RSE, efficacité et cookies… Les grandes tendances de l’achat média avant 2023

Par Clément Fages le 15/09/2022

Temps de lecture : 14 min

Malgré la reprise des investissements média, l’incertitude règne.

Guerre, crise environnementale structurelle, crise énergétique conjoncturelle, inflation, baisse du pouvoir d’achat et tensions sociétales. Deux ans après le début de la pandémie, la situation semble chaque jour plus incertaine. 

Un contexte difficile pour l’écosystème publicitaire, plus que jamais appelé à être exemplaire et sobre, en favorisant la transition environnementale, mais en faisant également face à une demande accrue d’efficacité de la part des annonceurs, comme évoqué avec la dizaine de représentants d’agences, de régies ou d’organisations interprofessionnelles interviewés dans le cadre de ce dossier.

Des investissements à la hausse, mais pour combien de temps ?

Sans surprise, le marché publicitaire est en croissance au premier semestre 2022, avec des recettes publicitaires totales de 7,831 milliards d’euros, soit une hausse de 13,2 % par rapport au S1 2021, et, fait notable, de 16,7 % par rapport à la même période en 2019, année de référence. Les résultats du BUMP, dévoilés ce 15 septembre 2022, montrent l’accélération de la digitalisation du secteur, avec une hausse de 44,2 % des recettes nettes digitales de la TV, de la presse et de la radio par rapport au S1 2019, et de 30,3 % si l’on intègre le DOOH, qui progresse de seulement 1,3 % par rapport à son niveau d’avant-crise. Mais même en intégrant leurs recettes digitales, les 5 grands médias restent à un niveau d’activité en baisse de 4,5% par rapport au S1 2019. À l’opposé, les recettes du display, du search et surtout du social bénéficient de croissance à deux chiffres, avec des hausses respectives de 74,1 %, 71,6 % et 62,1%.

Mais l’actualité ne va-t-elle pas trop peser sur les performances futures ? Un risque à nuancer.

Le S1 2023 devrait être impacté. On sait que l’achat média est un budget très sensible à la crise, indique Jean-Marc Segati, directeur général de l’agence Big Success. “Il faut miser sur des carrefours d’audience plus importants, et capitaliser sur des périodes comme les soldes ou les promotions pour faire face à la problématique de pouvoir d’achat. C’est une crise qui arrive paradoxalement après le Covid, alors que les gens ont envie de consommer. On peut imaginer une réorientation de la demande vers des offres moins chères, mais aussi peut-être plus locales et durables.” 

Les citoyens se demandent de plus en plus si leur consommation est durable et responsable. Va-t-on vers une ère de déconsommation ? Je ne sais pas, mais la baisse du pouvoir d’achat, l’inflation et les risques de pénuries poussent le consommateur à faire des choix radicaux, et à se recentrer sur l’essentiel. Les marques sont alors tiraillées entre un besoin d’efficacité et la nécessité d’investir pour renforcer leur ADN et nourrir leur promesse”, analyse Aurore Domont, présidente de MEDIA.figaro. 

Selon le BUMP, l’activité publicitaire devrait se maintenir au deuxième semestre au niveau de celle du premier. 

2. La sobriété et les calculateurs d’impact, nouveaux enjeux de la RSE

Nos clients sont très attendus sur le sujet de la RSE, et nous devons faire au mieux pour les conseiller en la matière”, confirme Thomas Jamet, CEO d’IPG Mediabrands, nommé président de l’Udecam cet été en remplacement de Gautier Picquet. Il cite la charte RSE qui “engage les membres” de l’organisation et doit permettre la “diffusion des bonnes pratiques”, alors que chartes, labels ou mise à disposition de bilans carbone sont aujourd’hui des éléments clés des appels d’offres. Des contraintes auxquelles s’ajoutent celles relatives à la loi climat : Oui Pub, lutte contre le greenwashing, ou encore les fameux contrats climat, qui engagent les signataires à adopter des pratiques publicitaires vertueuses. L’Union des Marques, la Filière Communication et l’ARPP ont chacun pris des engagements et défini les indicateurs permettant de mesurer l’efficacité de leurs actions. 

