Comment le Louvre a réussi son pari sur YouTube

Par Xuoan D. et Sarah G. le 14/04/2016

Temps de lecture : 9 min

Déjà roi des musées sur Facebook, Instagram et Twitter, le Louvre cherchait sa voix sur YouTube.

Comment développer le nombre d’abonnés à sa chaîne, pour mieux cibler les moins de 30 ans qui représentent 50% des visites du musée ? Le Louvre a eu la bonne idée de donner carte blanche à trois YouTubeurs vulgarisateurs : Axolot, Nota Bene et le Fossoyeur de films. Retour sur une campagne à succès avec Adel Ziane, sous-directeur de la communication du Musée du Louvre.

La communication du Musée du Louvre

Sur quels supports le Musée du Louvre communique tout au long de l’année ?

La communication du Louvre est répartie entre 4 services : les relations presse, la communication visuelle et achat d’espace, la communication numérique et enfin la communication interne. Nous avons la possibilité de communiquer sur tous les supports, et produisons l’essentiel en interne.

Vous ne travaillez donc pas avec des agences ?

Nous faisons appel de façon très ponctuelle à des agences. Ce fut notamment le cas pour les cartes blanches données aux Youtubeurs, où nous avions besoin de l’expertise extérieure de l’agence Left Productions.

Pour nos campagnes d’achat d’espace, nous faisons généralement appel à Agir Publicité, une agence média spécialisée dans la culture.

 
Quelle est votre répartition d’investissements média ?

70% à 75% de notre budget va à l’achat d’espace et les partenariats avec les médias. Ensuite, 10 à 20% du budget est dédié aux réseaux sociaux. Le delta restant allant aux frais de fonctionnement et à la communication interne.

 
Quel est le principal enjeu actuel de la communication du Louvre ?

Pour élaborer une stratégie de communication pertinente, nous nous sommes d’abord demandé ce qu’est le musée du Louvre. Quels sont ses points forts et ses points faibles ?

Côté points forts, le Louvre est un symbole universel de l’art qui profite d’une très forte notoriété puisqu’il est le musée le plus visité au monde. Mais c’est aussi un musée qui peut intimider : de part son image scientifique et le fait qu’il peut s’apparenter à un immense labyrinthe où il est facile de se perdre.

Une fois ce contexte bien assimilé, nous avons souhaité orienter notre communication autour de 3 objectifs. Le 1er étant de rendre le musée plus généreux, plus lisible et plus accueillant ceci grâce à l’élaboration de nouveaux parcours pour les visiteurs. Notre 2ème volonté est de créer une plus grande synergie entre la communication des expositions événementielles et des collections permanentes, ainsi que les actions du Louvre sur tout le territoire français et international grâce à des partenariats avec d’autres musées. Il est donc très important qu’une cohérence soit instaurée pour toutes ces initiatives. En enfin, le 3ème objectif est un axe qui irrigue tous ces aspects : travailler à la réappropriation du musée par le visiteur. Des visiteurs de toutes nationalités puisque 70% d’entre eux sont étrangers. Chaque année, ils sont plus de 9 millions à franchir les portes du Louvre, et 50% d’entre eux ont moins de 30 ans. L’enjeu est donc de trouver la meilleure façon de s’adresser à tous ces publics.

 
Le digital a-t-il bouleversé votre façon d’interagir avec le public ?

Nous menons sur les réseaux sociaux une politique très active. Le Louvre est le seul musée au monde à avoir plus de 2 millions de fans sur sa page Facebook. Sur Instagram, le Louvre est le 6ème lieu le plus géolocalisé au monde, ainsi que le 1er musée.

Ces nouveaux supports de communication nous permettent de toucher un public plus jeune. Mais dans notre communication sur les réseaux sociaux, il est clé de ne pas opposer la visite physique et la visite virtuelle. Pour le visiteur virtuel, le but est de l’inciter à se déplacer pour visiter le Louvre. Lui montrer que le musée n’est pas uniquement riche en expositions et collections mais qu’il est également un lieu chargé d’histoire puisqu’il s’agit d’une ancienne forteresse et d’un ancien palais du roi de France. Pour le visiteur physique, l’objectif est de garder le contact, de prolonger l’expérience du musée chez lui en fonction de ses habitudes et des réseaux sociaux sur lesquels il est actif.

