Un média peut-il sauver la planète ? Le pari de Hugo Clément avec Vakita

Par Élodie C. le 02/09/2024

Temps de lecture : 11 min

Clim(at) à fond sur l’autoroute de l’information.

Et si l’avenir de notre planète dépendait de l’information que nous consommons ? C’est avec cette question en tête qu’Hugo Clément et Régis Lamanna-Roda ont créé Vakita, un média en ligne à l’avant-garde de l’enquête environnementale. Lancé fin 2022-début 2023, Vakita ne se contente pas de dévoiler les vérités cachées sur les enjeux environnementaux ; il invite ses abonnés à passer à l’action.

Dans un monde où l’urgence climatique se fait de plus en plus pressante, Vakita se donne pour mission de secouer les consciences et de transformer l’engagement en action concrète. Avec une approche innovante qui mêle journalisme d’investigation et participation active de sa communauté, Vakita entend s’imposer comme un acteur clé dans la bataille pour une information qui fait bouger les lignes.

Qu’est-ce que cela signifie d’être un média / journaliste « vert » aujourd’hui ? Peut-on être engagé, mais non partisan ? Quid de son financement ?

On en discute avec Hugo Clément, journaliste et co-fondateur de Vakita.

Pourriez-vous nous présenter Vakita et l’origine de sa création ?

Hugo Clément : Vaquita est un média entièrement en ligne, créé fin 2022-début 2023, spécialisé dans l’enquête environnementale et l’action. Ce qui nous distingue, c’est que nous ne nous contentons pas seulement de publier des enquêtes approfondies sur des sujets environnementaux ; nous encourageons également nos abonnés et notre communauté à agir pour provoquer un véritable impact. L’idée, c’est de combiner journalisme d’investigation sérieux, rigoureux et professionnel, pour mettre en lumière des sujets environnementaux encore trop souvent négligés dans les médias traditionnels, avec un engagement concret pour faire bouger les choses. 

Avec mon associé, Régis Lamanna-Roda, nous avons aussi fondé une société de production télévisuelle, Winter Production, pour mettre les questions environnementales au centre du débat public. Elle produit mes émissions « Sur le front » et d’autres programmes diffusés sur France 2 et M6, comme « La Grande Semaine », ainsi que divers documentaires. 

Notre modèle économique repose principalement sur les abonnements. Nous offrons une partie de nos contenus gratuitement, notamment via nos réseaux sociaux, où nous partageons des extraits de nos enquêtes et d’autres contenus pour toucher un large public. En parallèle, nous avons des contenus premium réservés à nos abonnés, incluant des enquêtes complètes, des interviews approfondies, des masterclass et des reportages. Actuellement, presque la totalité de notre financement provient des abonnements.

Nous explorons également la possibilité de collaborer avec des marques alignées sur nos valeurs pour intégrer de la publicité et diversifier ainsi nos sources de revenus. Cela nous permettrait de financer davantage d’enquêtes et de reportages, car la production de contenus d’enquête est coûteuse. L’objectif n’est pas de faire du profit, mais plutôt d’atteindre un équilibre financier qui assure la durabilité de Vaquita sur le long terme et nous permette de continuer à explorer de nouveaux sujets importants. 

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie d’être un média et journaliste “vert” aujourd’hui ?

H.C. : J’ai du mal avec cette question : être un média ou un journaliste « vert » aujourd’hui ne change pas fondamentalement notre manière de travailler. Les méthodes restent les mêmes : croiser les sources, vérifier les informations, mener des enquêtes sur le terrain, et documenter rigoureusement. Que le journalisme soit engagé ou non, la pratique quotidienne reste similaire. Ce qui fait la différence, c’est le choix des sujets. Nous mettons en avant des thèmes et des personnes qui ne sont pas souvent traités par les médias traditionnels, en particulier ceux qui se battent pour la biodiversité et la protection de la nature. C’est là que réside notre engagement.

