Un jeu d'équilibriste communicationnel indispensable en temps de crise.
Avec la crise sanitaire et le confinement qui lui a succédé, la prise de parole des entreprises a été bouleversée. Ces dernières plaçant le curseur entre l’absence totale de communication et la communication tous azimuts pour occuper le terrain. Au fil des semaines, de nombreux grands patrons d’entreprises ont adapté leur communication à ce contexte inédit, pour rassurer, informer, ou expliquer.
Le cabinet de conseil APCO Worldwide publie aujourd’hui une analyse à 360° de la communication des dirigeants du CAC 40 au temps du coronavirus, réalisée entre le 23 janvier* et le 24 avril.
Sur ces 40 dirigeants, 32 se sont exprimés dans les médias, la majorité en presse écrite puis à la radio, média de la proximité. La télévision, média de masse par excellence, n’a été privilégiée que par 16 d’entre eux. Lorsqu’il s’agit de maîtriser et de développer son discours, la presse papier semble donc être le canal tout trouvé, quand la télévision n’offre généralement que quelques minutes pour dérouler un propos sensible en temps de crise. Par ailleurs, en temps de crise, les citoyens et les marchés ont besoin d’être rassurés, « c’est certainement ce qui peut explique qu’en presse comme en audiovisuel, les dirigeants font le choix du business avec Les Échos pour la presse écrite et surtout BFM Business pour la radio et la télévision », note l’étude.
Du côté des réseaux sociaux, le réseau social professionnel LinkedIn a été majoritairement privilégié, suivi par Twitter et YouTube : “LinkedIn reste le réseau social le plus sûr pour l’image d’un dirigeant, les commentaires étant beaucoup plus policés que sur les autres plateformes”, explique APCO Worldwide.
Twitter, “réseau social du live et de la breaking news”, est également investi par les dirigeants que ce soit via le compte officiel de l’entreprise ou leur compte personnel.
En cette période de crise inédite, la communication des marques a fait l’objet d’une attention particulière, les actes comptant plus que les grands discours. Cette crise constitue “un instant de vérité pour l’entreprise dans l’alignement de ses valeurs déclarées et des actions. Cela doit se retrouver dans les prises de parole des dirigeants”, rappelle APCO Worldwide. Comme le souligne justement l’étude, “si les premières annonces ont fait l’objet d’une couverture médiatique, la multiplication des initiatives des dirigeants français a très rapidement fait grimper le ‘ticket d’entrée’ pour faire partie du cercle des dirigeants les plus engagés.” Toutefois, seules les démarches “authentiques, crédibles et légitimes” avaient une chance d’émerger. Quelle marque risquerait une accusation de “Covid washing” pour un quart d’heure de visibilité ?
Certains dirigeants sont même restés muets dans les médias malgré les actions massives entreprises par leur société pour aider les autorités et les soignants. On pense ainsi aux géants du luxe français — LVMH, Hermès et Kering — qui se sont très tôt distingués, notamment en réorientant leur production pour concevoir gel hydroalcoolique et masques de protection. Ou encore, Alexandre Ricard, dont la société a fait don de 70 000 litres d’alcool pour la production de gel, mais aussi les patrons d’EssilorLuxottica : le groupe a créé un fonds de 100 millions d’euros pour soutenir les employés et leurs familles dans le besoin. Une absence de prise de parole qui n’en a pas moins été “récompensée” dans les médias qui se sont fait l’écho de leurs démarches, notamment via leur communication d’entreprise qui les annonçait “à la manœuvre”.
Ainsi, depuis le début de l’épidémie, ces initiatives solidaires annoncées par les groupes du CAC 40 représentent plus d’un milliard d’euros d’engagements, précise l’étude (hors actions de solidarité dont la valeur n’est pas estimée à ce jour).
De nombreux dirigeants ont quant à eux choisi de prendre la parole, soit parce que leurs services ont été directement sollicités par les Français confinés ou parce que leur secteur a été touché par la crise. L’étude distingue ainsi les meilleures stratégies de communication des dirigeants durant cette période. Des stratégies qui mettent en lumière des communicants aguerris qui ont su assumer leur rôle de leader en incarnant leur entreprise avec “pédagogie, humilité et leadership”.
