4 éléments pour 11 énergies renouvelables représentées.
Dérèglement climatique, sobriété énergétique, inflation, augmentation des prix de l’électricité, décarbonation, épuisement des ressources, etc. avec de tels enjeux/défis à l’œuvre, les énergies renouvelables devraient avoir un avenir – prometteur – tout tracé. Et pourtant, concurrencées par le nucléaire sur lequel s’écharpent pro et anti, écologistes compris, sujettes à polémiques, voire désinformation (au hasard, les éoliennes, les panneaux solaires, ou les méthaniseurs), quand elles ne sont pas purement et simplement méconnues (il en existe une dizaine, respectivement issues de l’eau, du vent, du soleil, de la biomasse ou encore de la terre), les énergies renouvelables souffrent d’un déficit de notoriété, alors même qu’un syndicat représente l’intégralité de la filière et donc ses intérêts.
En 2022, les énergies renouvelables représentaient 20,7 % de la consommation finale brute d’énergie de notre pays. La France s’est fixée l’objectif de porter cette part à 33 % d’ici 2030. Comment faire la publicité des énergies renouvelables dans un contexte aussi éruptif que décisif ?
Jules Nyssen, président du Syndicat des Énergies Renouvelables (SER) et Cynthia Kari, directrice de la communication du SER évoquent les défis communicationnels auxquels fait face le syndicat et leur toute première prise de parole à destination du grand public.
Quels sont vos défis en termes de communication aujourd’hui ?
Jules Nyssen : Le SER est une fédération professionnelle regroupant les entreprises, petites ou grandes, qui ont à voir avec la production d’énergies. Nous comptons environ 500 adhérents, de très grands énergéticiens comme EDF, TotalÉnergie ou ENGIE, et des petites sociétés publiques locales (cabinets d’avocats, bureaux d’études, ⅔ de PME). Nous couvrons un spectre très large et traitons tous les sujets d’énergies renouvelables : électricité, gaz, géothermie, etc.
Le rôle du SER est de faire la promotion du déploiement des énergies renouvelables en France. C’est presque un sujet d’intérêt général, car il se combine avec les enjeux de la décarbonation : les Français consomment encore +60% d’énergies fossiles. Et contrairement à ce que l’on imagine, ce n’est pas parce que la France est dotée de centrales nucléaires, que l‘on va régler le problème de la décarbonation : l’électricité ne représente que 25% de notre consommation d’énergie finale.
Les énergies renouvelables sont donc un moyen pour parvenir à la décarbonation en plus du nucléaire. C’est tout l’enjeu derrière la communication que le SER souhaite déployer. Jusqu’à présent, notre communication restait très corporate et peu accessible au grand public. Malheureusement, en France, les énergies renouvelables, électriques en particulier, mais aussi les éoliennes, ont fait l’objet de beaucoup de dénigrement sur leur impact paysager, leur inutilité, etc. Le grand public n’a pas d’idée précise sur leur fonction et l’enjeu énergétique derrière. Notre objectif est donc de rendre l’opinion publique plus au fait des enjeux entourant les énergies renouvelables et de les rendre “sympas” à travers une campagne de communication à venir. C’est la première étape de notre stratégie de communication, nous pourrons expliquer, dans un 2e temps, le service qu’elles amènent.
Quelles sont vos audiences cibles en matière de communication ? Visez-vous des groupes démographiques ou professionnels spécifiques ?
Cynthia Kari : Nous avons ciblé le spectre le plus large possible, puisque nous n’avions jamais visé le grand public jusqu’à présent. Notre cible sont les + 25 ans avec une sur-pondération sur les leaders d’opinion, que ce soit les chefs d’entreprise ou les politiques.
La campagne se déploiera en TV, en VOL et sur les médias sociaux. Pour la télévision, nous avons choisi le bouquet de France Télévisions, les chaines d’affinité sportives comme l’Équipe, et pour les leaders d’opinion, BFM Business et la chaine parlementaire (LCP) notamment, et ce, pendant trois semaines du 2 au 22 octobre. Concernant le volet VOL, notre campagne se retrouvera en pre roll sur les bouquets M6 Play et MyTF1, afin de nous positionner sur les chaines d’information en replay ou juste avant les météos. Enfin, pour les médias sociaux, nous ciblons une audience plus jeune sur Instagram, Twitter et LinkedIn avec des formats story, ce qui nous permet de présenter l’Équipe de France des énergies renouvelables, mais aussi les 11 filières représentées par le SER, dont les moins connues comme la géothermie ou les énergies marines (leur fan zone est accessible dès le 2 octobre).