À cela s’ajoute l’appel du gouvernement à une plus grande sobriété énergétique. “Fin septembre, nous aurons finalisé le plan pour la publicité extérieure, dont l’objectif est d’aboutir à une réduction de 10% de notre consommation énergétique d’ici à la mi-2024. C’est un préalable à l’adoption, en 2023, d’une loi de programmation climatique qui poussera chaque secteur à s’engager plus formellement”, indique ainsi Stéphane Dottelonde, président de l’UPE et Secrétaire Général de la Filière, qui met en garde contre la chasse aux symboles, alors que l’interdiction partielle des publicités lumineuses fera prochainement l’objet d’un décret : “La réduction de notre consommation énergétique passe par l’innovation, mais aussi l’investissement, avec un redéploiement du parc plutôt qu’une réduction de celui-ci. Il faut avoir en tête que l’ensemble du DOOH ne représente que 0,1% de la consommation électrique de tous les écrans en France…

Mais pour réduire, il faut mesurer. Alors que les calculateurs carbone sont devenus incontournables, l’enjeu des prochains mois sera d’uniformiser les nombreuses initiatives du marché : “Notre rôle est de normaliser ce marché, afin que les résultats ne diffèrent pas d’un calculateur à l’autre pour une même campagne”, avance Damien de Foucault, nommé directeur général de l’Udecam cet été. “Notre outil de mesure de l’empreinte environnementale est en phase de bêta test. Nous allons travailler ces prochains mois avec les régies et les médias, afin de comparer et d’harmoniser nos méthodes”, ajoute Patrick Gouyou Beauchamps, président de l’agence Values et de la commission RSE de l’Udecam. 

Développé avec Glimpact, le calculateur de l’Udecam utilise “la méthode “PEF”, pour Product Environmental Footprint, qui analyse l’ensemble des impacts sur toutes les phases du cycle de vie, et pas seulement le bilan carbone, qui représente souvent de 20 à 30% de l’impact environnemental global. Cela doit nous permettre d’impliquer les annonceurs pour qu’ils adoptent l’éco-conception dès la création de la campagne.” 

Reste encore à convaincre tous les acteurs ayant développé leur outil de s’aligner sur une méthodologie commune… “Nous avons développé un référentiel basé sur la méthodologie d’analyse du cycle de vie de l’ADEME, qui permet de s’accorder sur des valeurs communes lorsqu’il s’agit de déterminer l’impact de tel ou tel réseau, serveur ou terminal. Les données spécifiques aux campagnes vont bien sûr varier, avec des différences dans le nombre d’impressions, les formats ou le temps d’exposition, ou encore le choix du gré à gré ou du programmatique, qui multiplie les appels aux serveurs. Mais il faut s’accorder sur les autres valeurs”, indique de  son côté Hélène Chartier, directrice générale du SRI, qui collabore notamment avec l’Alliance Digitale (l’IAB France et La Marketing Mobile Association) pour ouvrir leurs bases de données mutuelles et ainsi enrichir le référentiel, lequel est utilisé par exemple par MEDIA.figaro, M Publicité et Les Echos Le Parisien Médias pour développer leur calculette commune nommée “Pi”, annoncée le 10 juin dernier.

3. Mesure de l’efficacité et éternelle recherche d’alternatives aux cookies

 “On arrivera à mettre en place une transformation responsable durable si l’on maîtrise l’impact sur la performance business. Mais les exemples sont de plus en plus nombreux de situations où une pratique responsable va améliorer les performances. On ne sait pas vraiment l’expliquer, mais des stratégies de ciblage ou des formats plus sobres et performants énergétiquement, comme par exemple le ciblage des devices connectés en wifi par rapport à ceux connectés en 4G, amènent à une baisse du CPM”, note Céline Craipeau, Brand Strategist et Senior Director au sein de l’agence Jellyfish.

En attendant une explication, une chose est certaine : face à la crise, la recherche de l’efficacité prime !

Dans ce contexte, l’Union de la Publicité Extérieure rattrape le SNPTV (Télévision), l’ACPM (Presse) et le Bureau de la Radio, qui ont dévoilé ces deux dernières années les résultats d’études de Marketing Mix Modeling, mesurant la contribution de leur média aux ventes. L’UPE n’a ouvert son appel d’offres qu’en début d’année, et dévoilera en octobre les résultats de l’étude réalisée. 

Un moment opportun, alors que les tensions économiques risquent de contracter les budgets des annonceurs plus que jamais en recherche d’efficacité. Mais là encore, la question de la mesure va prendre une place croissante, alors que se profile, encore et toujours, la fin des cookies : “Il est déjà difficile de réconcilier les données aujourd’hui, et ce sera encore plus difficile avec la multiplication des standards”, remarque Hélène Chartier, qui, comme la plupart des professionnels interrogés, craint le renforcement de la position déjà dominante des GAFAM, qui profitent de leurs écosystèmes logués. “La mesure de l’efficacité est notre guide. Dans un environnement open web, il est plus simple de mettre en place des standards que dans des environnements fermés comme ceux des walled gardens”, détaille Thomas Jamet. 

