Éloge du DOOH programmatique.
Cette interview fait partie de notre newsletter DOOH.
Le DOOH programmatique (ou pDOOH pour les intimes) a tout pour plaire : flexibilité, ciblage affiné, mesure de la performance… Pourtant, il ne représenterait encore que 1 à 3 % des investissements DOOH en France. Un paradoxe que Mélanie Marie, Head of Sales France de Displayce, connaît bien. Depuis Bordeaux, cette startup devenue experte du sujet — et dont JCDecaux est actionnaire majoritaire depuis 2022 — s’est donnée pour mission de faire avancer la cause du DOOH nouvelle génération, un écran à la fois.
Dans cet entretien, Mélanie Marie revient sur les vrais freins à lever, démonte les idées reçues sur les coûts du pDOOH, décrit les cas d’usage les plus porteurs, et partage sa vision d’un DOOH enrichi par la data, la contextualisation et, demain, par l’intelligence artificielle générative.
Le pDOOH reste encore marginal dans les plans médias en France (1 à 3% serait évoqué pour 2024). Quel est, selon vous, le principal frein à lever pour accélérer son adoption ?
Mélanie Marie : L’enjeu aujourd’hui est de sensibiliser aux atouts que représente le DOOH en programmatique : le fait de pouvoir être plus flexible, d’opérer de nombreux ciblages ou de pouvoir mesurer les campagnes aussi. Donc, on a ces freins encore. Le sujet avec les différents interlocuteurs, que ce soit agences ou annonceurs, c’est vraiment de mettre en avant ces atouts.
Après, nous constatons quand même – je peux citer l’étude State of the Nation de 2024, de VIOOH (JCDecaux) – que 92 % des répondants considèrent que le DOOH programmatique est la solution publicitaire la plus innovante du marché. Et cette étude montre aussi que les investissements dans ce secteur devraient croître à hauteur de 29 % pour l’année 2025. D’ailleurs, la France présente la tendance la plus dynamique parmi les marchés qui étaient interrogés.
Chez Displayce, notre but est d’accompagner les clients, d’être pédagogues et de démontrer le potentiel du pDOOH comme un levier essentiel pour améliorer la considération des marques. Nous travaillons depuis 2023 avec Happydemics pour tout ce qui est mesure d’efficacité. Or, il s’est avéré que c’est sur la considération – ce moment où la personne a en tête d’effectuer un achat, elle connaît déjà l’univers de marque – que le DOOH va venir l’influencer à ce moment clé, et de l’inciter à considérer une marque plutôt qu’une autre. Et c’est aussi un excellent média pour générer de l’attention.
Une critique récurrente du pDOOH est qu’il coûterait plus cher d’acheter des écrans très affinitaires en programmatique plutôt que des écrans non ciblés en gré à gré.
M.M. : C’est une réalité… à nuancer.
Souvent, ce que l’on compare entre le gré à gré et le programmatique n’a rien à voir. Quand un écran est acheté en programmatique, il peut présenter un coût plus élevé à l’impression, mais la valeur générée n’est pas la même. On ne parle plus de volume d’écran avec juste un indicateur intéressant qui serait l’emplacement, mais on va parler plutôt de pertinence, de contextualisation et d’efficacité dans les moments d’activation. Et surtout de plus de précision dans le ciblage : on va venir activer les écrans avec un angle d’audience plutôt que simplement d’emplacement.
Donc, le DOOH en programmatique permet d’acheter potentiellement moins, mais d’une meilleure manière. Cela offre la possibilité d’activer seulement les moments, les lieux, les audiences les plus stratégiques pour une marque. Cela donne des campagnes plus ciblées, mieux mesurées, et un meilleur retour sur investissement global.
C’est aussi une approche complémentaire. Souvent, le DOOH en programmatique intervient en parallèle d’une prise de parole en gré à gré. Quand on travaille avec les cellules affichage des agences, c’est très rare qu’elles activent uniquement du programmatique. Après, pour les cellules programmatiques en agence, ou les agences digitales plus largement, là, c’est du DOOH programmatique uniquement.
Quels sont les cas d’usage et les typologies d’annonceurs les plus fréquents dans les campagnes pDOOH diffusées via Displayce ?
M.M. : En 2024, les secteurs les plus représentés parmi nos clients, sont le voyage, la banque, l’assurance et la mode. En termes de cas d’usage, je dirais que c’est 50-50 entre des campagnes nationales, donc de la visibilité et un objectif d’impact fort, et en parallèle, des campagnes très localisées pour soutenir, par exemple, une ouverture de magasin ou un événement très local, voire du multilocal. Par exemple, une marque qui cherche à couvrir les zones de chalandise de tous ses magasins en France. Cela a été le cas avec Yves Rocher, que nous accompagnons depuis plusieurs années, pour ses 650 Magasins.
Êtes-vous tentés de rester spécialistes du pDOOH ou pourriez-vous vous étendre à d’autres supports comme certains grands DSP ? On pense notamment à la CTV, à l’audio digital ou encore au display…
M.M. : Nous avons fait le choix d’être une suite technologique spécialisée et pionnière de la communication extérieure. Displayce s’est lancée en 2014. Les deux fondatrices étaient en avance sur leur marché quand elles ont lancé la première plateforme tech dédiée à l’achat programmatique DOOH en France. Personne n’en parlait à l’époque.
Ce positionnement présente plusieurs avantages. Cela permet de centraliser toutes les étapes d’une campagne DOOH, de la réception d’un brief client jusqu’à la recommandation média, le set-up de la campagne sur la plateforme, et la mesure de performance. Cela simplifie les processus pour les agences et les annonceurs, guidés étape par étape.
