Gloire à celui qui trouvera la fontaine de Jouvence médiatique.
Marques et médias n’ont de cesse de vouloir s’adresser aux nouvelles générations, consommateurs et acteurs de demain. Avec 73 % des 16-30 ans utilisant quotidiennement les réseaux sociaux pour accéder à l’actualité, ces derniers sont devenus un réflexe pour eux. Et un passage obligé pour qui veut les atteindre. Encore faut-il parler le même langage, user des mêmes formats et se déployer sur leurs supports avec des contenus qui font écho à leurs centres d’intérêts. Peut-on « saisir » cette jeunesse qu’on réduit souvent à une expression quand son identité et ses communautés sont protéiformes ?
Comment capter ces nouvelles générations qu’on dit ultra-connectées, mais déconnectées de l’actualité, insaisissables et partout à la fois ?
Pour Views, média lancé en 2016, la réponse tient en quelques mots : par les jeunes pour les jeunes. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, alors Léo Devaux a attendu d’en avoir 19 pour co-fonder ce média en 2016. Il répond à nos questions.
Quelle a été votre principale inspiration pour créer « Views » ?
Léo Devaux : Notre principale inspiration au moment de lancer Views s’est trouvée outre-Atlantique. On lisait beaucoup de magazines et de blogs qui venaient de là bas et on a été frappé par le manque d’offre éditoriale similaire en France. On a donc décidé de lancer Views pour devenir à l’époque le premier magazine traitant à la fois de musique, de mode et de cinéma/série/design à destination des nouvelles générations, entièrement en ligne. C’est à partir de là qu’on a construit les bases de la ligne éditoriale de Views aujourd’hui.
Quels sont les défis les plus importants auxquels « Views » a été confronté jusqu’à présent et comment les avez-vous surmontés ?
L.D. : Sur les 3 premières années, de 2016 à 2019, nous étions une équipe très jeune : on avait 19 ans au moment de monter le magazine, aucune expérience ni aucun contact dans cet univers. Pourtant, on voulait absolument pouvoir parler et raconter ce que l’on observait.
On ne savait pas alors ce que cela signifiait de gérer un site, de gérer une rédaction, ou la façon dont on pouvait mettre en place un business model pour ce qui était au départ un passe-temps, afin de pérenniser cette activité et professionnaliser ce que l’on tentait de créer avec Views. Ces trois ans ont été un long apprentissage, à tous les niveaux : gérer une structure et un média, développer une offre commerciale à peu près cohérente et faire grossir, petit à petit, la communauté du média pour porter le projet le plus loin possible.
Ces deux dernières années, le défi le plus important a été de soutenir la croissance. On grandit très, très vite, à la fois sur le média et sur l’agence créative, Views Studio. On a à cœur de réunir des équipes jeunes et talentueuses, cela implique parfois des processus de recrutement un peu plus difficiles, car on essaie de donner sa chance à tout le monde, quel que soit le background ou le niveau de diplôme. On essaie d’obtenir un juste équilibre entre les soft et les hard skills. C’est ce qui nous anime aujourd’hui, avec, bien sûr le développement de l’activité.
Comment définiriez-vous la « culture of change » que vous prônez dans votre tagline ?
L.D. : La tagline a changé au fur à mesure de l’histoire de Views. Une des premières était “Culture In Motion”, avec l’idée d’évoquer cette culture en mouvement regroupant à la fois la musique, la mode et d’autres sujets qu’on ne retrouvait pas sur des supports unifiés.
Avec “Culture of change”, on exprime notre volonté d’accompagner et de raconter les évolutions visibles dans la musique, dans la mode, la culture urbaine, mais aussi dans la génération des 18 à 26 ans, celle qui nous suit. On veut l’accompagner dans son évolution, dans ses engagements et dans les sujets qui lui tiennent à cœur tout en restant extrêmement pertinents sur les thématiques cibles originelles du magazine.
En quoi « Views » se distingue-t-il des autres médias qui parlent de culture urbaine en France ?
L.D. : Ce qui a fait notre différence et continue à le faire aujourd’hui, c’est la curation humaine. C’est très important pour nous d’apporter un soin particulier à la sélection des sujets proposés sur le média, et surtout de les valoriser artistiquement, ou au moins créativement dès que possible.