L’engagement, c’est de consacrer toute notre énergie à ces questions, en reconnaissant que toutes les opinions ne se valent pas. Par exemple, nous privilégions la parole des experts, notamment des scientifiques, sur les sujets environnementaux, plutôt que celle de groupes de lobby qui défendent des intérêts économiques ou financiers divergents de l’intérêt général. Nous ne présentons pas toutes les opinions sur un pied d’égalité, comme s’il s’agissait de mettre sur le même plan le point de vue du GIEC avec celui de l’industrie pétrolière.

Il est essentiel de hiérarchiser les discours, surtout en période de crise/urgence environnementale. Cela ne veut pas dire que nous évitons le contradictoire, qui est une composante essentielle du journalisme d’enquête. Nous donnons toujours l’occasion aux parties visées de répondre et de faire valoir leurs arguments. Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les opinions doivent être traitées de la même manière, car cela pourrait nous conduire à amplifier la désinformation ou les récits des lobbies, ce qui retarderait la transformation écologique nécessaire.

Enfin, bien que Vakita soit un média engagé, nous restons non partisans. Apolitique, ce n’est pas le bon terme, puisque l’environnement, c’est de la politique sur tous les sujets. Quand vous faites un article sur un sujet social, environnemental ou financier, c’est de la chose publique, donc de la politique au sens du premier terme. L’environnement touche à des questions de politique au sens large, il s’agit de la gestion des affaires publiques, mais nous ne prenons pas position en faveur de partis politiques spécifiques. Contrairement à certains médias très marqués politiquement, nous souhaitons nous adresser à tous, indépendamment des opinions politiques, de la classe sociale ou de la géographie.

Pour nous, être non partisan est crucial pour la qualité et l’efficacité de nos contenus. Si un contenu est trop politisé, cela risque de nuire à son impact, c’est pourquoi nous nous efforçons de rester dans une approche inclusive et ouverte.

Comment réagissez-vous aux critiques qui pourraient considérer le journalisme écologique comme militant ?

H.C. : La totale objectivité dans le journalisme est un mythe. Que ce soit à la télévision, dans un média comme La Réclame, ou ailleurs, tous les journalistes sont influencés par leurs expériences personnelles, leur parcours de vie et leurs opinions sur différents sujets. L’important est de ne pas laisser cette subjectivité prendre le dessus et d’être toujours honnête dans son travail. Être un journaliste honnête, c’est chercher la vérité et rapporter les faits sans les déformer pour qu’ils collent à ses propres croyances. Selon moi, l’honnêteté dans le journalisme prime sur l’objectivité, car l’objectivité totale est impossible à atteindre.

Personne n’y croit réellement, même parmi les lecteurs et les spectateurs. Cela dit, reconnaître cette réalité ne signifie pas que notre travail est militant. Nous nous basons sur des faits et des données. C’est un peu comme les scientifiques du GIEC : ils sont souvent critiqués par ceux qui ne veulent pas de changement, accusés d’être des militants parce qu’ils mettent en garde contre des dangers très réels. Oui, ils partagent leurs opinions sur des sujets graves comme le réchauffement climatique ou la perte de biodiversité, mais ces avis sont fondés sur des faits scientifiques, pas sur des idéologies militantes.

Je ne suis donc pas d’accord avec l’idée que notre journalisme est du militantisme. Il s’agit plutôt d’un engagement fondé sur la réalité des faits. Cet engagement existe depuis toujours dans le journalisme. On voit même des exemples plus radicaux dans certains médias, comme Le Monde, qui n’hésitent pas à prendre position lors d’élections. Notre engagement à Vakita est bien moins partisan, et je ne pense pas que ce soit quelque chose que l’on reproche à ces journaux.

À quels défis avez-vous fait face et quel est, aujourd’hui, votre principal défi ?

