L’Ice Bucket Challenge, le phénomène viral de l’été

Par Frédérique R. le 29/08/2014

Temps de lecture : 7 min

En moins d’un mois, un défi entre amis s’est transformé en événement planétaire au service de la lutte contre la sclérose latérale amyotrophique (ALS). Véritable déferlante sur les réseaux sociaux, l‘Ice Bucket Challenge a fédéré tous les publics, des anonymes aux People. Avec une levée de fonds sans précèdent de près de 100 millions de dollars, le phénomène viral de l’année a contribué à la notoriété d’une maladie peu connue. Le tout sans préméditation ou investissement initial de la part de l’ALS Association !

Le contexte

Pour ceux qui auraient passé leurs vacances dans une grotte sans entendre parler de l’Ice Bucket Challenge, il s’agit d’un défi en chaîne. Au début, ce n’était qu’un jeu qui consistait à se filmer en train de se verser un seau d’eau glacée sur la tête, à nommer quelqu’un et le mettre au défi de faire pareil.

La 1ère évolution a fait passer le jeu à : « relever le défi OU faire un don a une association ». Puis ce fut « relever le défi OU faire un don à l’ALS Association ».

Aujourd’hui, le challenge est une opération officielle de communication qui apparaît sur le site de l’association américaine luttant contre l’ASL. Le nom #icebucketchallenge est même assorti d’un trademark. Pourtant aucune agence ne revendique à ce jour la paternité du buzz.

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Nous serions donc face au 1er phénomène viral caritatif complètement produit, généré par la toile elle-même. Avec des effets en terme de viralité, de notoriété, et concrètement de dons en espèces sonnantes et trébuchantes dont aucune association n’aurait jamais osé rêver, même accompagnée des plus grands experts en communication. Et une adaptation sans précédent de la communication de l’ALS Association qui a fait preuve de réactivité en l’absorbant.

La genèse du succès, en 4 points

Le succès incroyable de cette opération semble venir de la conjonction et de l’enchaînement de plusieurs facteurs :

 

1. une idée simple et potache au départ : jouer avec de l’eau, se filmer et défier les copains

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Les versions diffèrent selon les cas entre sauter dans l’eau glacée ou se verser un seau d’eau avec des glaçons sur la tête, mais le principe est de se filmer, de poster sur les réseaux sociaux et de mettre d’autres personnes au défi de faire pareil. Des initiatives précédentes dans le même esprit, comme « A l’eau ou au resto » connue en France, ont sans aucun doute contribué à installer un contexte réceptif.

 

2. des amplificateurs : la période et les protagonistes

L’été, on aime se mouiller, c’est une période propice à la détente, au jeu… et au niveau médiatique, une période pauvre en sujets intéressants. Les vidéos des anonymes qui relèvent le défi arrivent sans difficulté dans les timelines de People, qui se mettent eux aussi à se filmer et à se nommer. L’effet action / réaction joue à plein et fait boule de neige sur les réseaux.

La migration d’un phénomène peu codifié à l’#icebucketchallenge pour l’ALS est marquée par la contribution de Pete Frates, un ancien sportif atteint par la maladie de Charcot, qui lance un véritable appel à tous depuis Boston. Les statistiques de Facebook montrent visuellement la dispersion depuis l’Est des US de façon assez frappante :

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Pete Frates initie la viralité du mouvement chez les sportifs. La notoriété de certains permet ensuite la connexion avec les People de tous horizons. Le mouvement devient alors complètement auto-porté : plus on en parle plus on le fait etc. On observe une montée en puissance des noms qui s’ajoutent à la liste, qu’on le fasse ou qu’on décline : Mark Zuckerberg, Bill Gates, Justin Timberlake, Barack Obama (qui a poliment décliné mais fait un don)… Sportifs, politiques, patrons d’entreprise, chanteurs, acteurs… seul ou en équipe, tout le monde le fait ou en parle.

 

3. du sens : le défi fait parler, sans doute de façon négative au début

On souligne le côté potache et inutile, le fait de gâcher de l’eau… Donner à des associations, voilà qui est bien plus responsable… Bingo ! Les deux idées se percutent et s’associent dans la communication d’une célébrité touchée par l’ALS. Ce serait le golfeur Cris Kennedy qui aurait ajouté la dimension du don en disant « soit tu relèves le défi, soit tu donnes 100 dollars à l’ALS ». A partir de ce moment là, le fun du défi se voit augmenté d’une certaine noblesse pour la bonne cause.

