L'interview de Gildas Bonnel, président du conseil d’administration de la FNH.
Avec Les Experts RSE, la Réclame vous propose un nouveau rendez-vous de décryptage et d’analyse sur un sujet ô combien d’actualité, mais non moins complexe et vaste dans les domaines et enjeux qu’il recouvre. Nous souhaitons donner la parole à des experts hors communication pour donner aux agences et aux marques des clés essentielles pour avancer.
Dans ce troisième volet, nous donnons la parole à Gildas Bonnel, un grand spécialiste de la com’ RSE. Mais nous ne l’invitons pas en tant que fondateur de l’agence Sidièse ou président de la commission RSE de l’AACC, mais en tant que président du conseil d’administration de la Fondation pour la Nature et l’Homme.
Vous avez été récemment nommé président du CA de la FNH, quels sont les nouveaux axes stratégiques de la Fondation ?
C’est en 2004 que j’ai découvert le sujet transition écologique (j’avais créé mon agence Sidièse fin 99) : j’ai eu un choc avec un brief de l’ADEME sur la façon de parler dérèglement climatique aux enfants. Ce brief a changé ma vie, le parcours de l’agence et m’a donné l’occasion de rencontrer la FNH à cette époque-là puisque nous nous sommes associés au “Défi pour la Terre”, un important programme de la fondation.
C’est presque 20 ans après que je reviens à la Fondation pour prendre la présidence de cette association qui est, pour le communicant que je suis, une fondation très inspirante, car elle met au cœur de son modèle, le diptyque entre l’expertise scientifique et la mobilisation des publics. C’est une position très singulière de se donner pour mission de lever les freins empêchant la transformation et la transition écologique de notre société. Si nous voulons lever ces freins — désolé pour la langue du bois — il faut “inspirer les courages, lever les clivages”, trouver des mécanismes de mobilisation. La part de la communication, de la bonne écoute et analyse de ce qui font les freins au changement chez nos concitoyens est très important.
Les axes stratégiques de la FNH ce sont principalement la biodiversité, l’agriculture et la lutte contre les pesticides dans ce secteur, l’alimentation, l’élevage, la restauration collective et la mobilité. Certains sujets ne sont actuellement pas traités, comme l’énergie, mais le travail ne manque pas pour une fondation qui compte aujourd’hui 26 salariés.
Comment s’adapte-t-elle pour répondre aux attentes consommateurs/citoyens sont de plus en plus attentifs aux engagements écologiques et sociétaux des marques et soucieux des enjeux climatiques ?
G.B. : Pour répondre à ces attentes, la FNH a un rôle de vigie, notamment via le conseil scientifique (dont la présidence a été confiée à François Gemenne). Ces experts de haut niveau peuvent nous alerter sur les grands enjeux qui se précipitent dans le débat public afin de nous puissions prendre position ou sur lesquels nous pouvons agir.
Nous sommes à même d’écouter les attentes de nos concitoyens via un baromètre sur l’humeur écologique des Français (avec Odoxa) : il mesure à la fois l’angoisse, le stress et le sentiment d’incapacité des Français. 7 Français sur 10 ressentent les effets du dérèglement climatique dans leur quotidien, 4 sur 10 pensent à déménager à cause de ses effets (inondations, etc.).
Notre mission est d’écouter à la fois les attentes et la recherche de solutions. Nous sommes guidés par cette vision des grands enjeux globaux pour lesquels nous devons faire des plaidoyers auprès des décideurs publics et économiques. Nous devons également être à hauteur d’Homme et de Femme de façon à parler solution pour expliquer aux gens comment ils peuvent agir. C’est ce qui créé autant de stress, cette incapacité à agir. Il n’y a rien de plus désangoissant que d’agir.
Il y a quelques années, j’avais lu une étude expliquant que le sentiment de bonheur était 20 points plus haut chez les personnes engagées dans le monde associatif. C’est un appel aux bénévoles qui veulent rejoindre la Fondation (rires). Nous avons actuellement 30 000 bénévoles et 160 000 donateurs. Même dans la bourrasque vécue récemment par la Fondation avec l’affaire médiatique de Nicolas Hulot, ils nous sont restés fidèles.
Quels sont, selon vous, les domaines où les entreprises ont le plus de progrès à faire en matière de RSE ? Et quels sont les secteurs qui sont en avance dans ce domaine ?
G.B. : Pour les spécialistes RSE, le reporting financier est l’un des principaux enjeux à venir à l’échelle européenne concernant la mesure des impacts, puisque cela va driver les investissements de la transition écologique.
Toutefois, pour les entreprises, l’enjeu essentiel à venir concernera les ressources humaines. Il s’agira de s’adapter à la concomitance des crises climatiques, environnementales – qui ne fait que commencer – et technologiques, avec émergence de l’IA. Cela va caractériser un moment où il sera indispensable d’accompagner les salariés dans leur compréhension et leur adaptation à des conditions de vie et de travail nouvelles, ainsi qu’à des changements de métier. Enjeux auxquels il faut ajouter le social, l’inclusion, la façon dont on intègre une génération de jeunes inemployés et non formés, mais aussi en situation de handicap… Le domaine des RH n’en est qu’au début de sa révolution en matière de RSE.
