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3 – Lettre ouverte à Gilles Deléris

Gonneville, le 1er avril 2020

Mon cher Gilles,

J’ai toujours autant de plaisir à te lire. J’aime ton sens de la formule, ton souci de mise en perspective, et ta liberté de ton.

Merci à tous ceux qui contribuent déjà à nos lettres numériques.

Lettres ouvertes aux quatre vents.

Nous sommes en guerre, mais hélas, y partir signifie pour nous, comme pour beaucoup, passer dans la pièce d’à côté, retrouver écran et clavier (tu parles d’un arsenal) et faire du vélo, avec modération. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi Édouard Philippe limite le vélo, alors qu’Angela Merkel l’encourage. Vive l’Europe !

Grâce à la petite reine, figure-toi que je me suis mis à apprendre de courts textes, des miscellanées confinées que je tente de réciter tout au long de ma petite boucle. Hier c’était Le Magnificat. Oh je t’entends d’ici. « À bas la calotte ! », joignant le geste à la parole. Ne va pas trop vite. Le Magnificatétait la prière préférée de mon père. Elle l’a accompagné tout au long de sa vie, il la portait toujours sur lui, en captivité notamment. C’est une ardente prière de louange où figure ce passage que je suis heureux d’écrire de mémoire :

« Déployant la force de son bras, Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, élève les humbles, comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. »

Sublime espérance ? Incantation vaine ? Contributing® prophétique ? À chacun ses convictions, mais ce passage du Magnificat dit peut-être quelque chose de ce nous vivons aujourd’hui. Je voudrais être sûr que l’après 2020 ne soit pas comme l’après 2008. Souviens-toi. Il y a bien eu un peu de régulations pour assurer la solidité des acteurs financiers, mais, très vite, tout est redevenu comme avant. On a pris les mêmes et on a recommencé ! Les riches sont repartis… les mains pleines.

Tiens, justement ! Appel hier de l’un de nos clients dans le secteur financier. Il souhaite que nous préparions sa communication d’après. « Impossible, dit-il, de continuer comme avant et de faire comme si rien ne s’était passé. » Son message me rend optimiste. Pouvons-nous espérer que les trois milliards d’êtres humains confinés, et la menace sérieuse sur l’avenir de la planète, fassent enfin changer les choses ? Tu connais l’adage : on ne change que sous la menace ou le projet.

La menace est avérée, mais le projet ? Comment les marques vont-elles communiquer après ? Quels messages seront attendus, acceptés d’elles ? Frédéric Fougerat (que je remercie de contribuer à nos échanges), citant une étude Kantar*, indique qu’aujourd’hui « il ne s’agit plus de mettre en avant ses produits et services, mais plutôt ses valeurs ». La communication des jours d’après permettra aux entreprises de trouver la juste expression de leurs valeurs et répondra ainsi aux interpellations des jeunes générations que tu as si bien décrites.

Nous le savons, la crise n’aura qu’un CDD. Heureusement. Et la vitalité humaine est inépuisable. Malgré un dé-confinement vraissemblablement progressif et une situation économique dégradée, on peut espérer un été intense, et des terrasses de café pleines, non pas seulement pour profiter de la liberté retrouvée mais aussi et surtout pour CROIRE collectivement que le moment est venu de faire autrement, de contribuer, et de faire sa part.

Les grands entraîneurs, souvent convoqués en penseurs de la performance, sont unanimes. Si vous ne croyez pas que vous serez champion du monde, il n’y a aucune chance que vous le soyez !

Je veux croire que l’on peut remettre la personne au cœur des choix, dans l’entreprise et l’économie.

Je veux croire que l’hyperfinanciarisation du monde peut être stoppée.

Je veux croire que les profondes inégalités qui en ont résulté peuvent être résorbées.

Je veux croire que les États, dits avancés, cessent enfin de prendre de haut le reste du monde.

Ceux qui appellent à un monde REfermé, vantant les vertus des régimes autoritaires dans la gestion de crise, font froid dans le dos.

Il ne s’agira pas simplement de REconquérir, de REmettre de l’ordre, ni même de REvoir les choses — « zéro RE » apprend-on dans les méthodes de gestion de qualité… Il faudra plutôt inventer, créer, construire un monde nouveau. Rien de moins. Cela prendra du temps, mais j’aime l’idée de troisième révolution de Fred Vargas. As-tu vu ce formidable film*** ? Le « on s’est bien marré » y tombe comme un couperet sur plusieurs générations, dont la nôtre.

L’étude Viavoice parue ce matin dans Libération est lumineuse. Les Français rêvent d’un autre monde dont les lignes de forces sont : « la souveraineté collective » autour de l’Europe, « le dépassement de la société de marché » et « la défense des biens communs ».

J’aimerais tant que les Jean-Baptiste André Godin (inventeur du Familistère), les Lucien Pfeiffer (inventeur du crédit-bail, auteur de L’Argent contre l’entreprise), les Michel Marie Derrion (créateur de la première épicerie sociale, coopérative), les Edmond Proust (porte-drapeau du mouvement mutualiste), etc. du monde d’après ne soient pas renvoyés au rang des gens déraisonnables, des empêcheurs de tourner en rond.

Ni toi, ni moi n’aimons la norme. Tu sais, celle qui dans l’entreprise, toise les différences, et tue dans l’œuf les idées du lundi matin. Nous aurons les talents « hors-norme » que nous susciterons. Nicolas Chabanne en est un. Il a renversé la table en créant C’est qui le patron ?! et C’est quoi le produit ?! Première Marque de Consommateur (MDC), véritable Robin des Bois des producteurs et des consommateurs avec plus de 20 000 produits testés !

Un vent de nouveauté va souffler. Ne le ratons pas. Le Contributing® pourra, je l’espère, aider les entreprises à promouvoir des valeurs qui les feront changer de business model. L’attitude exemplaire de nombreuses marques (Accor, Airbus, Air Liquide, Arkema, Boulanger, Carrefour, Gecina, Gucci, LVMH, PSA…) qui participent à l’effort de guerre laisse augurer d’une réelle prise de conscience.

Permets-moi de terminer en revenant sur la sécheresse des relations numériques que tu évoques. Effectivement, la discourtoisie et les incivilités se sont hélas généralisées dans les échanges quotidiens. Mais n’as-tu pas remarqué, depuis quelques jours, un vrai changement de ton ? Les « comment vas-tu ? » et « prends soin de toi » reviennent, tout doucement. Dans un texte paru l’an dernier, Cynthia Fleury* abordait ce thème de manière prémonitoire. « Je me suis souvenue de ce texte de Marx sur l’aliénation, dans les Manuscrits de 1844, et surtout sur l’incurie ; le manque de soins que les individus s’infligent à eux-mêmes et aux autres quand les valeurs ne guident plus le monde… Quand la civilisation n’est pas soin, elle n’est rien. »

Espérons que le monde d’après sera soin, attention — « élève les humbles, comble de biens les affamés » — et que les entreprises de communication sauront y contribuer. Voilà, mon cher Gilles, ce qui me tenait à cœur de partager avec toi et ceux qui voudront bien nous lire. Prends bien soin de toi. Je reste toujours à tes côtés. Au coude à coude bien sûr.

Ton associé,

Denis

Ps : Sais-tu que des flamands roses ont profité de notre absence à Boulogne pour se poser sur la terrasse, juste en face de ton bureau ? La terre respire et les oiseaux en profitent.