Le Louvre invite les YouTubeurs

Comment vous est venue l’idée de travailler avec des YouTubeurs ? Comment avez-vous identifié Axolot, Nota Bene et le Fossoyeur de films ?

Dans la continuité de nos actions sur les médias sociaux, l’équipe de communication numérique a ouvert la chaîne YouTube du Louvre il y a 2 ans. Mais la chaîne peinait à décoller et ne comptait que 5 000 abonnés début 2016. Ce qui est paradoxal lorsqu’on sait que le musée accueille plus de 500 tournages par an.

Que pouvions-nous faire pour développer notre audience sur YouTube ? Le besoin de ré-éditorialiser la chaîne est apparu. Sur Facebook et Instagram, nous avons trouvé notre public. Il nous restait à trouver le ton juste pour YouTube. Avec comme objectif, non pas la course aux abonnés. Car ce qui nous intéresse réellement est la qualité des commentaires laissés par les internautes. Un feedback essentiel pour identifier la manière appropriée de communiquer sur ce support.

De là nous est venue l’idée de travailler avec des ambassadeurs sur YouTube, et donc des YouTubeurs. Nous avions déjà en tête quelques thèmes pour ces vidéos. Par exemple, le Louvre au cinéma, comme lieu de tournage au-delà de Belphégor et du Da Vinci Code. Ensuite, nous voulions parler du Louvre en tant que palais, et sa place importante dans Paris. Et aussi aborder différents chefs-d‘œuvre méconnus, bien souvent éclipsés par les “stars” du Louvre. De là, nous avons rencontré 5-6 Youtubeurs. Avec Axolot, Nota Bene et Fossoyeur de films, le courant est très rapidement passé, nous amenant à leur confier des cartes blanches. Une collaboration enrichissante qui nous a permis de consolider nos sujets. Le Fossoyeur de films a par exemple proposé le thème de ”la peinture au cinéma” et Nota Bene a suggèré “les grands découvreurs”. Ce sont donc 6 vidéos qui ont été créées, à raison de 2 par YouTubeur.

 

Le fait de publier la moitié des vidéos sur votre chaîne YouTube, et l’autre moitié sur les chaînes des YouTubeurs s’est-il avéré payant ?

C’est cette stratégie qui fait la spécificité du partenariat. Cette collaboration croisée s’inscrit dans les codes de chaque YouTubeur et a permis de créer l’émulation des 2 côtés. À la fin de chaque vidéo, le YouTubeur incite à aller vers la seconde vidéo. Cela permet de créer une véritable synergie et cohérence d’ensemble. Pour chaque vidéo, en dehors de la rigueur scientifique spécifique au Louvre, il était impératif de retrouver le ton et la liberté d’expression de chaque YouTubeur.

 
Quel était le public visé par cette campagne ?

Nous savons que statistiquement, 50% des visiteurs du Louvre ont moins de 30 ans. L’audience de YouTube est essentiellement constituée de 18-34 ans, ce qui en fait donc un média en adéquation avec notre cible. L’objectif était de s’adresser à ces jeunes publics, de leur donner envie de retourner au Louvre. Mais cette opération a eu un rayonnement au-delà de la cible initiale, touchant un public plus large, avec une grande majorité de 18-40 ans et des commentaires de tous âges.

 
Avez-vous fourni un brief aux YouTubeurs ? Quelle est la liberté dont ceux-ci ont bénéficié pour concevoir leurs vidéos ?

La seule contrainte du brief était de conserver la rigueur et l’excellence scientifique propre au Louvre. Le personnel scientifique du musée et les conservateurs ont été consultants pour les scripts des vidéos. Notre service communication travaille en permanence avec les équipes internes du musée. Cela est clé pour nous, et les conservateurs apprécient particulièrement ce type d’échange.