Lors de nos échanges avec des professionnels ou même des personnes de notre communauté, la première chose qui revient, c’est notre direction artistique très poussée, “léchée”. C’est essentiel pour nous : le média s’est construit avec des profils créatifs sachant faire de la photo, de la vidéo et raconter des histoires un petit peu différemment de ce qu’on avait l’habitude de voir. Et de le faire de manière adaptée à tous nos supports, que ce soit YouTube, Facebook, Instagram, Twitter (X désormais) ou notre propre site.
Aujourd’hui, ce qui nous distingue, c’est vraiment ce mix, entre une curation très pertinente pour notre communauté – qui nous permet de ressortir très haut dans les algorithmes et dans leur feed – et une approche artistique exigeante.
Vous semblez privilégier vos réseaux sociaux – Instagram, YT, TikTok et X (ex Twitter) – plutôt que votre site officiel pour vous adresser à votre audience/vos communautés : est-ce un indispensable aujourd’hui pour s’adresser aux nouvelles générations (les engager) et s’adapter aux nouveaux formats de consommation de contenu ?
L.D. : Notre objectif a toujours été de pouvoir distribuer le meilleur contenu possible à cette génération, sur les sujets qui l’intéressent. On sait que les 18-25 ans utilisent beaucoup plus Instagram, X/Twitter ou TikTok qu’ils ne vont aller sur Google pour se renseigner sur une actualité.
Nous avions un site très puissant auparavant, mais on a posé un postulat très simple : si on veut s’adresser de manière sincère à notre génération, et pas juste à une bulle, on doit déployer nos contenus sur les plateformes où cette génération est plus présente. C’est de cette manière que s’est opérée la bascule entre le web first et le social first.
Aujourd’hui, on le voit bien avec les équipes les plus jeunes qui nous rejoignent, le social first est totalement intégré, ce sont les réflexes de consommation média les plus habituels chez eux. Outre la curation des sujets, ce qui est primordial, c’est d’adapter le contenu et le format de traitement d’un sujet à la plateforme sur laquelle il va être distribué.
Par exemple, une même actualité ou un même format ne va pas être diffusé de la même manière sur Instagram, sur TikTok, sur X ou sur notre site. Sur ce dernier, on propose des interviews fleuves, avec un shooting photo réalisé en studio ; qui, sur X, va être déployé en thread, qui sur Instagram va être un slider de dix photos, avec des stories où le médium sera mixé avec du texte et de la photo ; quand sur TikTok, on produira une vidéo backstage du shooting.
De quelle manière cette stratégie social media impact votre monétisation ?
L.D. : Lorsque l’on a opéré ce shift-là entre site first et social first, on a accepté de s’asseoir sur une partie importante du marché publicitaire display auquel on aurait pu prétendre en choisissant de maximiser le site. On a totalement abandonné cette partie-là et on travaille uniquement sur de l’OPS/brand content sur nos plateformes.
On pousse les agences média à nous faire confiance sur des formats d’OPS plutôt que sur de l’achat média stricto sensu, comme on peut le voir de manière plus classique sur des éditeurs de presse web.
Quel est votre business model ?
L.D. : Aujourd’hui, nous répondons à des appels d’offres via notre régie publicitaire. Nous travaillons main dans la main, depuis plusieurs années, avec des partenaires premium avec lesquels on élabore différents plans de brand content. On vend ainsi à la fois un espace publicitaire (un post sur Instagram, un set de story ou un tweet) et la production du contenu diffusé. Cela nous permet de maintenir la même approche et la même exigence qu’avec nos propres contenus, mais aussi de conserver la confiance de notre audience en présentant ces sujets de manière à ce qu’ils raisonnent avec ses intérêts et sa vision. Cette partie représente notre part d’activité la plus importante aujourd’hui.
Depuis deux ans, nous avons également lancé notre agence intégrée, Views Studio, avec laquelle on met le savoir-faire du média au service de nos partenaires. On produit ainsi des campagnes photos et vidéos en marque blanche, des événements et on fait aussi du consulting et de la recherche pour un certain nombre de marques. On essaie de diversifier la répartition des revenus (revenue split) de Views pour ne pas être dépendant d’une seule business unit, et pouvoir résister à un éventuel effondrement du marché publicitaire ou des agences.
Dès 2024, on envisage de mettre un grand coup d’accélérateur sur une nouvelle business unit qui concernera le direct to consumers (DTC) pour “prolonger” la relation avec notre communauté au travers d’événements, de produits et de tout un tas d’expériences qui restent pour certaines à encore à imaginer.