Estimez-vous que le grand public a une bonne compréhension des enjeux liés aux énergies renouvelables ?
J.N. : Non, même si cela progresse. Évidemment, depuis 2022, avec la guerre en Ukraine, les problématiques du climat, les craintes de ruptures d’approvisionnement et récemment la fin du tarif réglementé sur le gaz et l’ajustement sur les tarifs d’électricité (+10% en moyenne), les Français ont fait évoluer leur raisonnement. Du fait de l’émergence de mauvais signaux liés au pouvoir d’achat et à la rareté, les gens se réintéressent au sujet.
Pourquoi y a-t-il de la mauvaise compréhension autour des énergies renouvelables ? Pendant des années, on a considéré que la France tirait son indépendance énergétique de son parc nucléaire. Ce qui est une vision complètement déformée du sujet : ce n’est vrai que pour l’électricité.
On a expliqué aux Français qu’ils étaient autonomes, décarbonés, indépendants, et qu’on était les meilleurs du monde. C’est flatteur, donc tout le monde veut le croire. Et d’un autre côté, des choses plus visibles sur le territoire – éoliennes, panneaux solaires, méthaniseurs, etc. – mais qui peuvent aussi poser des difficultés et qu’on a longtemps accusé d’être inefficaces (comparer la production d’électricité d’une éolienne avec une centrale nucléaire n’a pas de sens) sont dénigrées. Nous pensons que cette campagne aura une utilité directe pour tous nos concitoyens puisque ces énergies devraient contribuer à la baisse des prix ou à éviter une flambée des prix de l’énergie. Et cela rendra aussi service à la planète puisque les énergies renouvelables permettre de lutter contre la dégradation du climat. C’est un vrai challenge.
Quelles sont vos initiatives pour sensibiliser le public ?
J.N. : Jusqu’à présents, il n’y a pas eu de véritables initiatives du SER à destination du grand public. En revanche, on observe un véritable engouement autour de certaines structures, comme le parc éolien en mer de Saint Nazaire, mis en service l’année dernière et qui a fait l’objet de débats, de crises, et de tension. Aujourd’hui, des visites en navettes maritimes sont organisées pour en faire le tour. Si les gens y vont initialement parce qu’ils sont impressionnés par le côté spectaculaire de cet équipement, cela permet de faire beaucoup de pédagogie. L’enjeu est de continuer à en faire.
Il y a des ouvrages caractéristiques de la difficulté dans laquelle on est. Le monde sans fin, de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain reprend les thèses du premier sous forme de BD, et dresse un état des lieux de notre planète et de son système énergétique auquel le SER adhère (la découverte du charbon, puis du pétrole, a totalement démultiplié la force de l’homme, fait exploser la productivité, généré une croissance comme aujourd’hui et les problèmes que cela pose sur la planète), mais en tant que pro-nucléaire, ses solutions démontent les énergies renouvelables. C’est caricatural et ça fait du mal à notre cause commune. Puis, Les énergies renouvelables pour les nuls, d’Éric Scotto dans lequel il essaie, à l’inverse, de faire de la pédagogie ou encore Éoliennes pourquoi tant de haine ?, DE Cédric Philibert.
La difficulté de ses ouvrages est qu’ils deviennent vite techniques, on perd donc très rapidement les gens. Mais lorsqu’on affirme qu’une éolienne ne produit pas d’électricité, qu’on ne peut pas recycler les pales, qu’on rase des forets centenaires pour installer des panneaux solaires chinois… ces phrases chocs marquent l’opinion, mais sont très difficiles à démentir.
Avec cette campagne, nous sommes en amont de la pédagogie. La première étape est de rendre les énergies renouvelables appréciables, ensuite, nous verrons comment faire plus de pédagogie.
Justement, comment combattez-vous les fake news et la désinformation concernant les énergies renouvelables, notamment en comparaison avec d’autres formes d’énergie ? Comme vous l’expliquiez, les éoliennes sont régulièrement sources de polémiques (pas écologiques et renouvelables, destruction de la biodiversité et du patrimoine, pollution visuelle, artificialisation des sols — milliers de litres de béton pour soutenir une éolienne – etc.).
