Alain Grandjean : “Il faut aligner les règles de la publicité avec l’urgence climatique”

Par Élodie C. le 09/05/2022

Temps de lecture : 18 min

Les conseils aux marques d’un membre du Haut Conseil pour le Climat.

Avec Les Experts RSE, la Réclame vous propose un nouveau rendez-vous de décryptage et d’analyse sur un sujet ô combien d’actualité, mais non moins complexe et vaste dans les domaines et enjeux qu’il recouvre. Nous souhaitons donner la parole à des experts hors communication pour donner aux agences et aux marques des clés essentielles pour avancer.

Premier invité dans nos colonnes, Alain Grandjean, économiste, entrepreneur et polytechnicien, co-fondateur avec Jean-Marc Jancovici de Carbone 4, cabinet de conseil et d’études spécialisé dans la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique. Membre du Haut Conseil pour le Climat depuis 2018, il a lancé la plateforme pédagogique et engagée The Other Economy en 2021.

Comment jugez-vous la communication RSE des marques aujourd’hui ? Quels conseils leur donneriez-vous ?

Alain Grandjean : Parlons de RSE, avant même de parler de communication RSE. La RSE est un sujet très global et très large. Il recouvre des enjeux de gouvernance, de transparence, des enjeux sociaux, environnementaux, etc., c’est très complexe et ses sujets ne se ramènent pas à une unité commune, comme on parlerait de l’euro. Il y a donc toujours un risque de mettre en avant des réussites et des performances sous une thématique de la RSE pour les faire valoir, mais d’être incapable ou de ne pas vouloir communiquer sur des thématiques ou des angles sur lesquels on est moins bien. 

Certains disent que c’est du greenwashing. C’en est véritablement lorsqu’une entreprise ou une marque, surcommunique sur un sujet où elle est assez performante alors que c’est un désastre sur plein d’autres sujets. Là, c’est grave. D’autres fois, ce n’est pas du greenwashing, mais juste la tentation de mettre en avant ses points forts en éludant ses points faibles.

Ma première recommandation serait de ne pas faire de communication RSE du tout si on a des points très faibles, c’est très dangereux. Si vous êtes moyen partout, ou pas mauvais disons, et très bon ailleurs cela ne pose pas vraiment de problème de communiquer dessus. Si vous avez de grosses faiblesses, c’est très dangereux car les parties prenantes ne vont pas apprécier et avec un peu de recherche, on finit toujours pas trouver. Je ne citerai pas de noms car je n’ai pas envie d’être négatif, mais il vaut mieux être peu offensif sur la RSE tant qu’on n’est pas à un niveau convenable sur un peu tous les angles.

Mon 2e conseil est d’être aussi objectif que possible. Cela ne veut pas dire neutre, mais se fonder sur des méthodes et des métriques reconnues. C’est comme la question des labels : “produits naturels”, c’est sympa, mais cela ne veut rien dire, car il n’y pas de référentiel précis définissant concrètement le terme naturel. Autre exemple avec la problématique de la neutralité carbone : l’emploi de neutre carbone pour l’entreprise est très dangereux aujourd’hui, parce que le sens objectif n’est pas bien défini. Et par objectif, j’entends au sens scientifique du terme. Il est nécessaire de fonder ses communications autant que faire se peut sur des données objectivables et opposables, même si parfois on est obligé de mettre du qualitatif.

Comment expliquez vous que malgré les multiples alertes sur le désastre écologique annoncé, les choses avancent si lentement en matière de politiques publiques et au sein des entreprises ?

A.G. : Il y a plusieurs raisons. 

1. Une raison de formation fondamentale liée au fait que l’écologie est un domaine compliqué et complexe : ce n’est pas une mode et une idéologie. Il ne suffit pas de lire des journaux ou de regarder la télé pour comprendre vraiment de quoi il retourne en profondeur. C’est un enjeu énorme, malheureusement encore d’actualité contrairement à une opinion reçue. Il y a un encore besoin de formation, et pas uniquement d’information et de sensibilisation.

Pourquoi ? Les décisions à prendre pour répondre à la crise écologique sont profondes et difficiles. Dans le cas des entreprises, dire “il faut sortir à terme des énergies fossiles” est très difficile puisque 80% de notre consommation d’énergies est issue des énergies fossiles. Cela nécessite d’avoir une compréhension fine et d’être véritablement convaincu, sans se contenter de dire “’il faut faire quelque chose pour la planète”. La formation permet de prendre le temps de comprendre les tenants et aboutissants dans un monde où l’on est sur- sollicité. Les hauts fonctionnaires par exemple ont des habitudes de pensée difficiles à défaire. Avec une haute opinion de soi-même, d’importantes responsabilités, un “retour à l’école” n’est pas aisé. Ce qui induit la 2e grande raison.

