Undiz : retour sur une campagne réalisée avec l’IA, entre polémique et innovation

Par Élodie C. le 28/06/2023

Temps de lecture : 10 min

Un one shot et un débat.

Au milieu de l’effervescence suscitée par les IA génératives, une campagne a suscité l’émoi. Deux affiches dont l’image a été “générée par une IA”, comme chacune le mentionne. Et ce slogan, presque comme une provocation : Express your creativity. Deux jeunes filles, sous l’eau, portant les maillots de bain de la marque, sirènes irréelles défiant les lois de la photo de mode. Undiz réalise une première et anticipe les critiques éventuelles en justifiant longuement l’emploi de ces intelligences artificielles dans le communiqué de presse de la campagne. 

Qu’a voulu exprimer la marque avec cette nouvelle écriture visuelle ? L’utilisation de l’IA générative ne s’inscrit-elle pas à rebours des attentes de sa cible, les jeunes générations, pour plus d’authenticité dans les messages et dans les corps ? Est-ce une première étape pour Undiz avant d’explorer les autres possibilités offertes par l’IA générative ?

Marie Dardayrol, directrice marketing et digitale de Undiz, nous répond sans filtre, ni retouche.

On imagine que la saison estivale est une période charnière pour Undiz. Quels sont les défis de la marque en termes de communication ?

Marie Dardayrol : Les enjeux de communication sont multiples : 
– la modernisation de la marque avec un nouveau positionnement d’image : nous sommes une marque d’une quinzaine d’année s’adressant à la Génération Z. Celle d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle d’hier, il est donc important d’être toujours dans la tendance et la mouvance du jour. 

 – s’exprimer avec les codes de la génération Z : avec notre CEO, Isolde Andouard, nous souhaitions nous mettre dans ces codes-là et renouveler notre image tout en conservant votre ADN de marque. D’où le travail entrepris sur la vidéo, étant donné que nous nous adressons à des générations présentes sur des réseaux sociaux très fragmentés – Instagram, TikTok, Snapchat – où la vidéo est au centre, même s’ils ont chacun leurs propres codes. 

– transmettre notre message : nos vidéos se doivent de suivre ces nouveaux codes. La lingerie est souvent illustrée en appartement, dans un univers feutré, nous voulions en sortir pour proposer autre chose. Comme notre nouveau claim le revendique : Express yourself (vs Cool lingerie limitant sur le homewear). Il traduit cette volonté des jeunes générations de n’être mis dans aucune case, elles se sentent plurielles, ont envie de s’exprimer et s’amuser. 

À côté de ça, nous devons composer avec les contraintes liées à la lingerie, donc à la nudité, au corps, etc. C’est en partie pour cela que nous adoptons les codes de TikTok : de la danse pour symboliser l’expression de soi, la joie de se sentir bien, et des effets de transition pour montrer notre collection de maillots.

Vous avez récemment dévoilé une campagne de communication “summer hybride” Express your creativity réalisé avec deux IA génératives (Midjourney et Stable Diffusion) : comment est née cette campagne réalisée avec l’agence Cowboys et quels en étaient les objectifs ?

M.D. : Cette campagne est née de l’intérêt que nous portions, avec Isolde, aux IA génératives. La vraie genèse de cette campagne a débuté il y a presque un an de cela, lorsque je suis tombée sur Midjourney. Cette IA n’était pas du tout au même niveau qu’aujourd’hui. J’y voyais néanmoins une capacité créative accessible pour faire des choses un peu folles. Mais c’est OpenAI, avec ChatGPT, au mois de novembre dernier qui a sorti une solution vraiment exploitable. 

Nous l’avons intégré dans nos équipes pour rédiger nos pages produits, autrefois délégué en externe, mais pas vraiment calibrées SEO. Pour dépénibiliser ce travail, nous avons utilisé ChatGPT, et embauché des personnes pour challenger ses rendus. C’est une nouvelle façon intéressante de travailler, avec une vraie approche RH de formation des nouveaux talents (au siège, nos salariés ont 28 ans en moyenne). Cette démarche pouvait également nous permettre de maximaliser nos performances tout en rendant le travail intéressant. Nous avons donc suivi le sujet avec l’envie d’utiliser ces nouveaux outils. 

Et la campagne ?