1. Stéphane Richard — PDG d’Orange
Par sa stratégie médiatique puissante et innovante sans langue de bois, mais néanmoins pédagogique aussi bien en TV, radio, presse écrite — PQN comme en PQR — à travers des interviews et 2 tribunes (Le Monde et Les Échos), le patron d’Orange, “l’ultra connecté”, s’est imposé comme la voix du secteur des télécoms. Malgré sa sortie contestée pour demander le report du lancement de Disney+, “Stéphane Richard a parfaitement maîtrisé la séquence pourtant marquée par de nombreuses prises de parole” : annulation du Mobile World Congress (il est président du GSMA), étude Orange sur les déplacements des Français pendant le confinement (et son fameux “la France n’est pas la Chine” en matière de “surveillance”) ou sa participation à “QG à domicile” de Guillaume Pley sur YouTube.
2. Sébastien Bazin — PDG d’Accor
3. Antoine Frérot — PDG de Véolia
4. Emmanuel Faber — PDG de Danone
5. Frédéric Oudéa — PDG de la Société Générale
6. Denis Machuel — Directeur général de Sodexo
7. Alexandre Bompard — PDG de Carrefour
8. Philippe Brassac — Directeur général du Crédit Agricole
Philippe Brassac a su s’adapter au confinement pour garder le lien avec ses plus de 30 millions de clients en France et ses salariés, grâce à des vidéos sur YouTube tournées sans l’aide de ses « collègues de la communication » https://t.co/eaeWPp4ixl
— Fabrice Pelosi (@fabricepelosi) May 9, 2020
9. Jean-Paul Agon — PDG de L’Oréal
10. Guillaume Faury — PDG d’Airbus
Cette crise inédite a également instauré un “droit de ne pas savoir”. À l’instar de nombreux Français, soignants et politiques, les dirigeants du CAC 40 n’avaient pas réponse à tout et se sont autorisés à le dire. Un droit de ne pas savoir encore plus mis au bénéfice du dirigeant qu’auparavant, estime APCO Worldwide : l’étude prend ainsi l’exemple de Stéphane Richard, ou de Sébastien Bazin. Au micro de France Inter on a ainsi entendu ce dernier rétorquer “Ma chère Léa Salamé, je n’en sais fichtre rien” à la question sur le financement des hôtels mis à disposition pour soutenir les hôpitaux par Accor. “À l’inverse, les propos spéculatifs font courir à son auteur un risque sur sa crédibilité non négligeable”, pointe l’étude.
De la même manière, une absence totale de communication est une communication en soit rappelle l’étude. Certains communiquent peu, voire pas du tout par nature (Thalès, Vivendi), pour d’autres “dont le silence correspondrait à un manque d’engagements concrets », cette absence de communication “a pu faire l’objet de critiques, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux ». Plus largement, l’étude observe que “les dirigeants qui ne se sont pas exprimés ont fait davantage l’objet d’articles négatifs que les patrons communicants dont les prises de parole auront au global été bien accueillies.” APCO Worldwide relève malicieusement l’absence de cravate chez 7 dirigeants figurant dans le Top 10 des meilleurs communicants : Stéphane Richard, Sébastien Bazin, Emmanuel Faber, Frédéric Oudéa, Denis Machuel, Alexandre Bompard et Philippe Brassac. “Et si l’absence de port de cravate était gage de proximité et d’ancrage avec les codes de la société d’aujourd’hui ?”, questionne l’étude. D’autant qu’une diminution des ventes de costume en France alliée à la généralisation du télétravail pourrait inscrire cette tendance dans la durée.
Quoi qu’il en soit, tie ou not tie ?, l’étude souligne qu’en ces temps de crise sanitaire où les cycles de l’information sont rapides et les débats continus sur Twitter, les relations médias et la communication sur les réseaux sociaux sont plus importantes que jamais, et relève du véritable jeu d’équilibriste. Il convient toutefois de retenir :
– Les stratégies de relations médias et les activités sur les réseaux sociaux pendant la pandémie se complètent mutuellement. L’intérêt des médias pour l’activité des dirigeants est plutôt corrélée à la popularité d’un PDG dans d’autres médias, sa popularité générale sur Twitter et sa capacité à générer de l’engagement avec ses tweets ;
– La popularité sur les réseaux sociaux provient de la qualité et la pertinence du contenu, et non de la quantité. La popularité d’un PDG sur Twitter peut être prédite à partir de sa popularité dans les articles sur le COVID, son nombre d’abonnés et sa capacité à générer l’engagement sur Twitter.
L’intégralité de l’étude et sa méthodologie est à retrouver ici.
Fabrice Pelosi, senior associate director chez APCO Worldwide, propose également un résumé de cette étude sur Twitter.
* : date de la première prise de parole d’un dirigeant du CAC 40 depuis le début de l’épidémie : Jean-Marc Chéry sur Europe 1)