2. Des remises en cause qui peuvent être très fortes. Pour les énergies fossiles donc, mais aussi pour l’agriculture : on a passé des décennies à valoriser et mettre en avant une agriculture productiviste. Mettre en oeuvre une agriculture moins intensive en engrais et en phytosanitaires, cela n’a rien de facile. C’est un  changement de modèle majeur. Il faut voir les choses autrement, prendre des risques, et cela peut avoir un coût. Ce n’est pas parce qu’une activité est plus propre qu’elle est plus rentable. C’est même parfois le contraire et pour une raison assez simple : la nature ne se fait pas payer, elle n’envoie pas d’avocat ou de huissier en cas de pollution, et son coût n’est pas inclus dans nos comptes.

Pour prendre un exemple simple dans un registre un peu différent : du café équitable, pour lequel la part de la marge  revenant aux producteurs est plus importante, est forcément plus cher. Pour l’écologie c’est pareil, être propre c’est mettre en place des dispositifs industriels demandant plus de développement, ce qui peut être plus coûteux. Ce n’est pas spontané dans le système économique actuel de faire des choses propres et sans impact.

Du côté de la puissance publique et des politiques publiques, les difficultés sont également là . On l’a vu avec l’écotaxe sur les camions, une politique qui s’imposait pourtant. On ne peut pas, d’un côté, avoir l’une des parts les plus basses du fret ferroviaire en Europe (- de 10%) et ne rien entreprendre. Ce n’est pas une bonne idée pour le climat, ce n’est pas une bonne idée stratégique – et Monsieur Poutine le rappelle, ce n’est pas non plus une bonne idée en termes de pollution ou d’état des routes. On essaie de mettre en place une écotaxe pour que les camions contribuent  à payer leurs nuisances et on se heurte à une bataille sociale avec les bonnets rouges. De la même manière, sur l’essence et la taxe carbone, nous nous sommes heurtés aux gilets jaunes.

Les politiques d’ensemble qui permettent de réduire l’empreinte carbone de la France dont les émissions de gaz à effet de serre territoriales ne sont pas faciles à mettre en oeuvre, car elles se confrontent à des habitudes, des désirs et des envies. Il y a besoin d’un fort consensus social sur ces questions pour parvenir à des mesures transformantes.

Enfin 3e raison, la justice sociale. Nous ne pouvons concevoir une politique écologique sans une dimension d’accompagnement social importante, comme on l’a vu avec les gilets jaunes. C’est une évidence, et nous l’avons répété plusieurs fois au sein du Haut Conseil pour le Climat. Non seulement la puissance publique doit investir pour transformer les infrastructures, les batiments, changer notre façon de rouler, reconcevoir notre industrie, etc., mais elle doit également investir  pour accompagner cette transformation et la rendre supportable. Toutes ces raisons expliquent pourquoi les choses avancent si lentement.

Les choses ne vont-elles pas s’accélérer à présent ?

A.G. : Elles vont s’accélérer – malheureusement  – à mesure que les dégâts deviennent importants pour notre environnement et pour nous-mêmes. Le continent indien vit actuellement une canicule exceptionnelle, un épisode climatique extrême où il fait très chaud et humide. Le corps humain n’est pas fait pour résister à de telles conditions, il ne peut pas se ventiler. Les Indiens sont aux premières loges du changement climatique, mais cela ne concerne pas encore vraiment les Français, ni ne fait la une des JT. Mais des problèmes de ce type vont malheureusement  nous concerner. 

Dans toutes les prédictions réalisées par les scientifiques du climat, dans l’hypothèse où l’on ne corrige pas la dérive climatique – avec la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, des zones entières de la planète deviendront strictement inhabitables. On vit actuellement un aperçu de ce que cela signifie, mais on n’en parle pas beaucoup. Il faut des impacts sensibles, cela arrive de temps en temps en France, et malheureusement bientôt de plus en plus. Au fur et à mesure, les uns et les autres comprendront qu’il faut changer de manière significative.

Ne sera-t-il pas trop tard ?

A.G. : Le GIEC ne dit jamais que c’est trop tard. Et ce pour une raison très simple : tout dixième de degré de hausse de la température en moins compte, quel que soit le moment où vous émettez des gaz à effet de serre, c’est mieux que de ne pas le faire. En revanche, cela peut être trop tard pour atteindre une cible très précise. Le changement climatique a cela d’extraordinairement préoccupant que plus on le laisse s’emballer, plus les désastres vont être élevés. Mais en contrepartie, plus on fait des efforts plus on limite la casse.

