Décarbonation et inclusion : les nouveaux horizons de l’événementiel

Par Élodie C. le 18/12/2023

Temps de lecture : 8 min

Bientôt une mesure pour le prouver ?

Avec Les Experts RSE, la Réclame vous propose un rendez-vous de décryptage et d’analyse sur un sujet ô combien d’actualité, mais non moins complexe et vaste dans les domaines et enjeux qu’il recouvre. Nous souhaitons donner la parole à des experts hors communication pour donner aux agences et aux marques des clés essentielles pour avancer.

Dans un monde où la RSE devient un critère clé de performance, le secteur événementiel se positionne en acteur majeur de cette transition. La prise de conscience de l’importance de la décarbonation et de la réduction des déchets marque un tournant décisif pour les agences et les marques. Cependant, ces actions ne sont que la partie visible de l’iceberg. Des défis moins médiatisés, tels que la préservation de la biodiversité et des ressources en eau, ainsi que les aspects sociaux et d’inclusion, restent des chantiers en devenir, nécessitant une attention accrue.

La parole à Nicolas Turpin, vice-président Transitions & Impact de l’association interprofessionnelle LÉVÉNEMENT et président fondateur de l’agence EKO.

Comment définissez-vous l’approche RSE dans le secteur événementiel, et en quoi est-elle cruciale pour les agences et les marques aujourd’hui ?

Nicolas Turpin : Il y a deux grandes thématiques sur lesquelles le secteur se concentre, même si tous les aspects du développement durable sont abordés : 
— Celui de la décarbonation : organiser des événements bas-carbone. Tout ce qui n’est pas en train de se décider en ce moment justement à la COP28 ; 
— Celui de la réduction des déchets. L’événementiel est un média qui a traditionnellement tendance à créer du déchet. 

Deux sujets sont moins abordés, pour différentes raisons médiatiques : la préservation des ressources naturelles, c’est-à-dire la biodiversité, pas simple à traiter dans notre métier ; ainsi que le défi de la préservation de la ressource eau. Un sujet qui monte et qui va ne cesser de monter dans les années à venir. Aujourd’hui, nous sommes en retard. Mais aussi toute la dimension sociale et d’inclusion qui mériterait un peu plus d’attention. 

Néanmoins, il est bon de rappeler que la filière événementielle française est à la pointe au niveau mondial sur ce sujet. Preuve en est la norme ISO 20121, le système de management responsable des événements, qui est un peu le phare guidant la planète entière sur le sujet de l’éco-socioconception. 

Quelles sont les innovations les plus prometteuses en matière de durabilité dans l’événementiel ? Comment peuvent-elles être intégrées efficacement par les agences ?

N.T. : Des choses se sont développées et structurées au fil des années. Aujourd’hui, les outils carbone dédiés aux événements sont largement performants. Ces outils carbone ont été développés par différents cabinets, des acteurs privés, sur l’impulsion d’un acteur public, l’ADEME. 

Depuis quelque temps maintenant, on voit aussi émerger tous les services liés au traitement des déchets, à la revalorisation, à l’économie circulaire, aussi bien sur des déchets physiques, des cloisons, des éléments de décoration, etc., mais aussi sur le gâchis alimentaire. Si de nombreuses solutions existent pour permettre une seconde vie et éviter trop de gaspillage, il faut rester vigilants. Le meilleur déchet, celui qu’on ne produit pas. Ces solutions ne doivent pas donner un droit à polluer. 

Il faut tout faire dans l’éco-conception afin de réduire au maximum notre impact, et faire appel à ces acteurs pour tout ce qui est incompréhensible – les émissions de gaz à effet de serre, les déchets qu’on ne peut pas réduire à leur stricte minimum.

Quels sont les principaux défis auxquels les agences doivent faire face pour intégrer la RSE dans leurs stratégies événementielles, et quelles opportunités peuvent-elles saisir ? Quels conseils donneriez-vous aux agences souhaitant intégrer la RSE au cœur de leurs événements ?

N.T. : Dans un premier temps, la formation des équipes est l’essentiel. Quand on parle “carbone”, il faut comprendre les enjeux à l’œuvre sur le climat, le principe du réchauffement climatique, etc. Il existe aujourd’hui beaucoup de documentations sur le sujet, du contenu de vulgarisation scientifique important, Comme la fresque de l’événementiel, qui existe depuis 3-4 ans, et est inspirée la fresque du climat

Ensuite, il y a un sujet très compliqué, mais essentiel, c’est la mesure de l’impact, et notre filière n’est pas la seule à être exposée à cette difficulté. Faire un événement éco-responsable sans le valoriser et le mesurer, n’a pas grand intérêt. La solution la plus facile et la plus utilisée aujourd’hui, c’est le calcul du carbone. En revanche, la mesure de l’impact sur la biodiversité est très compliquée, idem pour quantifier l’impact social. S’il est indispensable de tout détailler, je reste aussi convaincu qu’il faut laisser la place à l’émotion, 

Comment LÉVÉNEMENT travaille-t-il avec les marques pour promouvoir des pratiques événementielles responsables ? La demande pour davantage de RSE vient-elle des entreprises ou bien des agences événementielles ?

