plus responsables. Et donc de proposer aux consommateurs, industriels et exploitations agricoles, des labels produits reconnaissables pour leurs pratiques responsables .

Ecocert a également créé un pôle d’activités de consulting et de formation (Expert Consulting) depuis trois ans avec deux nouvelles entités intégrées  :

– Des enjeux et des Hommes : cabinet leader des stratégies et formations RSE au service de la transformation des entreprises ;
– Transition développement durable : agence spécialisée dans le développement durable et l’ingénierie au service des systèmes de production plus responsables (sourcing, approvisionnement responsable, transition écologique des territoires et amélioration des systèmes de production alimentaire et agricole). 

L’objectif avec cette entité de conseil et de formation est d’adresser l’ensemble des sujets de la transition écologique et sociale au service de la transformation des ETI, grands groupes et des territoires.

Quels sont les principaux enjeux actuels de la RSE pour les entreprises, et comment Ecocert les accompagne-t-il ?

G.R. : L’enjeu majeur est l’acculturation des équipes dirigeantes à la RSE, un sujet qui gagne en complexité. Il a fallu presque 20 ans pour que la RSE atteigne les conseils d’administration. Le but est de l’intégrer dans les métiers et les systèmes de production.

J’aime à dire que l’enjeu est d’agir pour réussir à provoquer de nouveaux modèles de pensée et de nouveaux modèles d’affaires. Nous devons réussir à dénouer les nœuds de la transition écologique, soit pour préserver les activités, soit pour leurs donner un avenir plus durable ou plus responsable.

La RSE se rapproche de plus en plus du business models des entreprises et c’est ce qui la rend passionnante et indispensable. On ne peut plus accomplir la transition écologique sans intégrer un volet social avec ces nouvelles problématiques qui apparaissent (intelligence artificielle, quête de sens des collaborateurs). Elles sont importantes à intégrer puisqu’elles peuvent constituer une menace pour certains métiers, de l’injustice, mais aussi de nouvelles opportunités. Idem pour tout ce qui entoure les modèles régénératifs. Le volet social de la RSE, c’est être capable de passer d’une organisation très pyramidale à une organisation un peu plus ouverte.

Toutes les entreprises ont-elles vocation à intégrer la RSE dans leur business model ?

G.R. : Oui, 100 % des entreprises devraient intégrer la RSE, quelle que soit la terminologie employée. La transition vers un modèle plus durable est impérative pour toutes les entreprises, qui dépendent toutes des ressources naturelles.

Aucune entreprise n’est à l’abri puisque 100 % des entreprises ont besoin de ces ressources et produisent des externalités négatives. Autre aspect intéressant, ces entreprises sont interdépendantes entre elles et ont intérêt à défendre des intérêts communs. Des coalitions d’acteurs voient le jour pour rendre certaines ressources ou commodité responsables. C’est en se regroupant qu’on parvient à des résultats quand on ne peut pas financer, seul, sa transition.

Pouvez-vous nous donner des exemples de succès ou de bonnes pratiques en matière de RSE qui vous ont interpellé récemment. Que ce soit avec des entreprises avec lesquelles vous avez travaillé ou non.

G.R. : Il est toujours délicat de citer des bonnes pratiques RSE isolées, car il est urgent de désiloter la manière dont on évalue les pratiques RSE des entreprises et dont on mesure leur impact. C’est lorsque la stratégie RSE impacte et infuse le business model et la gouvernance des entreprises qu’elle devient efficace. L’important est d’être en capacité d’interroger le sens de son modèle d’affaire, les risques écologiques et sociaux auquel il est exposé et de conduire une transformation opérationnelle et culturelle adaptée aux nouveaux enjeux. Cela se fait au niveau de son entreprise, mais aussi en embarquant les acteurs de sa filière et de sa chaine de valeur dans une nouvelle dynamique économique collective de financement et de coopération. Il faut du courage, de l’écoute et du leadership pour accomplir ces transformations qui sont parfois en opposition avec le contrat initial et les intérêts court termes de certaines de ses parties prenantes.

Quel conseil clé donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent s’engager sérieusement ?

G.R. : Il y a pas une méthode clé. Cela dépend du profil culturel de l’entreprise, de son business model, son modèle d’activité ou son secteur. Un dirigeant doit définir ce qui constitue aujourd’hui les ressources essentielles de son activité. Si ce sont des ressources humaines, il doit se demander comment améliorer leurs conditions. Si ce sont des ressources naturelles, se demander ce qu’il se passerait si l’entreprise n’y avait plus accès. Ensuite, la question de la fameuse raison d’être doit être posée au prisme de l’utilité sociétale de l’entreprise.

Il n’y a pas une manière de s’engager, du moment qu’on arrive à la transformation, et à l’impact.

Dans un récent post sur LinkedIn, vous êtes revenu sur le film d’Apple, où l’entreprise présente à Mère Nature son projet de neutralité carbone prévu pour 2030. Si vous dites qu’il “provoque une stupéfaction certaine tant il met en scène avec talent tous les poncifs du greenwashing”, vous nuancez votre propos car il présente “quelques marqueurs positifs dans le changement culturel associé à ce récit de transition écologique hollywoodien”. Finalement, il est préférable qu’une telle entreprise s’empare publiquement de ces sujets et les rendent “sexy” quitte à embellir son portrait plutôt que ne pas communiquer du tout ?

G.R. : Aujourd’hui, la question du greenwashing est quelque chose d’acquis, dans le sens où des spécialistes, à l’image des influenceurs, s’en sont emparés et le dénoncent.