Parlez du projet associatif The Other economy que vous avez initié avec Marion Cohen. Quelle est sa vocation, son ambition ?

A.G. : Comme je l’ai dit précédemment, nous ne pouvons séparer l’écologie de l’économie avec le monde dans lequel on s’inscrit aujourd’hui. Notre première ambition avec The Other Economy est de développer une pensée économique qui met les questions de ressources naturelles et d’écologie au cœur du raisonnement. Il n’y a pas d’un côté l’économie et de l’autre l’écologie ou d’un côté un bon développement économique et “ah dommage ça fait mal à la nature ». 

L’écologie scientifique, c’est la science des ressources naturelles et du vivant. Nous vivons sur une seule terre, une planète finie que nous abimons considérablement par notre activité économique, mais aussi parce que notre raisonnement économique ne tient pas suffisamment compte des ressources naturelles : quand vous faites les comptes dans une entreprise donnée, les prélèvements sur la nature ne sont pas spontanément comptés dans les dépenses. Si vous réparez la nature, vous n’obtiendrez pas un bénéfice supplémentaire. L’économie de marché n’intègre donc pas spontanément les enjeux écologiques.

Dans la littérature économique la plus courante, ce qu’on appelle “la pensée dominante”, et à l’écoute des économistes représentatifs de cette pensée, on entend assez peu parler d’écologie, ou alors d’environnement, comme si c’était une sous discipline de l’économie. Or l’économie ne peut pas se développer sur une planète dévastée. 

Notre ambition est en outre de développer cette nouvelle pensée de la manière la plus vulgarisée et accessible possible. Nous pensons que l’économie n’est pas une affaire de spécialistes,  mais une affaire profondément démocratique. Nous devons tous avoir accès à des raisonnements, des débats et des discussions sur ces questions-là pour forger notre point de vue.

Avec The other economy, nous rendons accessibles aisément une problématique, des ressources, que ce soit des sites internet ou des livres, des éléments de raisonnement qui permettent à chacun de se faire une conviction sur les liens entre écologie, économie et finances.

Dans le flot des communications RSE, de nombreuses marques vantent la neutralité carbone de leurs activités, produits ou services grâce aux démarches de compensation (planter des arbres). Dans son avis d’experts publié en février dernier destiné à tous les professionnels de la communication et du marketing, l’ADEME (l’Agence Nationale de l’Environnement et de la Maîtrise d’Énergie) tance l’argument — trompeur — de la neutralité carbone dans les communications des entreprises. Il s’agirait plutôt de communiquer sur les différents leviers de contribution à la neutralité carbone collective, en particulier la réduction massive de leur empreinte carbone et le financement de projets de compensation. Qu’en pensez-vous ?

A.G. : Je suis également associé de la société de conseil Carbone 4 et donc à ce titre très content que l’ADEME reprenne cela puisque c’est l’idée et la conviction forte que nous n’avons cessé de véhiculer.

La neutralité carbone est un concept scientifique qui concerne la planète dans son entier. Elle deviendra neutre en carbone quand les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, anthropiques, seront égales à l’absorption des écosystèmes anthropiques séquestrant le carbone.

Une entreprise donnée ce n’est pas la planète, il n’est donc pas question que des centaines de millions d’entreprises soient toutes neutre carbone puisqu’elles ne peuvent pas avoir leur propre trou où emprisonner leurs émissions de CO2, tout comme un ménage non plus ne peut pas être neutre en carbone.

Une deuxième raison, liée à la notion de compensation : si toutes les entreprises se limitaient à planter des arbres sans réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, le total de ces actions-là ne conduirait pas à la neutralité carbone. Pour que la planète soit neutre en carbone, il faut que les émissions baissent, c’est la priorité absolue. La capacité de stockage globale est très insuffisante aujourd’hui  : les forêts et les systèmes naturels (la biomasse) absorbent une petite moitié des émissions de CO2, et personne ne conçoit que l’augmentation des forêts soit susceptible d’absorber l’autre moitié. D’autant moins que le bilan forestier global aujourd’hui est à la déforestation. 

Enfin planter un arbre et réduire ses émissions, ce ne sont pas les mêmes horizons de temps (l’arbre met du temps à stocker du carbone) et il y a beaucoup de risques que cet arbre brûle ou soit détruit au cours de sa vie, rien ne garantit sa survie. Le terme de compensation est donc en fait mensonger.

