L’interview de Galitt Kenan du Jane Goodall Institute France.
Avec Les Experts RSE, la Réclame vous propose un nouveau rendez-vous de décryptage et d’analyse sur un sujet ô combien d’actualité, mais non moins complexe et vaste dans les domaines et enjeux qu’il recouvre. Nous souhaitons donner la parole à des experts hors communication pour donner aux agences et aux marques des clés essentielles pour avancer.
Dans ce deuxième volet, nous donnons la parole à Galitt Kenan, directrice générale du Jane Goodall Institute France, dont la fondatrice, éthnologue et anthropologue britannique mondialement connue, est messagère de la Paix auprès des Nations Unies. Partenaire de Ad For Good et de 1% pour la planète, l’Institut accompagne les marques, villes et entreprises avec une approche holistique et apolitique.
Les citoyens sont de plus en plus attentifs aux engagements écologiques des marques (près d’un Français sur trois – 31 % – s’est déjà renseigné sur l’engagement social et environnemental d’une marque et près des deux tiers – 60 % – sont intéressés par le faire. Source : Ipsos) Trouvez-vous que les marques et entreprises répondent à ces nouvelles attentes ?
Galitt Kenan : Les marques, comme l’ensemble des citoyens, ont pris conscience des enjeux : nous faisons face à une crise climatique, à un effondrement de la biodiversité, à des enjeux systémiques dans lesquels chacun d’entre nous a un rôle à jouer. Il est extrêmement important que chacun s’engage, puisque chacun d’entre nous a un impact sur l’environnement, c’est donc à nous de choisir quel impact on souhaite avoir : les entreprises, comme les Etats, les collectivités et les individus.
En ce qui concerne les entreprises, elles ont toutes un rôle à jouer. Les grandes entreprises car elles sont en position de faire basculer l’ensemble de leur industrie, elles ont un devoir d’exemplarité et peuvent faire bouger les lignes auprès de l’ensemble de la chaîne (fournisseurs, clients). Les petites entreprises, par leur agilité, leur adaptabilité, ont également un rôle important à jouer.
Les marques et entreprises auront-elles d’autres choix que de s’engager à moyen / long terme ?
G.K. : On a toujours le choix. Il semblerait que certains soient plus lents que d’autres, néanmoins certaines choses ne sont plus acceptées de nos jours. Pas uniquement par un petit groupe, mais par une majorité de gens : le simple fait de voir des entreprises reculer sur des projets d’investissements lourds aux conséquences extrêmement néfastes sur la biodiversité sont des exemples que l’actualité nous offre jour après jour. Comme celle qui voit des entreprises du CAC 40 prendre en compte ce risque réputationnel, elles sont obligées de prendre en compte le risque de voir leurs clients déserter.
S’ils ne le font pas immédiatement, parce qu’ils ont conscience de leur rôle et de leur impact, ils seront obligés d’évoluer face aux réactions de leurs clients et fournisseurs.
Y a-t-il une prise de parole, une campagne ou une initiative de marque qui vous a interpellé récemment ? Si oui, laquelle ?
G.K. : L214 a lancé une campagne il y a quelques semaines pour alerter sur les conditions d’élevages des poulets utilisés dans une chaîne de fast-food… Comme toujours c’est percutant, immédiat, et cela nous met en face de nos contradictions et de nos dissonances cognitives.
Ce qui m’impressionne, ce sont ces nouvelles marques qui se créent en prenant en compte l’interaction du vivant : que ce soit la boulangerie végétale et totalement vegan, Land & Monkeys, qui a réussi à se développer de façon incroyable à Paris et en France, ou encore dans le domaine de la cosmétique, avec tout ce qui touche aux gammes solides, écologiques, engagées, comme peut l’être Beauty Disrupted. Toutes ces entreprises sont non seulement totalement alignées dans leur business avec les valeurs qu’elles portent, mais aident des associations et donc des acteurs de terrain qui agissent jour après jour.
Du côté des grandes entreprises, DocuSign, dont le cœur de métier est la signature électronique, peut de facto réduire le papier et les transports de ses activités, mais elle a également choisi de compléter cette offre-là par de l’aide à des associations. C’est une manière d’agir de plus en plus prégnante, on le voit avec l’influence grandissante de 1% pour la planète dont le Jane Goodall Institute fait partie. Le nombre d’entreprises choisissant de s’engager est de plus en plus important.
Nous avons la grande chance de ne pas agir uniquement sur la protection animale, mais aussi la protection de l’environnement, ainsi que l’aide aux développement économique et social. Nous agissons avec une approche holistique sur ces trois axes de façon concomitante et complémentaire sur le long terme. On répond ainsi à ces aspirations de plus en plus prégnante auprès des entreprises, comme beaucoup d’associations et d’ONG.
Le Jane Goodall Institute France travaille-t-il avec des marques ? Si oui, comment ?
G.K. : Nous avons la chance de travailler avec des marques, et surtout de choisir avec qui nous souhaitons travailler. Nous sommes soutenus par des entreprises qui prônent des valeurs proches des nôtres : protection et respect du vivant dans son ensemble, respect de l’Autre, sensibilisation et incitation à l’action des plus jeunes. Tous nos partenariats s’inscrivent dans le temps long et évoluent avec le temps.