Au-delà de ce point, il était essentiel que chaque YouTubeur conserve son ton très personnel. Nous leur avons donné carte blanche !

 
Est-ce un partenariat “donnant / donnant” ou du contenu sponsorisé par le Louvre ?

C’est un véritable partenariat. Nous avons proposé aux YouTubeurs de venir réaliser une vidéo pour leur chaîne à titre gracieux. Ils avaient la possibilité de s’approprier l’espace, d’accéder à des lieux interdits au public. Et en échange ils réalisaient une vidéo pour la chaîne du Louvre.

Dans l’univers YouTube, ces ambassadeurs nous ont permis de toucher leur communauté, bien plus large que notre audience initiale. C’est donc un échange gagnant-gagnant.

L’important pour que ce partenariat soit équilibré et légitime pour les différents abonnés YouTube, était de faire l’aller-retour entre les 2 chaînes, d’où le caractère innovant du projet.

 
Quels sont les principaux résultats de ce projet ?

Cette opération est un succès public. Nous avons triplé notre nombre d’abonnés à la chaine YouTube passant de 5000 à 15 000. Nous avons aussi récolté plus de 1,1 million de vues sur l’ensemble des vidéos. Ce que nous retenons surtout c’est la satisfaction des internautes via les commentaires positifs.

Les YouTubeurs semblent également très satisfaits. Ces vidéos légitimant leur crédibilité, de part l’aspect inaccessible de tourner au Louvre, validant ainsi l’expertise et à la capacité de chaque YouTubeur à vulgariser, notamment dans le domaine scientifique. Car d’après Nota Bene, dans ce genre de chaîne Youtube, “on vulgarise mais on est pas vulgaire”. Depuis, les Youtubeurs et le Louvre ont reçu un certain nombre de demandes d’interview, prouvant ainsi l’originalité de la campagne.

 
Quels sont les principaux enseignements de ce projet ? Y aura-t-il pour votre communication “un avant” et “un après” cette campagne ?

Cela a été une vraie surprise vis à vis de l’engouement des internautes. De manière instinctive nous sentions que nous étions sur la bonne voie en travaillant avec des ambassadeurs pour toucher de nouveaux publics. Les résultats nous l’ont prouvé et valident la logique de travailler en écho sur les 2 chaînes.

Ce projet nous a ainsi montré comment prendre la parole sur YouTube. Nous pouvons donc bien parler d’un “avant” et d’un “après”.

À titre personnel, j’ai été très impressionné par la qualité d’écriture des YouTubeurs. Ils ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme et d’une grande maîtrise technique. Ils se sont même amusés à faire des crossovers dans des vidéos, avec des apparitions synchronisées dans la vidéo de chacun. J’ai aussi beaucoup apprécié l’explication d’Axolot sur le bijou vieux de 5000 ans. Il s’agit du premier exemple de soudure connue dans l’histoire de l’humanité. C’est une très belle illustration des chefs-d’oeuvre méconnus que possède le Louvre.

 
Y aura-t-il des suites, que ce soit avec des YouTubeurs français ou internationaux ?

Oui ! Nous nous sommes lancé dans le grand bain. L’objectif est donc de pérenniser l’expérience. Nous sommes en pleine réflexion autour de nouveaux thèmes pour parler de la richesse de la collection, tout en nous renouvelant. Une fois les thèmes arrêtés, nous partiront à la recherche de nouveaux YouTubeurs.

Pour cette première série nous avons lancé les 6 vidéos sur une période de 15 jours. Nous souhaitons à terme réussir à avoir une régularité de diffusion avec les Youtubeurs. La prochaine étape est de lancer à la fin du semestre, début 2nd semestre, une nouvelle série de cartes blanches. Et ensuite d’élargir au-delà des frontières.

Pour ceux qui n’auraient pas déjà vu les 6 vidéos, voici la playlist de la campagne :

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La Tiktokisation de Linkedin ?

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