La notion de contribution est plus intéressante : si une entreprise contribue à une action dont elle est  certaine qu’elle est efficace, c’est un don fait hors de sa chaîne de valeur. C’est positif car cela aide d’autres acteurs à atteindre leurs objectifs. Mais bien sûr, cela ne suffit pas pour exonérer de sa responsabilité de baisser les émissions de gaz à effet de serre, et de CO2 en particulier.

Y-a-t-il une prise de parole de marque qui vous a interpellé récemment ?

A.G. : Oui, celle de la MAIF que je connais un petit peu. Les citoyens ont besoin d’un assureur engagé, et besoin que toutes les entreprises s’engagent avec des preuves que c’est réellement le cas. La MAIF a un certain nombre d’actions concrètes que font valoir leur publicité et je pense qu’elles vont dans le bon sens.

Mustela aussi (marque de cosmétiques naturels et soins de peau pour bébé) se rend compte qu’elle est amenée à renoncer à certaines gammes de produits trop polluants. Pour mettre en œuvre cette démarche RSE globale, il va probablement falloir renoncer à des opportunités et des activités. Il est important que certaines marques osent le dire et le faire.

Comme je l’ai dit précédemment, nous dépendons beaucoup de l’énergie fossile, s’il est difficile de s’en passer, dans certains cas, il va tout simplement falloir s’arrêter. Toutes les entreprises qui communiquent de manière convaincante sur ce à quoi elles ont renoncé sont utiles, car cela fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’effectuer des changements à la marge ou de répondre à une mode.

Sur le site de The Other economy, il est écrit : le « discours économique » a acquis un poids déterminant sur l’organisation du monde. Un discours reposant sur les recherches académiques les plus répandues, mais simplifiées à l’extrême au point d’en faire des arguments d’autorité, et qui se voit ensuite véhiculé dans le débat public par les think tank, les décideurs politiques, les chefs d’entreprises et les médias notamment. À quoi faites vous référence précisément, pouvez-vous nous donner un exemple ? 

A.G. : La raison pour laquelle nous distinguons le discours économique et le travail académique, c’est que le premier est une simplification du deuxième. Il devient dominant dans le sens où il est répété par le personnel politique, les journalistes économiques, etc.

Quelques exemples de discours économiques : “ceux qui nous disent que le monde est fini ont tort de nous inquiéter, car la science et le progrès technologique vont toujours trouver des réponses à cette question-là”. “Si nous n’avons plus de pétrole, nous trouverons une autre source d’énergie” etc. “Il suffirait de mettre un prix, une écotaxe aux pollutions et cela résoudra le problème”. Et ce, parce que “les marchés sont efficaces”, autre idée reçue permanente. Si on ose dire que les marchés ne sont pas forcément efficaces cela signifie alors forcément qu’on est communiste ou planificateur. Tout cela est grossièrement caricatural.

Autre sentence : “Il faut réduire les dépenses publiques pour atteindre l’équilibre budgétaire, car l’État est comme une ménagère et doit équilibrer son budget comme une ménagère le ferait”. Ce sont des idées reçues assénées en permanence et crues par les uns et les autres parce qu’elles sortent de la bouche d’économistes. Autre exemple évident : “la création monétaire est inflationniste”. Tout le monde le croit, c’est pour cela que nous avons besoin de pédagogie et de prise de recul, car l’économie est un peu austère, souvent perçue comme un domaine d’experts.

Dernier point, à la veille d’élections législatives : nous ne pensons pas que tout est politique en matière d’économie. Certes, l’économie a un impact sur la vie politique, elle n’est pas neutre, ses décisions ont des effets, mais certains propos ne sont pas nécessairement biaisés par un choix politique. Il y a des affirmations plus solides que d’autres!

Comment débunker un tel discours “dominant” ? Quels sont ses effets ?

A.G. : Nous organisons des modules dans The Other Economy, et nous déconstruisons, par thème, les idées reçues en proposant une série d’affirmations importantes et essentielles que nous documentons.  

TOE est, selon nous, facile d’accès en premier niveau de lecture. Et tout ce qui est affirmé est sourcé et renvoie à des documentations de plus en plus sophistiquées au fur et à mesure de l’envie du lecteur.

Aujourd’hui, un peu trop de poids est mis sur le complotisme : des esprits sensibles et amateurs de thèses complotistes se sentent impuissants, comme des bouchons sur l’eau, et ont l’impression que des forces occultes leur voudraient du mal. La seule manière de résister à cette sensation est de reprendre un peu de maîtrise et le mieux pour cela c’est de comprendre. 

