Comment les marques doivent réinventer leurs stratégies social media

Par Xuoan D. le 11/12/2017

Temps de lecture : 8 min

Pour mieux relier émotion et conversion.

En séparant les fils d’actualités réservés aux amis d’un côté, et aux marques et médias de l’autre, Snapchat a récemment surpris le marché. Et cela quelques semaines après que Facebook ait testé une dichotomie similaire. Les contenus organiques ont-ils encore un avenir sur les plateformes ? Lilith Peper, directrice conseil chez Braaxe voit plutôt dans ces changements une opportunité pour les marques de s’engager dans une stratégie plus ambitieuse : séduire avec des contenus de qualité « broadcast », pour ensuite soigner la conversion grâce à un accès inédit à la data. Tel est le programme de cette nouvelle interview Jeunes Loups !
 

Quel constat faites-vous du social media aujourd’hui pour les annonceurs ?

Lilith Peper : Aujourd’hui, un annonceur se retrouve forcé d’investir toujours plus afin de dépasser les limites du reach organique, créant ainsi ce qui pourrait s’apparenter à une addiction : plus on poste, plus on doit augmenter son budget. Les pages Facebook des éditeurs ont d’ailleurs connu une chute de 52% dans le reach organique des liens partagés.

La prédominance de la vidéo est également l’une des évolutions majeures. Que ce soit Twitter, Linkedin, Instagram, Facebook… Leur point commun : la vidéo. Sur l’ensemble de ces plateformes, elle est le format le plus partagé.

Une marque aujourd’hui se voit donc forcée à deux choses :
1/ respecter le format imposé par le réseau
2/ investir toujours plus en création et en diffusion de contenus.

Cette dualité de l’enjeu (format émotionnel et forte stratégie média d’ultra ciblage) nous évoque un média traditionnel : la télévision. Chaque chaîne a une ligne éditoriale propre, qu’elle adapte dans ses contenus en fonction de sa cible. Elle ne diffusera pas le même programme à 14h un mardi qu’à 20h un vendredi. Pourtant, tout le monde identifie la chaîne et son ADN. Elle sait simplement adapter ses contenus et son ciblage.

C’est ce vers quoi doit tendre le social media : une marque ne devra plus forcément penser un community management fil rouge, avec un nombre défini de posts par mois correspondant à son cœur de cible, mais concevoir ses posts comme des micro-concepts, des mini programmes télévisuels. Cela ne concerne évidemment pas toutes les marques, tout de suite ; mais c’est une des mutations à anticiper, pour redonner aux internautes l’envie d’avoir envie de s’engager avec les marques.
 

Dans ce contexte, le social media est-il en voie de disparition ?

LP : Le social media n’est pas en voie de disparition, mais en voie d’une mutation profonde.

Aujourd’hui, un adulte scrolle 90 mètres de contenus par jour. Nous sommes dans une économie de l’attention : tout l’enjeu est de faire s’arrêter le pouce.

Facebook propulse le format de contenus qu’il souhaite que l’on consomme. Or, le format poussé de manière massive, c’est la vidéo : le lancement de Facebook Watch, son service de contenus uniquement vidéos, le prouve bien. De même que le développement de Creator, qui aide les éditeurs de vidéo à créer et diffuser leurs contenus.

Dans ce cadre, le développement de médias 100% digitaux est intéressant à analyser. Pensons à Brut : en proposant une forme de narration purement snack content et adaptée à la consommation sociale de l’information, le media a su tirer profit de cette prédominance de la vidéo, et ce quel que soit le réseau.

Nous pouvons aisément imaginer qu’à terme, nous aurons un fonctionnement double sur le modèle de WeChat. Un double feed, divisé comme suit : un feed marketing avec une communication relativement verticale des marques vers les consommateurs via des contenus uniquement paid et un feed communautaire sur lequel les internautes pourront voir les publications de leurs amis – et, de manière anecdotique, celles des marques en version organique.

On peut également parier sur un 3e volet, qui sera le conversationnel pur. Cela est étayé par l’investissement que met Facebook dans les bots : arrivée prochaine de Messenger kids, de Messenger Broadcast, des plugins messenger…
 
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Comment une marque peut-elle répondre à cette mutation ?

LP : Le Newsfeed Ranking Algorithm de Facebook privilégie les vidéos proposant un contenu regardé à plus de la moitié.

Le format vidéo est cependant certainement celui qui génère le moins de clics vers le site de l’annonceur : l’internaute regarde la vidéo mais ne cliquera pas sur le lien. Pourtant, les marques multiplient ces formats. Le paradoxe devient immense pour l’annonceur.

Il faut donc :

1/ produire moins en quantité mais favoriser les contenus de qualité : des contenus qui soient suffisamment beaux, informatifs et créatifs pour que la durée de visionnage s’allonge

2/ implémenter un mix media par contenu et par plateforme avec des objectifs précis : visibilité / engagement et ROI

Il faut désormais penser double : d’abord, créer d’un côté un contenu à forte valeur émotionnelle et créative qui permettra de capter l’internaute à travers notamment les vidéos et les nouveaux formats. Puis, penser conversion en propulsant des contenus plus simples mais très ciblés.