Toutefois, les enjeux dépassent la simple mesure de l’efficacité, comme le rappelle Jean-Baptiste Rouet, Head of Digital Corporate Reputation & Innovation chez Publicis Media France, et président de la commission digital de l’Udecam : “Nous sommes pris en sandwich entre le régulateur, qui renforce la privacy, et les “gates keepers”, que sont Google et Apple, qui contrôlent Chrome, Safari, Android et iOS, et cherchent à faire face à ces contraintes réglementaires tout en poursuivant leurs business basés sur la publicité ciblée. Google a décalé à 2024 la fin des cookies afin d’intégrer Android à sa Privacy Sandbox, mais aussi pour trouver une alternative satisfaisante, capable de reproduire les use cases existants.” Les solutions citées par notre panel sont connues et multiples. Du ciblage contextuel ou sémantique, aux initiatives comme celle de The Trade Desk, concurrent de Google sur le marché des DSP, et de LiveRamp, l’un des leaders mondiaux des data clean rooms, qui s’unissent pour proposer l’European Unified ID (EUID), un identifiant conforme au RGPD. De son côté, Vodafone a annoncé début septembre vouloir fédérer les opérateurs mobiles pour créer un identifiant publicitaire unique directement intégré aux cartes SIM. Des tests vont être menés en France avec Bouygues, Orange et SFR, permettant ainsi à ces acteurs de passer outre les “gates keepers”. “Le mobile est par nature un device personnel, qui regroupe les deux tiers de notre consommation numérique et des investissements publicitaires. Par ailleurs, les opérateurs téléphoniques ont de bons taux de consentement, à la hauteur de ce que l’on observe sur la TV adressée”, note Jean-Baptiste Rouet. 

Reste qu’au-delà des solutions techniques, le sujet reste hautement politique : “Tout repose sur des entreprises américaines. Or, du fait du Cloud Act, les États-Unis peuvent demander le rapatriement des données de leurs entreprises, mêmes celles hébergées en Europe, ce qui, tant que 100% de la data n’est pas anonymisée, n’est pas conforme avec le RGPD. Or, les solutions de proxification ou les data clean rooms sont encore chères et peu développées”, note Jean-Baptiste Rouet. Et le contexte économique n’est pas propice aux investissements, d’autant que les GAFAM développent des fonctionnalités permettant l’anonymisation de la donnée au préalable à l’utilisation de leurs services, et que de nombreux acteurs attendent, sans le dire clairement, que les freins actuels soient levés en cas d’accord entre l’UE et les Etats-Unis, au travers d’un hypothétique Privacy Shield II. 

Tant qu’il y aura des cookies, les inventaires sans cookies ne seront pas suffisamment valorisés. Il faut souvent une double programmation de campagne pour diffuser sur des inventaires avec cookies et des inventaires cookieless, et dans notre marché attaché à la productivité court-terme, ce n’est pas une pratique généralisée”, résume Hélène Chartier. 

4. Programmatique TV et DOOH, in-game advertising et Netflix… La piste des nouveaux formats 

La fin des cookies est aussi vue comme l’opportunité de rééquilibrer le rapport de force au sein de l’écosystème, alors que la TV et le DOOH s’ouvrent de plus en plus à l’achat programmatique. “Le digital est partout, et ce n’est que le début puisqu’il prendra des formes qui sont encore à imaginer au travers de l’AR et de la VR. Mais attention : il faut analyser l’évolution des médias à l’aune d’autres indicateurs que la simple nouveauté, que certains annonceurs privilégient parfois avant de se poser la question de la performance. Néanmoins, le développement du programmatique sur de nouveaux canaux offre à la fois de la performance et une mesure plus juste et pertinente. On n’aura jamais un modèle 100 % parfait, mais le surplus de précision permet de faire des choix d’investissement plus éclairés. Certes, il faut du temps pour réconcilier les bases de données et être certain de la fiabilité de la data. Mais de test en test, on optimise les pratiques et on arbitre celles qui doivent se généraliser ou non”, indique Céline Craipeau.

De son côté, Jean-Marc Segati est convaincu que ces innovations vont enfin permettre le véritable passage du média planning à l’audience planning : “L’adoption en télévision va s’accélérer ces prochains mois alors que les annonceurs, du fait de la crise, vont vouloir faire des communications plus ciblées. Mais les régies doivent proposer encore plus d’options de ciblage et d’outils de mesure, et surtout aller plus loin dans la convergence en passant enfin du GRP au CPM.” Une demande récurrente, alors que la vidéo pèse près de 75 % des investissements publicitaires en ligne, et que les synergies avec la télévision sont incontournables, en attendant l’arrivée de la publicité sur des plateformes comme Netflix ou Disney+, annoncée pour la fin de l’année 2022. “Ces plateformes ne vont pas avoir de mal à attirer car elles offrent a priori des formats novateurs. Reste à connaître leur prix ! Il ne faut pas oublier que l’intérêt de la VOL est d’augmenter sa couverture sur cible à moindres frais par rapport à la télévision, ou le coût d’un tel objectif est prohibitif. Sur ces plateformes, on ira chercher des gens moins exposés à la télévision, mais il faut que les prix pratiqués soient justifiés du point de vue de l’impact sur le business. Or, il sera difficile de mesurer des retombées si ces plateformes ne s’ouvrent pas à des tiers comme Médiamétrie”, prévient Jean-Baptiste Rouet. Selon Minted, Netflix pratiquera en novembre un prix de 49€ du CPM, soit cinq fois plus que la moyenne du marché français de la VOL. 