Chaque entreprise a une manière spécifique de soutenir l’association. Maisons du Monde par exemple nous soutient initialement via un arrondi en caisse, puis nous avons créé un “produit partage” ensemble, une gourde éco-conçue dont la vente a très bien marché. Ils ont poursuivi leur collaboration sur l’ensemble du spectre de notre périmètre : la recherche scientifique, la restauration des sols – nous plantons actuellement plus d’un million d’arbres en Tanzanie – l’aide au retour à l’école pour les jeunes filles, l’accès à l’éducation pour les enfants, etc. C’est cette approche globale qui va intéresser nos partenaires. Nous avons également créé une offre adaptée pour les startups et les TPE, car nous nous sommes rendus compte qu’énormément de jeunes entreprises nouvellement créées ont envie de s’engager aussi via leur business model et leur finalité qu’en aidant des ONG de terrain. Elles s’engagent à nos côtés sur nos actions en France, en Afrique ou les deux, comme le fait Saola Studios par exemple.
Vous personnalisez donc vos offres aux entreprises ?
G.K. : Oui. Ce qu’il y a d’important pour nous, c’est de toucher, grâce à ces entreprises, des publics et communautés avec qui nous ne sommes pas naturellement en contact et qui ne nous auraient pas connus autrement. Je pense à Oregen par exemple, une entreprise qui conçoit des NFT pour la biodiversité, et dont la communauté et celle des NFT dans son ensemble, n’est pas nécessairement au fait de notre existence et de nos actions. Chaque collection concerne un animal en voie de disparition, leur toute première a été conçue avec le Jane Goodall Institute pour la protection des chimpanzés.
70% du produit des ventes sont distribués à l’association et bénéficient à nos actions sur le terrain. Au-delà de l’aspect financier auquel nous sommes extrêmement sensibles, Oregen va transmettre information et pédagogie sur les menaces, les solutions et les façons d’agir. C’est primordial dans nos partenariats avec les diverses entreprises avec lesquelles nous travaillons : nous oeuvrons avec leurs collaborateurs, ils nous mettent en avant auprès de leurs clients, nous faisons partie d’un écosystème afin d’agir avec le plus d’impact possible.
Tous comprennent que nos activités s’exercent sur du temps long, comme les villes avec lesquelles nous sommes partenaires, de Le Vésinet en région parisienne à Bordeaux ou Nice. Nous y déployons notre programme Roots & Shoots (Des racines et des bourgeons, en VF) auprès des jeunes de la ville – dans les écoles, les lycées, les centres de loisirs, le conseil municipal junior etc. – non seulement pour informer, mais pour inciter à l’action.
Le Jane Goodall Institute est apolitique et holistique, face à l’éco anxiété, nous souhaitons montrer aux jeunes qu’en agissant on obtient des résultats que l’on a envie de célébrer, créant ainsi une valeur d’exemplarité pour les autres et une dynamique positive. Pour les hommes, les autres animaux et la nature, ce sont nos actions communes sur ces trois axes qui conduiront à un vivre ensemble apaisé. Jane Goodall a cet espoir chevillé au corps et l’exprime bien mieux que moi : “On se méprend souvent sur le sens du mot « espoir ». On l’associe à la passivité, à une forme de complaisance dans l’illusion. Mais le vrai espoir suppose action et engagement. Se retrousser les manches et agir concrètement.”
On parle quand même de la 6e extinction des espèces, du changement climatique et parfois on a l’impression que les gens sont dans le déni alors qu’on ne peut plus dire qu’on ne sait pas. Ces 10-15 dernières années, le sujet est enfin arrivé à la une de tous les médias et au cœur des discussions que les gens peuvent avoir. Le déni n’est pas possible.
Vous êtes membre du label Ad For Good. Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de ce label et vos missions au sein de celui-ci ?
G.K. : Nous sommes ravis de faire partie de ce beau projet qui a pour vocation de labelliser des entreprises qui s’engagent à tenir compte de l’impact de leurs décisions d’achat média sur l’environnement. C’est un mouvement général auquel nous faisons face actuellement qui me semble très important à souligner : comment les entreprises peuvent dorénavant communiquer tout en soutenant concrètement des associations ou des ONGs, etc. C’est le cas notamment avec Goodeed, avec Hello TV, et tous ces beaux projets qui permettent de remettre du sens dans la publicité. Et qui viennent compléter les règles liées à l’interdiction de greenwashing qui peuvent exister. C’est un ensemble d’actions qui va dans le bon sens.
Quels conseils donneriez-vous à une marque ou une entreprise pour mener à bien une communication RSE ? Comment sensibiliser aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques ?
G.K. : Le premier conseil que je donnerais, c’est d’agir avant de communiquer. D’être aligné entre les valeurs prônées et ce que l’on fait. Certaines entreprises feraient bien de l’entendre (rires). Ce n’est qu’une fois que l’on s’est donné une charte de valeurs, une colonne vertébrale, les moyens de les mettre en place en interne, ce qui suppose l’exécution d’un audit, et de vérifier l’ensemble de la chaîne, de la conception à la distribution, une fois que l’ensemble des actions de l’entreprise sont cohérentes que l’on peut communiquer.
Ensuite, il faut prendre la parole avec précaution, en faisant attention à ses propos. Les citoyens et consommateurs sont tout à fait aptes à comprendre ce qu’il y a derrière les mots, il ne faut pas survendre ce que l’on fait, utiliser des concepts creux, mais qui sonnent bien, et être sincères. Je crois profondément à l’honnêteté et la sincérité dans la communication. Avec une communication bien alignée, vos consommateurs sont vos meilleurs ambassadeurs.