Quand j’entends une marque dire qu’elle forme ses employés à d’autres métiers pour pallier l’arrivée de l’IA ou de l’automatisation… on supprime des postes, point, le reste ce sont des éléments de langage. Il n’y a jamais eu autant de publicité sur la marque employeur. On pense que la RSE — et c’est vrai — est un outil formidable d’attractivité des talents, nous restons donc autocentrés sur la meilleure façon de recruter des talents, pour garder les collaborateurs, gérer les demandes de télétravail, etc. Ce que propose la RSE, c’est de lever le nez, de se décentrer, alors même qu’on sait que dans nos services de nombreuses personnes vont disparaitre pour être remplacées par de l’intelligence artificielle : comment prépare-t-on l’adaptation et leur futur alors que le système économique a défendu le fait qu’une réforme des retraites serait bénéfique ? Dans une filière com’ de l’AACC, les +60 ans représentent 2% : où vont ces salariés au sein des agences ?
Pour les secteurs, si on chausse les lunettes de l’Accord de Paris, il y a trois gros blocs d’émissions, le bâtiment (rénovation thermique, construction), l’agriculture et le transport. La Fondation compte la SNCF comme partenaire de longue date. Il y a également de vrais sujets d’arbitrage entre la route, le train, l’avion, la façon dont on repense l’autoroute et on l’insert dans le débat public.
Comment expliquez-vous que malgré les multiples alertes sur le désastre écologique annoncé, les choses avancent si lentement en matière de politiques publiques et au sein des entreprises ?
G.B. : Qu’est-ce qui bloque la décision publique/économique ? C’est l’enchevêtrement de liens, d’enjeux, qui rend la tâche ardue. Ce qui nous intéresse à la FNH, c’est d’essayer de détricoter et d’analyser cet enchevêtrement. Il y a toujours une raison de ne pas faire. C’est pour cela qu’on aime bien la controverse : on a besoin d’entendre et de travailler avec toutes les parties prenantes. Lorsque l’on travaille sur élevage et qu’on échange avec Interbev (l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes, NDLR), nous sommes tenus de comprendre toutes les contraintes et tous les impacts de la décision (pour les éleveurs et la biodiversité).
Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est de prendre et d’avoir le temps d’analyser tous ces freins – économiques, politiques, sociaux, psychologiques. Ce dernier point m’intéresse particulièrement, notamment chez Sidièse : dans la conduite du changement, qu’est-ce qui bloque la décision de changer ? Pourquoi une personne qui prend sa voiture tous les matins pour subir une heure de bouchon quotidien et dépenser de l’argent en essence, voire en stationnement, ne passe pas à l’étape d’après ? Les neurosciences nous apprennent énormément sur cet aspect-là. Le nudge est une partie de la solution. Nous sommes allés échanger avec des neuroscientifiques sur ces sujets et ils nous racontent énormément de choses sur ce qui se passe dans notre prise de conscience ou quelles sont les étapes nécessaires à une conduite du changement pérenne et durable dans le temps. On connait les solutions, on sait comment les financer, mais on ne sait pas encore pourquoi la bascule ne s’opère pas.
Quels conseils donneriez-vous à une marque ou une entreprise pour mener à bien une communication RSE ? Comment sensibiliser aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques ?
G.B. : La communication RSE n’est pas une communication d’experts, comme la communication financière ou RH. La communication RSE, c’est la communication qui vise à contribuer pleinement à l’émergence d’un nouveau modèle pour l’organisation qu’elle sert ainsi que pour la société au sein de laquelle elle s’inscrit. Elle doit porter à la connaissance de ses publics les engagements et initiatives de sa marque et de son organisation, mais aussi être une communication d’engagement qui se dit qu’elle doit être contributive, plus sobre, plus respectueuse, moins émissive dans ses modes de production. Ensuite, dans les représentations qu’elle véhicule et les modèles qu’elle génère dans la société, elle doit être porteuse d’un nouvel imaginaire. Nous n’en sommes pas loin.
Lors de l’assemblée générale de l’AACC, elle est apparue comme un chantier prioritaire, la communication RSE n’est plus la “commission du bout du couloir” comme j’ai pu la connaitre en 2008, celle des experts. C’est un enjeu éminemment stratégique pour l’attractivité et la valorisation de nos métiers, pour l’utilité sociale que nous représentons.
La collaboration avec les entreprises est souvent un levier essentiel pour promouvoir des pratiques plus durables. La FNH travaille-t-elle avec des marques ? Si oui, comment ?
G.B. : La FNH parle à tout le monde, aux décideurs politiques, au monde économique, aux citoyens. C’est dans l’ADN de la fondation de créer des passerelles entre ces différents mondes, se comprendre et s’allier pour trouver des consensus, parfois des compromis, pour faire émerger des solutions.