Evidemment, derrière TOE il y a une philosophie politique, nous ne sommes pas complètement neutres. La philosophie politique c’est lorsque certaines choses sont de l’ordre des faits, et non d’opinions politiques, comme le changement climatique. Nous sommes convaincus que distinguer les faits des opinions, les hypothèses des savoirs est fondamental dans le domaine de l’économie comme dans tout le reste de la vie sociale et politique. C’est un préalable méthodologique pour nous, et le deuxième c’est l’amélioration du bien-être des gens et du respect de notre planète.

Il est extrêmement dangereux, pour des raisons politiciennes ou autres, de refuser les faits. La théorie du grand remplacement poussée par monsieur Zemmour par exemple n’est pas de l’ordre des faits. 

Les agences, les entreprises, les marques ont-elles un rôle à jouer dans la déconstruction de ce discours ou la présentation d’une alternative ? 

A.G. : Oui. Par défaut, elles risquent de jouer le rôle inverse. L’exigence de franchise, de vérité est importante, et induit de prendre du recul par rapport à certaines tendances que les agences de communication suivent spontanément, en jouant le jeu des intérêts financiers de leurs clients. Il faut être extrêmement très vigilants et c’est dans l’intérêt des agences. Pour prendre un exemple extrême, certes, mais très connu : lorsque la société spécialisée dans l’audit, Arthur Andersen a, au moment du scandale Enron de 2002, accepté de valider des chiffres qui étaient faux, la conséquence en a été son dépôt de bilan.

Les agences prennent le risque, si elles ne sont pas vigilantes, d’être rattrapées par des procès et des scandales; la société civile, le temps passant, est de plus en plus informée et exigeante. Même si d’énormes progrès ont été faits en matière de maîtrise de la qualité des produits – il y a moins de morts du fait d’intoxication alimentaire qu’il y en a eu dans le temps – les scandales alimentaires récents montrent que les marques doivent être plus exigeantes que jamais..

Être très sérieux sur les informations que l’on donne est absolument essentiel pour la vie collective. Être sérieux c’est simplement reconnaître les faits, les raisonnements et les logiques.

La loi climat et résilience devant réguler la publicité est mise en application cette année, qu’en attendez-vous. Vous êtes signataires d’une tribune dénonçant les renoncements du gouvernement sur l’interdiction des publicités pour les produits polluants ?

A.G. : C’est très lié à mon point précédent, merci d’en parler. Il faut choisir. On sait  collectivement que le changement climatique est une cause essentielle, qu’il faut prendre à bras le corps ce sujet sous peine de conséquences cataclysmiques dans le monde entier. On prend le sujet au sérieux, et tellement au sérieux que l’Etat français a pris des engagements, avec une stratégie, etc. Cette cause-là suppose que les uns et les autres aient de moins en moins recours, et bientôt plus du tout, aux énergies fossiles. Par conséquent, toutes les publicités qui suscitent des comportements opposés, comme l’augmentation de l’usage des énergies fossiles, sont totalement contradictoires avec la stratégie mise en place, car elles mettent des gens/consommateurs dans une situation complètement schizophrénique et intolérable.

On ne peut pas dire d’un côté, il faut réduire notre consommation d’essence, de gasoil et autres, et dans le même temps accepter un matraquage publicitaire et médiatique sur les gros véhicules. Si on explique que l’industrie automobile doit vendre des SUV, car c’est ce que demandent les consommateurs, je réponds évidemment, et c’est bien de cela dont il est question. Il faut traiter cette contradiction et cesser de tenter les consommateurs. Une fois encore, la politique publique est difficile. Oui, ce sont des choix difficiles, mais nécessaires si on veut résoudre le problème.

Autre exemple qui m’a fait rire, mais est typique : la finance a inventé les obligations vertes, ce qu’on appelle les « green bonds ». Les entreprises d’aéroport qui avaient besoin de réaliser des travaux dans leur aéroport, et les ont fait proprement et écologiquement avec du bois certifié, etc., ont été éligibles à une obligation verte. C’est une plaisanterie ! Il faut réduire les vols aériens, c’est la priorité de tout le secteur aérien, il n’y a rien d’autre à faire. Là, c’est vraiment du greenwashing.

La publicité est un enjeu essentiel, et loin de moi l’idée de penser que la publicité est la cause de la destruction de la planète, mais si les règles du secteur publicitaire ne sont pas alignées avec ce qu’il faut faire pour corriger le désastre climatique, cela ne va pas dans le bon sens. Il faut aligner ces règles-là. C’est difficile, certes, car les entreprises ont tendance à vouloir continuer à vendre leurs produits, c’est plus facile pour elles. On ne peut pas opposer les consommateurs et les entreprises, dire d’un côté “faites tous les efforts”, mais nous allons continuer à vous faire de la pub, vous tenter, puis vous culpabiliser.

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