M.D. : Au moment de travailler sur la campagne “bain”, nous souhaitions également casser les codes de cet univers — bord de piscine ou de mer — pour apporter quelque chose de visuellement spectaculaire. Nous avions déjà notre campagne vidéo avec beaucoup de photos (vitrines de magasins, social media et site), en revanche la campagne d’affichage (ici avec JC Decaux), se devait d’interpeller les gens, puisque tout se passe en 2 secondes. Avec ce support, les visuels/modèles sont parfois un peu blanchis, et le produit est peu visible. Loin de l’aspect spectaculaire souhaité. 

Nous avons tenté un essai avec Midjourney qui a montré ses limites puisque le format reste réduit et que ces IA génératives — et c’est très bien — censure la nudité. Nous ne pouvions donc pas générer de corps et encore moins portant nos produits. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendus compte que le marché n’était pas encore près : si tout le monde avait envie de se positionner sur les intelligences artificielles génératives, personne ne nous a proposé de solution au moment où nous cherchions à recruter. Nous sommes alors tombés sur Cowboys, spécialisé dans le luxe, et nous avons construit avec eux. 

Cette campagne était aussi un moyen de prendre la parole en premier sur de l’innovation, tout en ajoutant une nouvelle corde à notre arc. En élaborant cette campagne, nous voyions apparaitre une nouvelle lecture, un grain et un traitement de l’image assez reconnaissables. Avec des défauts certes, sur les mains, les pieds ou les cheveux, que nous avons choisi d’embrasser, et ce, afin de ne pas mentir, pour entrainer l’œil des gens à ces nouvelles écritures visuelles.

Justement, la décision d’assumer les imperfections liées à la technologie et de les intégrer dans les visuels est intéressante. On peut y voir un parallèle avec la volonté de plus en plus affirmée de certaines marques d’assumer les imperfections de leurs modèles, réels ceux-là. Alors que ceux générés par l’IA générative n’en ont pas. Pourquoi avez-vous fait ce choix et comment cela s’inscrit-il dans la nouvelle imagerie que vous souhaitez proposer ?

M.D. : C’est précisément ce que l’on fait. Sur notre campagne bain, l’une de nos modèles a des bagues, d’autres ont des vergetures, nous ne retouchons absolument rien. Nous embrassons la totalité et la plénitude de la beauté des femmes, que ce soit sur nos campagnes, vidéos, photos ou réseaux sociaux.

Ici, en l’occurrence, nous avons souhaité conserver le rendu ainsi, car nous ne voulions pas faire de faux et mentir aux gens : les défauts sont conservés. Cela fait partie de l’exercice. Nous avons d’ailleurs précédé le juridique en mentionnant la réalisation par IA sur les affiches alors que rien n’est acté légalement. L’idée est de proposer une option créative différente, avec une histoire, et éventuellement un débat.

D’un autre côté, pourquoi ces filles n’ont pas plus de défauts ? C’est très compliqué d’un point de vue technique. Au même titre que nous ne pouvons pas intégrer le vêtement, il n’est pas aisé de manipuler le rendu. Nous voulions prioritairement qu’elles aient l’air saines et proportionnées (pas de standards de beauté impossibles).

Le communiqué de presse est plutôt long pour une telle campagne. Undiz semble beaucoup justifier / expliquer le recours à ces nouvelles technologies, une première dans le secteur. Vous anticipiez les débats qu’elles allaient engendrer ? 

M.D. :  Oui, et cela aurait été bien malheureux de ne pas les anticiper. Tout un débat a déjà éclos sur ChatGPT et son utilisation en général, dans l’éducation ou dans l’entreprise. Nous nous étions posés les questions et tenions à préciser un certain nombre de choses. Nous avons donc expliqué que ces affiches faisaient partie d’une campagne globale et que les gens seraient exposés à plusieurs types de contenus et images. C’était important pour nous de donner du contexte.

Undiz a pris la décision de mentionner le recours à l’IA sur ses affiches publicitaires pour garder une transparence totale envers le grand public. Pourquoi cette transparence est-elle importante ? Quels ont été les retours autour de cette campagne ? 

M.D. : La transparence est nécessaire, au même titre que certaines entreprises ont été obligées de mentionner les retouches sur les visuels. Nous devons être transparents sur les outils utilisés lorsqu’ils impactent la perception de la réalité. Nous voulions l’assumer.