J.N. : Comment ? En restant sérieux. En répondant à des punchlines par des discours plus rationnels, ce qui n’est pas très efficace, mais je ne vois pas comment faire autrement. Nous multiplions également les interventions dans la presse, nous organisons des colloques et des événements pour tenter d’amener les gens à changer de point de vue.
Démonter une fake news vis-à-vis du grand public est très compliqué. Quand vous voyez les difficultés qu’ont les grands médias comme Libération, Le Monde, Le Figaro à le faire alors qu’ils ont des rubriques Décodeurs ou équivalents. Démonter une fake news suscite beaucoup moins d’audience que la fake news elle-même.
Mais ce n’est pas une raison pour se décourager, donc on essaie de lutter de manière sérieuse et de ne jamais être pris en défaut sur l’argument qu’on peut avancer, sinon c’est fichu. Et cela aussi passe par tenter de se parler, comme lors d’une journée de séminaire sur le thème “énergies renouvelables, biodiversité, même combat”. Des associations de défense de l’environnement étaient présentes, ainsi que l’Office français de la biodiversité. Le public était plus jeune qu’à l’habitude, mais les gens sont restés là toute la journée et même si tout le monde n’était pas d’accord sur tout, il y a eu beaucoup d’échanges et de débats très respectueux. La finalité des énergies renouvelables, c’est quand même d’éviter les émissions de CO2 et donc de travailler pour la planète.
On essaie de contredire le bruit de fond et surtout d’en créer un nouveau qui soit plus positif.
Comment votre syndicat travaille-t-il avec les responsables politiques pour faire avancer l’agenda des énergies renouvelables ? Avez-vous l’impression que le politique a pris la mesure des enjeux face au dérèglement climatique ?
J.N. : Ça dépend de quel niveau politique on parle. Du côté du gouvernement et du côté du ministère de la Transition énergétique, notre ministre, Agnès Pannier-Runacher, a parfaitement conscience des enjeux. En termes d’émissions de CO2, de prix de l’énergie pour nos concitoyens et des enjeux industriels derrière.
Après, du côté des parlementaires, c’est plus compliqué. Jusqu’à présent, le sujet n’a pas été pris très au sérieux ou même considéré comme essentiel, il a donc été le théâtre d’affrontements entre ceux qui ne veulent pas entendre parler d’une éolienne ; ceux qui considèrent que, bien que promouvant la décarbonation, une éolienne pose plus de problèmes de biodiversité que cela n’amène de solutions ; et enfin les élus locaux qu’on a souvent caricaturés alors qu’ils sont demandeurs. D’autant que, contrairement aux particuliers, les maires sont sortis du bouclier tarifaire et des tarifs réglementés et se sont donc fait rattraper de plein fouet par la hausse du coût de l’énergie. Nous réalisons donc un travail classique d’influence/de lobbying : nous sommes disponibles, nous répondons à des auditions, on envoie des documents, on communique des études, on essaie de le faire intelligemment et ça marche pas mal.
J’aime bien distinguer le lobbying de l’influence en rajoutant une étape à l’influence : c’est une triangulation passant par l’opinion publique, notamment pour avoir un retour sur les décideurs politiques. Ce n’est pas quelque chose que nous avons fait jusqu’ici, et c’est justement le sens de cette campagne de cibler directement le grand public avec un état d’esprit qui amènera, on l’espère, les décideurs politiques à agir autrement parce qu’ils entendront les signaux si ça marche.
C’est très ambitieux et ce n’est pas seulement notre campagne qui va y contribuer. Si d’autres structures/organisations croient dans tout ça, elles embrayeront derrière, en relayant notre propre campagne, tout comme nos adhérents auprès de leurs réseaux.
Travaillez-vous en collaboration avec d’autres organisations ou groupes d’intérêt pour améliorer la communication autour des énergies renouvelables ?
J.N. : Nous collaborons avec les autres organisations du secteur de production des énergies renouvelables, qui sont souvent des organisations spécialisées (éolien, énergie solaire, gaz renouvelable, etc.), quand nous sommes une organisation très généraliste. Nous voulons offrir une vision globale de l’équilibre énergétique et on travaille avec des associations plus spécialisées qui peuvent amener plus de contenus sur chaque filière.