N.T. : Bonne question : est-ce que ce sont toutes les initiatives portées par notre écosystème qui donnent envie aux annonceurs de s’engager sur le sujet ? Ou au contraire, est-ce que ce sont les exigences RSE, les politiques d’achat responsable, les stratégies de développement durable de nos clients qui poussent les agences à se mettre en ordre de marche ? Sans doute un peu des deux. 

Il existe évidemment des entreprises pilotes et leaders sur le sujet, comme mon agence Eko. Nous sommes benchmarkés, observés, et certains s’inspirent de nos travaux. Et puis, il y a aussi des agences qui traînent un peu plus et sont moins convaincues. C’est une histoire de personne, le dirigeant doit être à l’initiative et décider de faire bouger son entreprise, pour nous, acteurs de l’événementiel. Nous n’avons pas de collaboration particulière avec les marques, avec nos clients, ce serait contre-productif. Nous ne pouvons pas imposer une vision, une approche normalisée et similaire sur tous les sujets. C’est à nous, en tant qu’agences, de répondre aux enjeux de nos clients et d’être le plus pertinents par rapport aux thématiques qui sont portées par tel ou tel annonceur. 

Le rôle de LÉVÉNEMENT est d’accompagner l’ensemble de la filière dans sa globalité, notamment ceux qui commencent à se poser la question. Nous défendons les intérêts de l’éco-socioconception. Par exemple, le comité d’organisation des JO de Paris 2024 avait la volonté de laisser un héritage immatériel sur ce sujet. Avec la réécriture de la norme ISO 20121, une norme internationale, LÉVÉNEMENT apporte sa contribution sur un objet qui va être diffusé dans le monde entier. 

Nous devons vulgariser, nous devons former et dans ce cadre-là, l’association a lancé des groupes de travail et ce qu’on appelle les éditions engagées de LÉVÉNEMENT. Le premier numéro était dédié à la sobriété numérique appliquée à notre métier, au fonctionnement d’une agence, et à la façon dont cela se répercute sur les événements organisés pour le compte des clients. Le deuxième titre abordait l’intégration des personnes en situation de handicap : aujourd’hui, la filière événementielle française traverse une crise RH importante alors leur taux de chômage est bien plus important. Il y a sans aucun doute un vivier de talent, mais ça se prépare et s’accompagne. Le troisième numéro est en cours, et traitera justement le calcul de l’empreinte carbone. Il sera mis à disposition d’une manière gracieuse à l’ensemble des agences adhérentes de LÉVÉNEMENT. Très “user-friendly” pour être utilisé simplement, que l’on soit expert ou non. Ainsi, pour un repas pour 600 personnes, on peut rapidement déterminer soin impact de carbone selon que l’on opte pour du bœuf, du poisson ou une alternative végétale. 

Aujourd’hui, il existe des solutions beaucoup plus précises et pointues pour faire un bilan carbone selon l’ensemble des critères et des exigences de l’ADEME.  

Quels sont les indicateurs clés pour mesurer l’impact des initiatives RSE dans l’événementiel ? Comment ces mesures peuvent-elles être utilisées pour améliorer les stratégies futures ?

N.T. : La mesure de l’impact est un sujet central, et le recueil de la data l’est tout autant. Il s’avère très compliqué, que ce soit sur un événement qu’on organise ou même en interne avec l’ensemble de nos adhérents. C’est un vrai défi, et c’est celui de demain. Aujourd’hui, on essaie, des chantiers sont en cours, mais ça reste perfectible. 

Quelles tendances prévoyez-vous en matière de RSE dans l’événementiel pour les prochaines années ?

N.T. : Plus le temps passe, plus nous sommes exposés à une quantité d’informations, plus il y a une prise en compte de ces sujets par l’ensemble de l’écosystème. Le niveau de maturité et de conscience actuel est plus élevé qu’il y a 4 ou 5 ans. Il faut muscler notre jeu sur le sujet, et cette montée en compétence doit poursuivre son chemin. 

Malheureusement, je pense qu’à moyen terme, nous allons être soumis à une forme de contrainte, comme des quotas carbone individuels non cessibles. Cela va profondément modifier la façon d’organiser nos événements. On le voit déjà, beaucoup d’annonceurs refusent désormais d’autoriser les vols aériens, nous relocalisons une partie de notre métier. Le séminaire au bout de l’Europe ne pourra plus exister : l’objectif d’un séminaire est d’onboarder ses collaborateurs, de travailler sur la culture d’entreprise, et si x collaborateurs annulent leur venue, car, pour raisons personnelles, ils refusent de prendre l’avion, cela ne peut pas fonctionner. 

Si les quotas carbone voient le jour, j’imagine que les gens préféreront faire un vol par an pour partir en vacances plutôt qu’en séminaire d’entreprise…  Quoi qu’il en soit, l’événementiel va rester un formidable levier pour accompagner l’ensemble de nos publics vers un peu plus de soutenabilité, un peu plus de responsabilité. C’est sûr et certain. La force de notre métier, c’est de capter les signaux faibles de la société, de bien les appréhender pour mieux les comprendre et nous en servir pour faire bouger les lignes, dans l’accompagnement, dans la conduite du changement. 

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