Globalement, les retours ont été très positifs — « très beau, réussi, bien intégré ». La profession et la concurrence ont salué la prise de risque, puisque toute innovation engage la marque. Nous avions aussi un challenge d’homogénéisation par rapport à l’ADN de la marque.

Évidemment, et c’est très humain, nous avons eu des retours plus contrastés sur Instagram de la part de photographes et modèles professionnels nous faisant part de leurs inquiétudes. Nous avons tenté de les rassurer, car nous réalisons des milliers de photos avec des photographes et nous ne replacerons jamais l’humain : nous avons besoin d’incarnation, de chaleur, de charisme. Nos vidéos parlent d’elles-mêmes, nous sélectionnons des modèles représentant quelque chose de fort sur nos féminités. 

Hors contexte, quelqu’un qui voyait cette campagne dans la tourmente de tous les sujets sur l’IA pouvait interpréter ça comme : Undiz se passe d’un photographe et d’un mannequin. Au contraire, sur cette campagne, nous avons fait travailler énormément de corps de métiers : DA, photographe (pour le shooting de vrais mannequins en combinaison verte avec les maillots de bain pour les intégrer par la suite), prompt ingenieur (Midjourney et Stable Diffusion), retoucheurs, etc. Nous avons fait travailler approximativement le même nombre de personnes que sur une campagne classique.

Cette campagne a permis d’ouvrir le débat, avec des pour et des contres. Toutefois, elle a été plutôt bien prise, car c’est une utilisation créative, qui ne tente pas de fausser la réalité, mais nous propulse dans un imaginaire sans limites.  

Y aura-t-il d’autres campagnes produites avec l’aide d’IA générative ?

M.D. : Non, c’était un one shot. Nous ne recommencerons pas avec la génération de mannequins via IA. L’occasion a fait le larron. Aujourd’hui, nous nous acheminons vers des solutions de fonds/décors, comme actuellement avec une collection dans l’esprit Bridgerton (la série de Netflix, La Chronique des Bridgerton, NDLR) : nous n’avons pas forcément les moyens d’aller nous offrir Versailles, mais nous pouvons imaginer un décor avec des couleurs très pop ou réinventer l’imagerie d’un château.  

Nous voulons nous challenger et travailler avec des talents de la communauté. Nous pensons être dans une démarche qu’il faut poursuivre, c’est l’avenir dans nos bureaux, pour nos équipes et cette génération immergée dedans : +6 étudiants /10 ont déjà utilisé ChatGPT, ils savent tous que cela fera partie de leur quotidien. Un peu comme notre génération ne s’est pas posée la question avec la suite Office (de Microsoft, NDLR).

Nous souhaitons également investiguer la vidéo, améliorer la vie des gens, maximiser notre travail en interne et faire un pas vers le futur en utilisant des outils très abordables aujourd’hui. Ce ne sont que des outils qui viennent en complément ou en remplacement de vieux outils.

Comment envisagez-vous l’avenir de la créativité publicitaire avec l’intelligence artificielle générative ? Pensez-vous que cette technologie continuera à jouer un rôle important dans les campagnes de communication à l’avenir ?

M.D. : Dans le court et moyen terme, oui. Les agences sont challengées donc elles se staffent : je vois des choses passer sur TikTok, mais lorsque je demande à mes agences, je vois bien que tout le monde n’est pas près. De la même façon que nous produisons nos visuels et vidéos dans les codes TikTok, ces IA génératives deviendront une nouvelle lecture visuelle, comme la 3D ou la motion. Les agences doivent avoir ce panel dans leur boite à outils. Cela va se traduire par des recrutements sur du savoir-faire. 

Question traditionnelle de la rubrique parole d’annonceur : quel est le secret d’une relation annonceur-agence réussie ?

M.D. : Le respect mutuel, dans la manière de communiquer, mais aussi dans les délais de réponse, dans les deals de départ, etc. Je viens de L’Oréal et LVMH, l’idée est d’être une marque agile, professionnelle et sérieuse. À partir de là, lorsque l’on se dit les choses et que l’on est carré, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas.

Dès le brief, nous nous disons les choses très clairement, que ce soit avec Dacor ou Cowboys, et nous nous sentons obligés d’être réactifs. Chez Undiz nous avons la chance d’avoir des hiérarchies courtes, avec une CEO réactive, agile et flexible et dans la prise de risque raisonnée. Cela fait gagner du temps à l’agence, notre action/réaction est forte.

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