La vocation première de Displayce depuis 2014 a toujours été de rassembler tous les acteurs – pas de manière exhaustive, mais en masse – et de faire gagner du temps aux acheteurs en évitant de devoir contacter tout le monde.
Si nous avons aujourd’hui la possibilité de mener du retargeting mobile, pour retoucher les personnes qui ont été exposées en DOOH, notre positionnement reste celui d’une plateforme experte, pas d’une plateforme omnicanale.
Mais au-delà de la DSP DOOH, Displayce propose aussi une DMP. Cela nous place sur le marché comme une suite vraiment dédiée à l’OOH, que ce soit pour les acheteurs affichage ou les médias owners.
À quoi sert la DMP OOH de Displayce ? D’où proviennent les datas utilisées sur cette DMP ?
M.M. : La plateforme data de Displayce est à destination des media owners. Elle leur permet de centraliser toutes les données liées à leurs inventaires dans un seul environnement, pour mieux gérer et unifier la monétisation globale. Elle permet aussi de créer des segments d’audience à partir de cette data, des segments personnalisés qui viennent croiser des données propriétaires en first party et des données partenaires en second party. Cela permet d’enrichir les briefs clients avec des insights précis, et de mener des activations OOH plus ciblées et plus pertinentes – aussi bien en DOOH qu’en OOH classique. Ces segments peuvent ensuite être activés en direct ou en programmatique. Les media owners peuvent réaliser une proposition média à adresser directement à leurs clients, ou la déverser dans une DSP – que ce soit Displayce ou une autre. Ils peuvent aussi suivre la performance des segments utilisés et piloter la croissance des revenus générés par la data.
Concernant l’origine des données : il y a les données first party, donc propriétaires, issues des régies – inventaires, audiences, géolocalisation des écrans. Ensuite, il y a des données sur mesure et en second party. Par exemple, de la data retail ou démographique. La data retail, ce sont des données de vente issues de Carrefour ou Monoprix, exploitées par JCDecaux. JCDecaux achète les données de tickets de caisse à Carrefour ou Monoprix, qui sont ensuite agglomérées par catégories de produits. Cela permet d’activer les écrans en vitrine, aux moments précis des pics de vente. Il y a aussi de la data démographique – par exemple, les profils de personnes qui passent le plus souvent à certains moments devant les écrans. Nous avons aussi de la data aéroportuaire, grâce à Cirium, qui nous permet de créer des parcours de diffusion précis – comme cibler les Français qui partent au Japon, en activant les écrans tout au long de leur parcours vers les portes d’embarquement. Et enfin, nous avons aussi des données de transport, comme celles de Mediatransport, qui peut intégrer ses données d’horaires ou de destinations de train pour créer des parcours de diffusion contextualisés.
Les annonceurs et agences souhaitent qu’une mesure unifiée des performances du DOOH soit mise en place. En discutez-vous avec d’autres acteurs du secteur ?
M.M. : Oui, en effet, la mesure des campagnes DOOH est en train d’évoluer. C’est un sujet assez complexe, étant donné la diversité des écrans DOOH. Quand on parle d’un écran en extérieur, il est forcément beaucoup plus difficile d’estimer le nombre de personnes qui se trouvent devant à des moments précis, comparé à un écran dans une salle de sport – là, on est sur du factuel, avec des personnes qui badgent. Un Basic Fit est tout à fait en mesure de donner des estimations qui sont quasiment des constats de volume.
C’est un sujet qu’on prend à bras le corps. Nous restons une plateforme technologique d’achat, donc notre rôle par rapport aux estimations d’audience, c’est de venir les récupérer via les SSP, dans la bid request, au moment où on achète l’écran. L’écran nous envoie sa disponibilité, et à l’intérieur, on a ce qu’on appelle un « impression multiplier », qui nous permet de connaître le nombre de personnes devant les écrans. Ce sont les media owners qui sont en charge d’estimer ces volumes et de renseigner cet coefficient d’impression sur la SSP.
Nous restons cependant engagés sur le sujet. Nous sommes membres d’associations de publicité et de marketing dans chacun des pays où on opère. En France, nous participons au groupe de travail de l’Alliance Digitale. Cette problématique a été l’objet d’un livre blanc l’année dernière.
Quelle est pour vous l’étape d’après pour le pDOOH ? Sur quelle innovation seriez-vous prête à parier ?
M.M. : C’est un média qui connaît une très forte croissance, donc cela confirme l’attractivité et l’intérêt grandissant des marques pour ce levier. Il y a plusieurs dynamiques qui transforment le secteur, notamment l’essor de l’IA générative. Mais je pense qu’on peut d’abord s’attendre à une personnalisation plus poussée des créations. C’est un sujet dont peu d’agences et d’annonceurs s’emparent, car le budget n’est pas forcément mis sur la créa en DOOH. On a souvent uniquement des adaptations de campagnes digitales ou print. Il est encore assez rare d’avoir des campagnes développées spécifiquement pour le DOOH.
Ce qui fonctionne vraiment pour ce média, qui est intégré dans le monde réel, est de contextualiser la création. Avoir un message dédié au moment de la journée – qu’on soit le matin ou le soir – ou encore plus pertinent, s’adapter à l’environnement de diffusion, que ce soit dans les transports ou dans un centre commercial. Avoir un message différent dans ces cas-là fonctionne très bien pour augmenter l’impact des campagnes.