Nous travaillons aussi avec d’autres associations professionnelles spécialisées dans les énergies renouvelables, qui traitent des filières dans leur globalité, comme la filière du bois et de la forêt. Et de plus en plus avec des associations environnementales, dont WWF et France Nature Environnement. Le meilleur relais d’influence que l’on puisse avoir auprès de l’opinion publique, c’est que nos messages soient aussi soutenus par les associations de défense de l’environnement. Travailler avec eux ne signifie pas de les obliger à apprendre des éléments de langage, mais construire avec eux un discours et un positionnement qui soient cohérents sur le plan de la défense de l’environnement.
Quelle est la prochaine grande étape pour le Syndicat en termes de communication et d’éducation du public ? Avez-vous des campagnes ou des initiatives spécifiques prévues pour le futur ?
J.N. : Nous lançons une grande campagne de communication autour de l’idée de rendre sympathique ces énergies. En profitant de l’agenda sportif actuel et qui se profile avec les JO de Paris, nous avons opté pour la métaphore sportive à travers une « Équipe de France des énergies renouvelables ». Son objectif sera de remporter la bataille pour la sauvegarde du climat. On ne montrera pas d’éoliennes, de panneaux solaires ou un méthaniseur, mais simplement le fait que les ressources de ces énergies sont celles sur lesquelles l’humanité s’est toujours appuyée avant même l’ère industrielle : la terre et ce qu’elle produit, le vent, le soleil, l’eau. Les quatre éléments constitutifs de l’univers.
L’enjeu, en lançant cette campagne maintenant, est de nous inscrire dans l’agenda politique. Une loi de programmation va être examinée à l’Assemblée Nationale à automne ou d’ici à la fin d’année, elle doit écrire le futur énergétique de la France. Notre enjeu est qu’il y ait le plus de place possible faite aux énergies renouvelables. Et pour cela, les députés ne doivent pas avoir l’impression de se mettre les Français à dos, puisqu’elles ont été beaucoup décriées ces dix-quinze dernières années. Sans doute, en partie, parce que les gens n’en comprennent pas l’utilité.
Nous sommes une structure très démocratique : pour cette campagne, nous avons fait valider le principe par une assemblée générale, car tout cela a un cout extrêmement élevé, un million d’euros de budget. Ce qui n’est rien du tout pour faire de la communication grand public. Mais cela représente tout de même un quart du budget annuel de fonctionnement du syndicat et quatre fois plus que le budget consacré habituellement à la communication du SER. On a donc demandé une contribution exceptionnelle aux adhérents – à peu près 60 % du coût total de la campagne – et le reste est financé en compte propre. C’est un très gros investissement. Ce qui coûte cher, ce n’est pas tant la production des contenus que l’achat des espaces de diffusion.
Concernant la suite, cela dépend si nos adhérents trouvent la campagne utile et qu’ils souhaitent poursuivre ce type de communication.
C.K. : Nous avons également inclus une phase de post test qui va nous permettre de mesurer l’impact de la campagne auprès du grand public – ce qu’ils en ont compris, s’ils ont une meilleure image des énergies renouvelables, etc.
Après cette première étape, nous allons poursuivre cette métaphore filée sur 2024 avec les JO et miser sur cette implantation territoriale : l’énergie et la transition énergétique se font dans les territoires. L’idée est de rester au plus des concitoyens, des collectivités, qui ont besoin d’accompagnement. Il y a plein de choses à faire, notamment avec les élus locaux.
J.N. : En fonction de l’impact de cette campagne, nous déterminerons s’il est nécessaire de renouveler le message ou si c’est déjà suffisant pour amorcer des actions de terrain, etc.
Au-delà de l’action de communication classique qu’un syndicat comme nous peut avoir, c’est la première fois que nous passons par une agence de communication avec qui nous avons co-construit cette campagne : nous avons choisi le concept de métaphore sportive de Wunderman Thompson au moment de la compétition, puis nous avons travaillé le sujet ensemble. Tout le monde pourra dire qu’il y a contribué (agence, syndicat et adhérents) et s’y retrouver. Je tiens à saluer la capacité de l’agence à travailler avec les adhérents sans changer le concept de départ. C’est ce qui fait, je l’espère, la force du produit final.