Nous travaillons avec des entreprises dans une logique de mécénat. Avec la SNCF, sur la mobilité, avec la MAIF autour des sujets sur la mobilisation citoyenne avec “J’agis, je plante”. Lors du dernier diner des partenaires, j’ai notamment rencontré API restauration (10K collaborateurs), avec qui nous œuvrons sur notre programme de restauration collective. Avec cette présidence, je souhaite dynamiser le lien avec les entreprises. La FNH a une position très claire vis-à-vis du monde économique, à la différence d’autres associations peut-être plus rétives : les entreprises sont un levier de mouvements colossal et lorsqu’elles collaborent à nos programmes, ce sont des émetteurs auprès de leurs collaborateurs, clients et adhérents.
Les citoyens accordent davantage leur confiance aux entreprises plutôt qu’aux politiques pour trouver une solution à la crise. Elles doivent être au rendez-vous et nous très vigilant sur le contrat de confiance avec les entreprises partenaire pour éviter toute instrumentalisation. C’est très difficile de faire cela aujourd’hui où tout se sait.
En tant que conseil en communication responsable avec Sidièse, je le dis depuis 15 ans : c’est très constructif de travailler ces grands sujets d’engagement avec des parties prenantes externes. Elles peuvent à la fois être une caisse de résonance, mais aussi apporter un champ d’expertise, être une veille précieuse, ou un bon camarade qui amende ou valide une expression.
Y a-t-il une prise de parole, une campagne ou une initiative de marque qui vous a interpellé récemment ? Si oui, laquelle ?
G.B. : Pour La Poste, Sidièse a pensé un film “Facteurs du changement” co-réalisé par Cyril Dion et Thierry Robert. Les équipes de production ont eu la possibilité d’aller vérifier ce que faisait La Poste pour sa décarbonation et nous nous sommes engagés à ce qu’il n’y ait aucune coupe, rabot, ou censure que ce soit. Cela donne une posture de communication tellement rare, le courage est tellement rare dans ce métier.
C’est une communication qui tente de sortir de son adnocentrisme et prend le risque d’être observée, jugée et interrogée par un tiers qu’elle sait activiste et volubile. Philippe Wahl a accepté de venir à la soirée de présentation du film sans même l’avoir vu. J’ai trouvé ça fou de courage pour la communication de cette entreprise.
Lors d’une précédente interview “Quel avenir pour la com’ RSE ?”, vous estimiez : “Nous pourrons parler de maturité dans la communication RSE des marques, lorsque cette dernière sera totalement intégrée dans le business model et les statuts de l’entreprise”. Pouvez-vous nous partager un exemple concret d’entreprise qui a réussi à intégrer avec succès la RSE dans son business model et qui a obtenu des résultats tangibles ?
G.B. : Non. Aujourd’hui il n’y en a pas. En revanche, et c’est notable, nous sommes sur un chemin, l’entreprise à mission. La mission, pour celles qui le font vraiment, c’est dépasser le champ de la RSE, qui n’est que le pilotage de ses impacts sociaux et environnementaux. C’est déjà un énorme job, et plus que de la compliance (de la mise en conformité, NDLR) et du normatif. C’est la volonté d’avoir de nouveaux radars dans le poste de pilotage de l’entreprise.
Lorsque l’on rentre dans le champ de la mission, il faut écrire et décider que l’énergie, le modèle économique de l’entreprise doit avoir un impact sur une chose spécifique dans la société. Les entreprises qui font sérieusement ce travail commencent à bouger de modèle et réfléchir à la façon dont elles vont opérer leur alignement. Cela me rend confiant, même si nous faisons face à un problème d’accélération de la crise qui me rend extrêmement pessimiste et grave, mais des organisations se mettent en ordre de bataille. Maintenant, il va falloir cavaler, cavaler, cavaler.
Quels sont les projets de la Fondation pour la Nature et l’Homme et quelle est votre vision pour l’avenir de la collaboration entre les acteurs de la RSE et les entreprises ?
G.B. : Mieux promouvoir le conseil scientifique, mieux valoriser le travail des chercheurs, car nous avons énormément besoin de connaissance. Dans la mobilisation des publics, il faut porter des solutions, donner aux mains tendues des solutions vraiment faciles à agir. Nous avons besoin d’activer cette envie d’agir, et donner des solutions à l’action.
Ensuite, il s’agira de tisser des liens avec le monde économique, chercher des consensus, faire travailler ensemble des gens qui ne s’entendent pas forcément, éclairer les controverses, bref créer de l’intelligence collective. Et lorsque nous n’avons pas de position sur un sujet, le dire. C’est néanmoins intéressant d’entendre et de mettre en lumière des positions divergentes. Il y a un goût pour la radicalité qui excite la même glande de notre cerveau qui libère de la dopamine lorsque nous recevons des likes et que nous sommes “récompensés”, c’est du shoot.
Aujourd’hui, le champ de la communication et de la politique est sous dopamine. Sur de tels sujets, il est donc important qu’il y ait des endroits où l’on puisse prendre le temps de l’analyse, du partage, de la conviction et d’accepter le dissensus, car ce sont des affaires sérieuses. Nous avons tous besoin de savoir où nous pouvons lire une information qui soit claire, accessible et qui puisse éclairer nos choix.