 

4. les moyens : les réseaux sociaux et la vidéo

L’essence, le fonctionnement des réseaux est communautaire et immédiat. Ils confirment ici une puissance prescriptrice et une capacité à changer les choses et les perceptions. Avec le digital, le visuel a pris le pas sur le descriptif rédigé. La vidéo, contenu largement plébiscité sur tous les supports, mobile en particulier, confirme sa position dominante dans les contenus.

 

Les enseignements

Proche de la mécanique de crise, la viralité du contenu à l’ère du digital se constate mais ne se décrète pas (encore).

Ce que les agences et les annonceurs peuvent retenir, c’est que le public est capable du meilleur, et tout seul. Avec de l’autocritique, de l’autodérision, voire même de l’autorégulation : les dérives éventuelles sont stigmatisées de suite par les internautes.

Que la spontanéité est une composante à part entière du succès : il y a fort à parier que le principe va être tordu dans tous les sens et pour toutes les causes. Mais que cela n’aura pas les mêmes effets. Car ce qui a motivé le public, c’est sans doute la surprise, et la possibilité du libre arbitre de donner ou pas qui ne fait pas partie de la demande initiale.

Que la quête de sens qu’on observe dans la Société est une vraie tendance de fond, et que le sens est nécessaire voire même indispensable pour mobiliser les gens. A égalité avec l’image. L’introduction de la cause noble (don / soin / maladie) a stimulé la participation avec un effet balancier : l’envie de se montrer le dispute à l’envie de faire le bien, ou en tout cas à l’envie de ne surtout pas passer pour insensible, pingre ou douillet.

Que la simplicité, en complément du sens, est clé pour stimuler la participation : tout le monde peut faire le défi, il n’est ni question de compétence ni de force, c’est à la portée de tous. Par analogie, tout le monde peut donner, même un peu. L’action porte le message avec plus de force que l’injonction “donner parce qu’on en a besoin et que c’est important” dont on sait qu’elle ne fonctionne mal : 94,3 millions en moins d’un mois d’Ice Bucket Challenge vs 64 millions sur tout 2013 pour l’ALS Association. Les chiffres parlent eux-mêmes.

Que la réactivité et le professionnalisme sont clés pour savoir tirer parti d’une situation incontrôlable : le site de l’association a inséré des bonnes pratiques pour le challenge et va jusqu’à prôner l’Advocacy des participants. Par ailleurs, Barbara Newton, dirigeant d’ALS, actualise sa prise de parole en remerciant les donateurs sur le site.

Les limites de l’exercice

L’opération est un succès en terme de notoriété et d’argent récolté. Et ce en seulement un mois. Il semble cependant que les limites soient déjà atteintes, parce que les marques tentent de surfer sur la vague et que le public rejette cette appropriation du système. Comme si il tolérait la montée en puissance tant que c’est lui qui fait, mais qu’il rejetait dès que les tentatives d’orchestration et de reprise sont trop visibles.

L’exemple le plus controversé est Samsung mettant au défi Apple, via ses smartphones étanches :

Le risque est bien entendu l’overdose. Et la désaffection au final. Ce principe de défi viral risque d’être repris jusqu’à en épuiser l’efficacité et ne semble pas être un modèle ou un type d’activation reproductible. Parce qu’on l’aura trop vu, parce que ce ne sera plus nouveau et que forcément lorsque c’est connu c’est beaucoup moins fun. Aussi parce que cela soulève des polémiques sur lesquelles les gens n’ont pas envie de prendre position. Exemple avec l’acteur Matt Damon : très engagé pour sauver la planète, il accepte de relever le défi en utilisant l’eau des toilettes pour attirer l’attention sur le gâchis alors que certains meurent de soif. Aussi taquin que généreux, Charlie Sheen s’est illustré en versant 10 000 dollars sur son crane… et sur le compte de l’association.

Si la réaction de l’ALS association a été pertinente et constitue un enseignement, on peut se demander quel sera “l’après”. Comment l’association va-t-elle s’adapter au déclin d’un phénomène qu’elle ne maîtrise pas ?

Quelques chiffres de l’#icebucketchallenge

Dons collectés
94,3 millions de dollars pour l’ALS association (vs 2,7 million à la même époque en 2013 et 64 millions sur toute l’année 2013)
2,1 millions de nouveaux donateurs
En France : 3 fois plus de dons pour l’association ARSLA
Source US et Fr

Facebook
2,4 millions de vidéos partagées (au 18/08)
28 millions de personnes ont liké, posté ou commenté le sujet
source

Twitter
plus de 12,5 millions de tweets
source

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