Sale temps pour l’emploi dans la tech

Par Jérémy Lacoste le 20/11/2024

Temps de lecture : 6 min

Des entreprises sans salariés ?

Nous sommes ravis de retrouver Jérémy Lacoste, contributeur sur la Réclame. Jérémy est Head of Acquisition, Web Analyse & CRM Marketing de Meilleurtaux. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclick, sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou désormais dans ses tribunes sur la Réclame.

L’histoire est connue : en rachetant Twitter devenu X fin 2022, Elon Musk a licencié 80 % des effectifs. Résultat, un CA qui recule, mais de 21% seulement. Surtout, une marge opérationnelle en progression et des annonceurs qui semblent revenir depuis peu – bien aidé par sa nomination au DOGE pour « optimiser la performance de l’administration américaine ».

Au-delà du cas Musk, c’est toute la tech américaine qui fait le dos rond, avec moins de bruit, depuis 2 ans en licenciant à tour de bras. Au point que Forbes titrait sur « The great reset tech »… là où les GAFAM parlent simplement de réajustement après des vagues de sur-embauches pendant le Covid. Qui croire ?

I. On coupe dans les effectifs

Si l’on en croit les chiffres partagés par Layoff.fyi, depuis 2022, il y aura eu plus de 400 000 salariés laissés sur le carreau dans le secteur de la tech américaine. Une hécatombe. 

Et comme l’écrirait l’autre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. »

En France, la saignée s’est principalement abattu sur les licornes et autres boites en tech (ou en toc parfois) : Ledger, Mano Mano, Back Market… La hausse des taux, l’inflation, la fin de l’argent magique ont eu ainsi raison de quelques épopées?

Pour autant, force est de constater que le marché semble retrouver quelques couleurs. Des signaux positifs çà et là émergent, comme le ralentissement des licenciements. On se contente de ce que l’on a.

En miroir, le marché se montre néanmoins plus frileux dès qu’il s’agit d’ouvrir des postes. Fini l’euphorie post-Covid avec plus de 400 000 créations d’emplois aux US. Depuis 2 ans, c’est la soupe à la grimace avec des budgets prévisionnels beaucoup plus conservateurs dans les organisations. Au point que la dynamique de recrutement a été divisée par deux.

Une seule question qui vaille : mais jusqu’à quand va tenir cette atonie ? Difficile à dire, mais les projections restent optimistes si on dessert la focale.

Ces derniers mois, il y a quand même quelques bonnes nouvelles à se mettre sous la dents avec l’implémentation dans l’Hexagone d’Open AI et les 4 milliards investis dans l’IA en France par Microsoft. L’arbre qui cache la forêt ?

II. La triple peine

Il faut dire que le marché de l’emploi de la tech subit depuis quelques années 3 chocs simultanés :

1. La généralisation de l’IA grand public

En octobre dernier, on apprenait de la voix du patron de Google que 25% du code désormais généré par la firme venait de l’IA directement. Réalité ou effet d’annonce pour rassurer les marchés ? Peu importe à vrai dire.

Cela traduit quoi qu’il en soit une lame de fond que nous pouvons constater tous les jours. L’année dernière, 92 % des développeurs américains disaient utiliser des outils basés sur l’IA pour coder. De la à rendre palpable la peur du chômage ?

La dernière étude du MIT se veut plutôt rassurante : sur les 10 prochaines années, l’IA impactera seulement 5 % des emplois… avec toutefois une surreprésentation des métiers de la tech.

Pas de quoi rassurer pour autant. D’autant que des sociétés comme Klarna communiquent à qui veut l’entendre que le déploiement de l’IA lui a permis d’économiser 700 postes à temps plein l’année dernière dans son département service client et d’améliorer la qualité des réponses apportées… L’action Téléperformance s’est immédiatement effondrée et l’entreprise a annoncé hier un plan de départ volontaire d’1/3 de ses effectifs en France.

2. Remote : bientôt le revers de la médaille ?

Zoom, Ubisoft, Amazon… Depuis 1 an, les entreprises de la tech semblent siffler la fin de la recré sur le remote et demandent à leurs salariés de revenir dans les locaux. Pour construire cette fameuse culture d’entreprise… qui ne semblait pas être un problème pourtant à l’époque du Covid !

Au-delà de ce retour de balancier, la bascule opérée en 2020 vers un modèle organisationnel basé sur du remote a surtout permis de montrer que :

– Un projet d’entreprise se définit par les employés et non par le lieu où ils travaillent.

– L’atonie géographique d’un marché du travail peut être contournée par un recrutement à l’échelle monde.

Autrement dit, pour les cols blancs, cela a abouti à une mise en concurrence avec des profils techs travaillant dans des pays à la main d’œuvre moins onéreuse. L’ubérisation par le haut donc. Et depuis 2020, on ne compte plus les géants de la nouvelle économie qui se lance dans l’offshorisation des compétences IT.

3. La marche forcée vers le tout cloud

Depuis quelques années, le marché n’a d’yeux que pour les modèles SaaS. Adieu les solutions on premise consommatrices en ressource technologiques et humaines. Désormais n’ont droit de cité dans les organisations que le no code et le cloud. J’exagère à peine.

Une dynamique qui a l’avantage de permettre de monter at scale avec 10 fois moins de personnes qu’il y a 20 ans. Pourquoi s’en priver alors ?

Les montées de service, la maintenance, le support, le ticketting.. tout cela est désormais externalisé à l’éditeur qui bénéficie d’économie d’échelle.

Dernier exemple en date, avec le lancement d’Agentforce par Salesforce. Objectif annoncé : réduire le time to market de 18 mois à 2 semaines pour déployer un agent intelligent au sein d’une organisation.

III. Bientôt des entreprises sans humain ?

Début février, Sam Altman, le patron d’OpenAI déclarait que l’IA permettrait la naissance de licornes sans employé : « Dans mes échanges avec des amis PDG de la tech, il y a cette tendance à parier sur l’année qui verrait la naissance de la [1ère licorne sans employé] »

Fini donc les entreprises titanesques, place aux structures à taille humaine, plus agiles ? C’est en tout cas, la croyance qui semble parcourir les géants de la tech. Et les succès story d’entreprises de petite taille existent déjà. Songeons à Whatsapp (avant rachat), Instagram (avant rachat), Telegram, OpenAI, Onlyfans.. autant de structures de moins de 50 salariés qui génèrent ou généraient des centaines de millions de CA.

Le revenu par salariés semble en tout cas être la nouvelle North Star suivie par tous, et plus sûrement par les investisseurs.

À plus petite échelle, la dynamique autour du freelancing et des solopreneurs semble faire florès dans l’écosystème. Au point de se demander si les séquences de la Great Resignation (démission massive après le covid), et du Quiet Quitting (démission silencieuse qui toucherait 1/3 des salariés), n’étaient finalement pas que des symptômes d’une transformation plus large du marché de l’emploi dans la tech ?

Pour la 1ère fois dans l’histoire, à ma connaissance, la technologie a le potentiel d’impacter fortement les emplois les plus qualifiés.

C’est ce que dit Daniel Susskind dans son livre Un monde sans travail : « des tâches qui font appel au jugement humain, à la créativité ou même à l’empathie peuvent aujourd’hui être automatisées. Même les diplômes ne protègent plus contre cette automatisation. Jusqu’à très récemment, nous pensions que la créativité, essence même des êtres humains, échapperait à l’automatisation. C’est raté. Et c’est une mauvaise nouvelle pour de nombreux cols blancs et cadres »

La révolte des Canuts laissera-t-elle bientôt place à celle des cadres-bientôt-nus ?

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