"La co-création ? Une belle idée théorique, mais ça ne marche jamais."
Bienvenue dans le Creaverse, la rubrique qui explore l’univers créatif des esprits derrière les – meilleures – campagnes publicitaires. À chaque épisode, nous plongeons dans les sources d’inspiration, les méthodes et les idées parfois insolites qui alimentent les créatifs et créatives de ce secteur en perpétuelle évolution.
4ᵉ opus avec Alexandre Drouillard, directeur de la création de l’agence .becoming, cavalier émérite, prompteur – presque – infatigable qui se passe allégrement d’avoir vu Mad Men et conchie les brainstormings.
C’est une soirée d’octobre, le vent souffle et votre playlist tourne en boucle. Vous êtes devant un brief exigeant pour une marque de mode engagée, mais les idées peinent à émerger. La pression monte, le temps file. Quel est votre rituel ou votre source d’inspiration pour retrouver votre élan créatif dans ces moments ?
Alexandre Drouillard : À table, je raconte le brief à mes enfants. Ils me balancent des idées à la volée en se marrant. Ils reprennent leur smartphone et se barrent dans leur chambre sans débarrasser en mode ados de base. Il y a deux trois réflexions intéressantes… ok, merci, je remplis le lave-vaisselle. Merci les mecs.
Comment vos idées viennent-elles ? Rien que du spontané, du chaos, du bazar… ou avez-vous une méthode qui a fait ses preuves pour les faire naître ?
A.D. : Impossible à dire. Je ne sais pas comment les idées viennent. En revanche, je sais que pour qu’elles viennent, il faut être dans un environnement propice : 2 ou 3 personnes maximum autour de la table, de la bonne humeur, pas de bullshit ou de gens qui parlent pour briller, et surtout un bon brief. Souvent, les bonnes idées viennent lorsqu’on n’a pas l’impression de bosser.
Perso, je déteste les brainstormings. Je pense qu’une bonne idée, on la trouve à 2 ou 3 maximum. Sinon, on est obligé de faire des consensus, et ça rend les choses insipides à la fin. La co-construction, la co-création… très peu pour moi. C’est une très belle idée théorique, mais en vrai, ça ne marche jamais.
Creaverse parle d’inspirations : quelle est la dernière chose ou image qui vous a inspiré ?
A.D. : C’est le portrait de Samuel Crew par le peintre Peter Lely que j’ai vu il y a quelques jours au Musée Groeninge à Bruges. Le tableau date de 1662. J’ai été super troublé. On dirait que c’est un ado d’aujourd’hui coincé dans un tableau du XVIIe. Il est à la fois hyper académique, mais en même temps ultra-moderne.
Et celle qui vous a intrigué ?
A.D. : Une vidéo de Miragebureau, un AI artiste que je suis sur Instagram. Il a créé une esthétique totalement inédite qui m’a mis un gros punch.
Musées, comptes YouTube, podcasts, fenêtre sur cour… Quelles sont vos inspirations quotidiennes ?
A.D. : La presse. Je suis un fou d’actu. Dès que je me réveille, je navigue entre l’appli Le Monde et celle du New York Times.
Les comptes Instagram des IA artistes que j’admire. BBC 6 Radio tous les jours. Les concerts, beaucoup de concerts. Les présentations stratégiques de Joe Burns, l’ancien planneur de Mother London… un régal.
Et puis les références de mes créatifs, c’est une mine d’or incroyable. J’ai tellement de chance d’être au milieu d’eux et qu’ils me partagent ce qu’ils aiment.
Pouvez-vous nous envoyer une photo d’un lieu qui vous inspire ?
A.D. : C’est une photo de Villerville. Un village en Normandie où je passe pas mal de temps. Au fond, on voit Le Havre. Ça me fascine, ce grand port.
Nous sommes saturés de stimuli visuels et autres messages quotidiens, mais est-ce qu’une chose a réussi à s’extraire de la masse et faire vibrer votre cœur ?
A.D. : La photo de l’œil de la baleine capturée par la photographe Rachel Moore. Elle est incroyable. C’est la nature qui nous regarde droit dans les yeux avec une profondeur étonnante.
L’avènement de l’IA générative a bouleversé le secteur. Si le soulèvement des machines n’est pas pour demain, quelle place l’IA a-t-elle dans votre quotidien et votre idéation ?
A.D. : L’IA a une place plus que centrale dans mon quotidien. Midjourney et ChatGPT sont les deux sites que j’ouvre le matin après ma boîte mail. En début d’année, je suis réellement tombé par terre de fatigue en plein milieu d’une réunion. Je promptais 5 à 6 h par nuit en plus du boulot. J’étais épuisé, pourtant mon cerveau me réclamait encore et encore sa dose de dopamine provoquée par ces nouveaux outils incroyables.
En juin dernier, avec Nicolas de Montmarin, nous avons lancé Sol.air chez Becoming. C’est notre studio créatif de production IA intégré. On bosse beaucoup sur ce projet au quotidien, et ça paie, car beaucoup de clients nous rejoignent en ce moment, notamment de l’univers du luxe. C’est génial et très excitant.
Quelle publicité auriez-vous aimé imaginer ?
A.D. : Ce film pour un appareil d’air conditionné.
Si vous étiez un personnage de Mad Men ?
A.D. : Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n’ai pas vu Mad Men. Quand on fait de la pub, difficile de regarder une série sur la pub le soir. Don Draper, c’est le mec qui a toujours un verre à la main au bureau ? Quelle époque !
Quelle question poseriez-vous à John Hegarty ?
A.D. : Mes mentors ne sont pas forcément dans l’univers de la pub. Si je pouvais poser une question à un John, ce serait plutôt à John Carpenter (scénariste et réalisateur américain, NDLR) : « What’s going on in your head, mate? »
Point de croix, collection de dés à coudre, voix de baryton ou de soprano : avez-vous un talent caché ou passe-temps honteux ?
A.D. : Ce n’est pas honteux, je pense. Je fais de la musique, plutôt froide et dansante, le projet s’appelle Black Mental. Je suis aussi cavalier ; je monte à cheval depuis 7 ans. J’aime cet animal graphiquement parfait. Le truc honteux ? Je crois que j’aime l’odeur de l’écurie et du crottin.
Quel est votre dernier prompt ?
A.D. : Un prompt pour Midjourney. C’était ce matin :
« a man with long redhead hair whose eyes are not visible, has a tattoo under his hair at the border between his hair and his forehead, a tiny monochrome green cross is tattooed, he is singing in a pink toy microphone, 35 mm lens, Leica M6, Kodak Portra. »
Le.a réalisateur.rice avec qui vous aimeriez travailler ?
A.D. : Christopher Storer, le réalisateur de la série The Bear. J’adore sa manière de filmer, de mettre en scène, son casting, ses choix musicaux.
La question que vous auriez aimée qu’on vous pose dans cette interview ?
A.D. : « Qu’est-ce qui te révolte ? » Les tests quali-quanti qui tuent les grandes idées publicitaires et le prix des fringues de cette marque : Enfants Riches Déprimés.