Si un internaute a été engagé avec la vidéo, en la regardant par exemple plus de 5 secondes, nous pourrons considérer qu’il est mature pour de la conversion : des posts sponsorisés, plus simples, qui le dirigeront vers un acte d’achat, par exemple.
 

Quel sera l’impact budgétaire de ce changement de modèle ?

LP : 2017 a été une immense transition. L’arrivée de formats attractifs comme les vidéos de type « Brut » ou le format story a accéléré le temps passé sur les réseaux sociaux : les stories ont fait grimper le temps d’utilisation quotidienne à 32 minutes par jour pour les moins de 25 ans, et 24 minutes par jour pour les plus de 25 ans.

Le social media est encore trop souvent le dernier maillon de la communication en termes d’investissements budgétaires. Les annonceurs doivent changer leurs modèles. L’attention est sur mobile et en partie sur les réseaux.

Pour sortir du lot, les annonceurs doivent prendre la mesure du changement. Les marques doivent être bien accompagnées pour plusieurs raisons :
– la production de vidéos est complexe, chronophage et coûteuse.
– la professionnalisation des contenus est exponentielle. Le simple post ne suffit plus, il faut des productions « télévisuelles » très travaillées. Le live nécessite par exemple un vrai savoir-faire.
– l’effondrement du reach organique oblige des stratégies médias de plus en plus importantes.

D’ailleurs, nous avons revu tout notre système de production en intégrant notamment un studio de production pour répondre à ces attentes. Nous maîtrisons toute la chaîne de production, depuis la captation ou la création de contenu jusqu’à la post-production, la diffusion et l’analyse. La stratégie est adaptée au quotidien car les modes sont très versatiles.
 

En quoi les stories marquent une rupture dans le social media connu jusqu’alors ?

LP : D’abord parce qu’elles constituent presque un réseau social alternatif à elles seules ! Elle se développent en propre sur chaque réseau, et sur tous les réseaux : Snapchat et Instagram bien sur, Facebook évidemment, mais aussi, de manière plus surprenante, Youtube, avec le lancement de Reels.

Ce qui est intéressant avec Reels, c’est sa forme : les stories auront droit à un nouvel onglet dédié sur les chaînes des créateurs. Un mini-réseau dans le réseau…

Considérons Instagram, qui développe énormément ce format en ce moment. Aujourd’hui, les stories sont plus regardées que le feed Instagram. Nous devrions presque penser le feed de la marque comme un print qui reflèterait son ADN et les stories comme un support permettant de diffuser le fond d’un propos.

Le format vertical, rapide de la story favorise cette consommation « zapping » et snacking du contenu, que l’on hérite de la télévision.

L’arrivée de Highlights, les stories qui demeurent le temps voulu sur le profil de l’internaute ou de la marque, va clairement en ce sens. On peut créer des Highlights comme on créerait un programme télévisé, leur attribuer un logo, un nom, et y intégrer de manière régulière des contenus additionnels.

Les influenceurs ne vendent d’ailleurs plus de contenu blog écrit, mais bien des stories Instagram pour la majorité ! Et cette possibilité de mettre en avant une story pendant un temps indéfini va accentuer ce phénomène.

C’est donner une forme de pérennité à la vidéo, sur le modèle du podcast ou de la VOD. C’est également la possibilité de faire de l’Instagram d’une marque une chaîne qui diffuse des contenus vidéos et les conserve – et les pérennise.
 

Quel conseil donneriez-vous aux marques souhaitant communiquer sur les réseaux sociaux ?

LP : L’hégémonie des formats entraîne une uniformisation de la communication des marques. Difficile de distinguer, sur Instagram par exemple, un post de marque d’un autre. Le risque pour la marque est de perdre son identité propre en voulant s’inscrire dans la mode du moment, souvent définie d’ailleurs par les pure-players qui éditent des contenus « dans le vent ».

La marque ne doit donc pas s’inscrire dans une temporalité finalement très éphémère qui lui ferait perdre son ADN. Le rôle de l’agence est de toujours partir de la marque. D’abord la stratégie de marque, puis vient la stratégie de moyens.

La force de l’agence de publicité, historiquement, est d’avoir la connaissance, la maîtrise et la compréhension de ce qui fait une marque : qui elle est, ce qu’elle doit dire et comment. La proposition de marque doit être légitime et unique.

De plus, l’agence a la connaissance des formats et des usages, mais aussi et surtout la capacité de création. Une belle idée permet aussi de faire des économies en paid media !

Enfin, nous pensons qu’elle doit être totalement indépendante sur le choix du media le plus pertinent pour assurer la diffusion du contenu. Là où Facebook vendra ses services, et Vice ses contenus, nous travaillons main dans la main avec chacun mais en les sélectionnant dans l’intérêt de la marque, qui s’assure ainsi de garder son identité – et sa différence.


Une interview de Lilith Peper, épaulée par Alice Fournet, François Bévierre, Clément Bouton et Julien Casiro de l’agence Braaxe.

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