Ce qui est intéressant, c’est le changement de références culturelles que ces communications permettent de faire progresser. Le film d’Apple réunit tous les poncifs du greenwashing si on le regarde d’un œil occidental et acculturé à la RSE. En revanche, avec un œil américain, le film représentente un grand progrès en termes de de références culturelles et de récits puisque la RSE au centre de la communication d’une marque qui ne l’a jamais fait auparavant. Apple est une love brand qui n’a jamais intégré la nécessaire transition écologique dans son récit de marque. Encore moins à un tel niveau : le CEO Tim Cook est présent, tout comme Mère Nature (la RSE) qui a toute sa place au sein du Comex.

La contrepartie, ce sont les exagérations du film. On peut décider de voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Ce qui importe, c’est de changer de système de référence. Jusqu’ici, dans la culture américaine, tout ce qui touchait au sociétal ou à l’environnemental était du domaine de la philanthropie ou de l’associatif, les entreprises étant là pour faire du profit. 

En stratégie de communication, il est intéressant de savoir décrypter les signaux faibles derrière ce genre de communication, car ce sont autant d’engagements des marques à progresser. 

La communication autour de la RSE est-elle importante, et si oui, comment les entreprises doivent-elles la gérer de manière authentique et efficace ?

G.R. : Il faut pouvoir communiquer avec transparence, sans se contenter de fournir quelques chiffres pour prouver ses actions. Les entreprises doivent partager leurs réussites mais aussi leurs échecs. Ce récit de transformation intéresse les consommateurs et la société en général. Nous sommes désormais assez matures pour savoir que la transition écologique affronte un modèle économique qui n’est pas tourné vers cette transition. Les marques et les entreprises doivent raconter comment elles investissent et les difficultés rencontrées.

C’est ce que fait Veja sur son site avec sa rubrique “Limites” : “Nos semelles ne sont pas 100 % en caoutchouc, car elles ne sont pas encore assez solides”. Mais c’est mieux que du 100% plastique. Ou, “nous n’avons pas réussi à trouver des financements 100% verts, car cela n’existe pas”, etc.

Quels sont les défis majeurs que les entreprises rencontrent lorsqu’elles cherchent à mettre en œuvre des initiatives de développement durable ?

G.R. : Un défi financier de poser la rentabilité à court terme et à long terme. Un actionnaire qui investit dans une entreprise avec ses économies ou son patrimoine pour avoir des dividendes (rendement à court terme), aura du mal à entendre qu’ils vont être moindres pour pouvoir investir dans la transition écologique. 

Ensuite, il y a des business model très dépendants des ressources naturelles, avec des externalités négatives, et qu’il est difficile de faire shifter d’un coup. Que ce soit pour des raisons sociales lorsque des milliers d’employés sont concernés, pour des raisons économiques, etc. On ne peut pas appliquer la radicalité du changement de manière brutale, il faut composer. C’est la raison pour laquelle il se crée des coalitions d’acteurs, parfois concurrents, réunis autour d’enjeux écologiques communs – développer des sources d’approvisionnement plus responsables, investir dans des filières de recyclage ou financer des projets de collectivités territoriales. 

S’il y a des contradictions économiques et financières, le principal frein reste culturel. Le système culturel occidental est basé sur un modèle productiviste et hiérarchique assez traditionnel, où le système de références de pensée équivaut à « Plus je produis de choses, plus je génère de chiffre d’affaires et de croissance chaque année, plus je suis jugé comme un modèle de réussite ».

Est-ce qu’il peut changer ?

G.R. : Le système de référence est la performance économique, il est donc important d’inclure une notion de multicapital, c’est-à-dire d’intégrer dans la mesure performance d’une entreprise, la partie sociale, autrement dit humaine – turn over, satisfaction des employés, etc. – puis environnementale et financière. Cette dernière domine majoritairement, il est donc nécessaire de pouvoir réévaluer à la performance une entreprise au prisme de ces trois aspects. La transition écologique est une transition économique.

Comment mesurez-vous l’impact des initiatives de RSE au sein des organisations que vous accompagnez ?

G.R. : C’est tout le sujet. La mesure peut se faire de façon assez technique en analysant les changements opérés avant/après la mission (engagement, mentalités, culture d’entreprise, opérationnels. Toutefois, le Graal et le plus difficile à mesurer, c’est l’impact de nos missions sur la transition écologique d’une chaine de valeur. Ce sont des systèmes d’impacts plus complexes. Pour chaque mission, nous donnons des KPI de départ propres à la mission et à ce qu’elle va/doit provoquer comme transformation, puisqu’il n’y a pas de KPI universels pour décider de la réussite d’une transition. 

Enfin, dans l’idéal, l’impact des initiatives RSE s’observe sur la chaîne de valeur et les business models de l’entreprise d’un point de vue environnemental et le social. Ces deux composantes sont toujours un peu systémiques et donc plus difficile à mesurer puisqu’il s’agit souvent d’un travail collectif et collaboratif.

Quelles tendances ou évolutions prévoyez-vous dans le domaine de la RSE dans les années à venir ?

G.R. : La RSE a mis beaucoup de temps à atteindre les Comex et à revêtir ses habits stratégiques. La tendance est là, on parlera presque plus de RSE, mais de stratégie de modèle économique durable et de la manière de renforcer sa résilience.

On se dirige vers une tendance RSE beaucoup plus transformatrice, dans l’entreprise, sur le business model, le social, la gouvernance. Il y aura donc une accélération et des confrontations majeures : il ne peut pas avoir de changement, et encore moins de radicalité du changement, sans tensions. Notamment sur les marchés entre ceux qui parviennent à se transformer et ceux qui n’y parviennent pas. 

Je ne suis pas sûr que Elon Musk soit le roi de la RSE, pourtant, il a proposé un modèle alternatif automobile, peut-être pas idéal, mais électrique et qui n’existait pas avant. 

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