Comment vous assurez-vous que « Views » reste un média authentiquement fait « par les jeunes pour les jeunes » ?
L.D. : Pour résonner auprès des jeunes, il est nécessaire d’avoir des équipes jeunes, tout simplement. En tant que directeur général de Views, j’ai 26 ans, notre trentaine d’employés à 24-25 ans en moyenne, et l’un des plus anciens dans l’équipe, le directeur de l’agence, a 30 ans.
Quand on a 30 ans chez Views aujourd’hui, on est déjà un peu un ancien. On essaie donc de renouveler constamment les effectifs, de sorte à faire cohabiter tout ce petit monde. C’est un mix entre l’expérience professionnelle qu’on peut avoir entre 25 et 30 ans, qui nous permet de monter sur des projets ambitieux et de veiller au bon déroulement des projets ; et le recrutement de personnes plus jeunes, stagiaires et alternants de 18-19 ans. L’idée est de les faire monter en expérience et d’échanger afin de se nourrir des tendances culturelles prédominantes chez eux. Tendances qu’on ne connait pas forcément ou dont on ne comprend pas l’impact.
Notre objectif est que le média grandisse et que nos équipes grandissent avec nous. Tout en ajoutant de nouvelles personnalités avec des profils, des expériences et des backgrounds différents.
Quid du moment où vous allez vieillir ?
L.D. : Sur la partie média, Views est encore jeune, il a besoin de grandir et n’est pas encore à maturité. Lorsque les audiences, la communauté et le volume de contenus auront atteint un certain stade, celui à même de nous positionner comme un média culturel important dans le paysage francophone, des questions se poseront sur la façon de staffer, de hiérarchiser et de faire évoluer la direction du média.
Actuellement, Views comprend une dizaine de personnes au sein de la rédaction du média. On a fait le choix de ne pas avoir de rédacteur en chef pour permettre à la personne qui a 19 ans, comme à celle qui va en avoir 30, d’avoir voix égale en conférence de rédaction, pour défendre ses sujets, ses angles et ses approches.
Sur les activités d’agence en revanche, c’est un petit peu différent. Il est moins impérieux d’être connecté aux audiences. La partie créative, authentique et sincère se crée au travers des rencontres en interne et des débats notamment. Les personnes plus seniors sont là pour apporter leur expérience, “packager” les projets et s’assurer qu’on monte en expérience et en niveau sur tout ce qu’on envisage.
De quelle manière collaborez-vous avec les marques ?
L.D. : Views Studio bénéficie d’une position très intéressante en tant qu’agence : nous proposons une expertise purement créative permettant à nos partenaires de venir chercher une patte, une exigence et une qualité de production, ainsi que la force de notre communauté d’instruire la démarche de l’agence afin de réaliser les propositions créatives les plus actuelles.
Nous avons également la possibilité d’amplifier les activations et les campagnes de nos clients sur le média. C’est une valeur ajoutée non négligeable aujourd’hui au regard de la force de nos communautés.
Où vous voyez-vous dans 10 ans ?
L.D. : Dans dix ans ? Tellement de choses auront changé d’ici là… Je peux répondre pour cinq ans éventuellement. J’espère que Views sera une marque média extrêmement forte et identifiée sur les sujets culturels en France. Et derrière, de posséder une structure qui sera l’une des agences les plus performantes d’Europe, avec des activités annexes qui se nourriront de ces deux activités, pour développer de nouveaux projets. Notamment, comme évoqué précédemment, d’avancer sur le direct to consumer. Notre ambition est de générer des audiences beaucoup plus conséquentes et développer une expertise reconnue très largement.
Quelle est l’étape d’après pour Views ?
L.D. : Nous avons un grand pas en avant à faire sur la partie conseil et research. Nous souhaitons nourrir le lien avec notre communauté pour nous en servir au sein de livres blancs, d’études, et tout ce qui pourra instruire notre démarche de média. Cela nous permettra également d’être encore plus pertinents dans les réponses créatives apportées à la fois en agence média et auprès des partenaires avec lesquels on collabore sur de la stratégie, mais aussi de produire des enquêtes permettant d’éclairer un peu plus le rapport qu’entretiennent les nouvelles générations avec les sujets traités sur le média.