Jérémy fait sa rentrée avec une question qui fâche.
Un fait d’abord : le marché des agences marketing est en croissance constante depuis 10 ans (source ici)… mais pas autant que celui des solutions marketing. Est-ce la résultante d’une plus forte consolidation des acteurs ou d’une augmentation de leur productivité ?
Un peu des deux évidemment. N’oublions pas les récents rachats d’Epsilon / Soft Computing par Publicis ; Icom par KPMG ; Velvet par WPP, Uptilab par Jellyfish. À chaque agence, son intégrateur maison.
Mais le vrai game changer réside dans la simplification et la standardisation des éditeurs de solutions. À mesure que les modèles de données ont gagné en sophistication ; que les usages se sont complexifiés, les solutions ont pris le chemin inverse en travaillant leur accessibilité. Au point de viser le plug & play et font de la facilité de leur déploiement un argument de vente.
Au point surtout de questionner le recours systématique à la prestation : là où il y a 20 ans, tout projet de déploiement de solution marketing ou CRM passait par les mains d’acteurs intégrateurs, cette dynamique est-elle toujours pertinente ? Ou pour le dire autrement, les intégrateurs ne doivent-ils pas désormais se positionner différemment ?
Les vents contraires
Un signe qui ne trompe pas, c’est la disparition du vocable intégrateur qui semble laisser la place à d’autres occurrences : cabinet de conseil, data, IA… manière de montrer qu’ils ont moins le vent en poupe, et ce, pour 4 raisons :
1. La montée en maturité des organisations
Fini l’époque des grosses entreprises qui refusaient d’embrasser le digital. Toutes les structures ont dû muscler leur jeu pour se staffer sur la partie IT/marketing au point d’avoir des bataillons in-house d’experts capables de piloter des projets d’intégration. Une structuration qui n’empêche pas, bien entendu, de faire appel à de l’expertise externe.
2. La pression sur les coûts
Fini l’euphorie post-covid où les budgets digitaux ont explosé. Depuis 2 ans, c’est le retour à la frugalité. Sans surprise, les tours de vis se sont fait sentir d’abord sur les prestations externes. L’internalisation des compétences est en marche.
3. Cloud & no code à la baguette
Fini le on premise et l’hébergement des solutions sur des serveurs physiques. La bascule dans le 100 % cloud et la dynamique du no code contribuent à redonner le pouvoir aux petites équipes et aux structures agiles. Il n’est plus nécessaire de disposer d’une armée de consultants pour le déploiement technique de solutions. En revanche, cela a eu pour conséquence de premiumiser les phases de conseil et de modélisation d’architecture technico-fonctionnelle. Moins de bras et plus de tête.
4. Une neutralité en trompe-l’œil
La proximité intégrateur/éditeur peut avoir son revers de médaille. Si d’un côté, le cabinet gagne en expertise et en efficacité sur la solution, d’un autre, des intérêts économiques mutuels se mettent forcément en place.
Résultat, comment un intégrateur peut-il rester impartial dans une aide au choix d’outil alors qu’il travaille depuis X années avec telle solution ; a un système d’apporteur d’affaire ou de rétro-commission ; a 2 personnes en intercontrat expertes sur ladite solution ?
Un biais évidemment similaire s’impose aux éditeurs qui auront tendance à recommander aux annonceurs les intégrateurs qui leur rapportent surtout le plus de contrats. Un juste retour des choses.
Alors, est-ce la fin d’un marché qui existe depuis que le web est web ? Pas si sûr.
Tout changer pour que rien ne change
Le conseil, ce nouveau parangon de la prestation. Pourquoi ce pivot ?
1. Des organisations de plus en plus complexes
La bascule vers le tout digital a aussi entrainé la création de SI [systèmes d’information, NDLR] complexes avec plus ou moins de legacy [héritage, NDLR]. En miroir résonnent aussi des modèles organisationnels rigides ralentissant la prise de décision. Le cabinet de conseil est un bon moyen de fluidifier les échanges et d’impulser de la dynamique à un projet. C’est payé, c’est timé.
2. Un panorama hétérogène
On l’a dit. L’écosystème digital devient une jungle avec une myriade de nouvelles solutions, réglementations et technologies chaque année. Le recours aux intégrateurs reste évidemment un bon moyen de resserrer l’étau sur quelques solutions pertinentes dans le cadre de missions d’aide au choix d’outils ou de définition des cas d’usages. Et ainsi gagner en temps et en clairvoyance.
3. Minimiser le risque
Les projets de déploiement sont toujours sensibles. Un cadrage mal fait ou un setup un peu bazardé et tout va dans le décor. Capitaliser sur un cabinet de conseil, c’est assurer ses arrières. Pour le meilleur en pariant sur ses références, son expertise, sa méthodologie. Et pour le pire, car si le projet se passe mal, le coupable est tout désigné.
4. Pour répondre aux besoins d’accélération
Les prestations fil rouge en régie semblent de plus en plus laisser la place à des missions ponctuelles sur des parties très précises de projet. Un modèle commando qui a le mérite de répondre à un besoin clair et de générer un impact fort. Aux annonceurs, la maitrise du delivery, aux cabinets, l’orientation et l’accompagnement. À la clé, une hybridation plus marquée qui oblige les annonceurs à s’investir dans le succès de ces projets.
Perspectives
Une tendance qui risque d’ailleurs de s’accélérer. Alors que l’IA générative est en train de casser les barrières technologiques à l’entrée en démocratisant les compétences en code et en programmation, le nerf de la guerre risque de se déplacer vers les schémas d’architecture et les modèles de gouvernance de la donnée.
Jérémy Lacoste est Head of Acquisition, Web Analyse & CRM Marketing de Meilleurtaux. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclick, sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou désormais dans ses tribunes sur la Réclame.