Et en matière de nouveauté, quid du secteur du “métavers”, évoqué par Céline Craipeau, et qui n’est rien de plus qu’une prolongation de l’in-game advertising ?

Dans l’e-sport, on est plus proches du médiaplanning d’antan, basé sur le contexte et la sémantique. C’est le seul moyen de toucher une cible très habituée à l’utilisation des adblockers », confie Cyril Etienne, Media Planner au sein de Hurrah.Media, agence spécialisée dans l’e-sport et le gaming. “Il existe des moyens détournés, avec des outils qui permettent d’intégrer des publicités au flux d’un streamer sur Twitch. Mais l’achat in-game commence à se diversifier suffisamment pour couvrir de nombreux besoins”, estime le spécialiste, citant les formats programmatiques qui s’intègrent facilement dans des jeux disposant déjà d’espaces publicitaires, comme les jeux de sports ou ceux qui reproduisent un environnement urbain. En matière de stratégie, l’in-game advertising se rapproche de la VOL, notamment pour ce qui est des jeux mobiles qui vont permettre de faire du reach incrémental à moindre frais. “Mais attention, le ticket d’entrée a augmenté ces dernières années sur les jeux plus qualitatifs, où la publicité sera mieux contextualisée”, prévient le média planner, tout en rappelant que les sujets RSE étaient aussi largement présents dans ces univers.

Si le métavers n’est pas encore suffisamment qualitatif pour rivaliser avec les jeux AAA, son développement questionne légitimement à l’heure de la nécessaire sobriété énergétique. Par ailleurs, les sujets éthiques, liés par exemple aux conditions d’emploi des salarié(e)s du secteur, ou encore à la toxicité et la misogynie de certaines communautés pourraient allumer le voyant “brand safety” de certains annonceurs, tout en leur donnant de formidables leviers d’engagement.

5. Brand safety et Digital Ad Trust, la RSE s’invite aussi dans la techno

Il n’y a pas que les “influenceurs” de télé-réalité qui sont à l’origine d’un brûlant sujet de “brand safety” chez les régies (notamment TV) et certains annonceurs. Depuis la crise sanitaire, la prolifération des informations “anxiogènes” pousse de manière sans doute trop exacerbée les annonceurs à blacklister certains sites d’informations, tandis que se développent rapidement des sites d’informations “alternatifs” basés sur les fake news. 

Début octobre, nous allons nous réunir afin de faire évoluer le Digital Ad Trust dans ce sens, à savoir intégrer un indicateur de brand safety lié à la lutte contre la fraude et les fake news. Les algorithmes auront toujours du mal à juger de la véracité d’une information. Chez Publicis Media, nous privilégions ainsi le deal à l’open auction car nous savons que l’industrie de la désinformation est prompte à changer de serveurs et de noms de domaine, et nous ne voulons pas prendre le risque que nos clients soient exposés sur des sites qu’ils n’auraient pas blacklistés. Nous préférons sélectionner les URL une à une pour créer une whitelist”, explique Jean-Baptiste Rouet. 

Les grands médias sont brand safe par nature ! Les annonceurs ont la responsabilité de communiquer sur des médias qui participent à l’information et l’éclairage de la société, et ainsi défendre notre modèle démocratique”, assure Aurore Domont, en rappelant que blacklister les sujets anxiogènes est un non-sens : “Nous sommes responsables de l’image de nos clients. Quand il y a des nouvelles terribles, comme ce fut le cas lors des attentats, nous enlevons automatiquement la publicité. Mais récemment, j’ai vu des annonceurs blacklister les mentions à Elizabeth II ! Alors que nos sujets étaient à forte valeur ajoutée, avec des angles sur l’histoire, le patrimoine ou encore la famille… Les annonceurs qui agissent ainsi se privent de l’efficacité liée à un contexte éditorial puissant et de qualité.”

Chers lecteurs, en agence ou chez l’annonceur, vous savez à quoi vous en tenir.

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