H.C. : Au début, le plus grand défi était de trouver des financements. Quand on lance un média d’enquête indépendant sans gros moyens financiers, il faut convaincre des investisseurs de croire au projet. Pour pouvoir recruter les journalistes, commencer à enquêter, et fabriquer le site internet. Heureusement, on a pu compter sur des soutiens comme Xavier Niel ou Artemis (holding fondée et contrôlée par François Pinault, premier actionnaire du Groupe Kering, NDLR), mais aussi Jean-Sébastien Decaux et Marc Simoncini. Des personnes que nous connaissions déjà, en qui nous avions confiance et qui nous ont permis de démarrer. C’était le plus gros défi à l’époque, parvenir à trouver des financements pour lancer un média d’enquête sur l’environnement. Cela n’avait rien d’évident (rires).

Aujourd’hui, notre défi principal est d’atteindre la rentabilité pour assurer la pérennité de Vakita. On est sur la bonne voie, avec une forte croissance du nombre d’abonnés, ce qui nous rapproche de l’équilibre financier. Un résultat assez remarquable en moins de deux ans d’existence, mais il faut continuer à produire des enquêtes de qualité, avec un réel impact, et à développer le média de manière durable.

Chaque jour, nous relevons le défi de mener nos enquêtes et de mettre les moyens nécessaires pour y parvenir. Cet été, par exemple, nous avons mobilisé nos équipes pour des projets ambitieux, comme envoyer des journalistes au Groenland pour couvrir l’arrestation et le procès de Paul Watson.

Tout cela demande des ressources et un investissement constant, mais c’est une grande satisfaction de voir que nous y arrivons et que nous pouvons continuer à avancer.

Vous l’avez dit, Vakita a bénéficié du soutien financier de groupes tels qu’Artémis et Mediawan. Ces partenariats influencent-ils la ligne éditoriale de votre média ?

H.C. : Non, pas du tout. L’indépendance éditoriale est essentielle pour nous, et c’est quelque chose que nous avons clairement établi dès le début avec nos investisseurs. Régis et moi restons maîtres de la ligne éditoriale, ce qui nous permet de garder une totale liberté dans le choix de nos sujets.

Ces investisseurs jouent-ils un rôle dans le développement stratégique de Vakita ? 

H.C. : Oui, ils nous apportent des conseils précieux en matière de stratégie et de structuration de l’entreprise, ce qui est très utile, car ce n’est pas notre domaine d’expertise initial. Leur soutien nous permet d’accélérer le développement de Vaquita et de naviguer plus efficacement dans le paysage médiatique.

Nous avons refait une petite levée de fonds avant l’été, de nouveaux investisseurs nous ont rejoints, et ça nous permet d’accélérer le développement du média. 

Le défi aujourd’hui est d’être soutenable financièrement, non ?

H.C. : Absolument. Pour nous, l’indépendance passe par la rentabilité. Un média doit pouvoir se financer lui-même pour rester indépendant et pérenne. C’est pourquoi atteindre l’équilibre financier est crucial pour Vakita. Cela garantit que nous pouvons continuer à faire de l’enquête de qualité sur le long terme, sans compromis, en étant maitre de son destin, donc sans perdre d’argent. C’est pour ça qu’il est important d’être aidés de ce côté-là.

Avez-vous l’impression que ces enjeux (biodiversité, climat, cause animale, diversité/inclusion) sont mieux pris en compte aujourd’hui ?

H.C. : Oui, je pense que ces questions reçoivent plus d’attention aujourd’hui, notamment dans les médias. Cela ne signifie pas qu’ils reçoivent encore toute l’attention qu’ils méritent, mais on observe que dans les médias, ces sujets gagnent en visibilité, ce qui est une bonne chose. Nous avons créé Vakita précisément parce que nous pensions, et nous pensons toujours, qu’il y avait un manque à combler : celui d’un média d’enquête grand public dédié à l’environnement, capable d’avoir un impact significatif.

On dit les nouvelles générations plus impliquées sur ces enjeux, cela se ressent-il dans vos interactions, sujets et audiences ?

H.C. : C’est vrai que beaucoup de jeunes sont très engagés, mais ce serait réducteur de dire que l’engagement pour l’environnement est uniquement une affaire de jeunes. Nous voyons un intérêt intergénérationnel parmi nos abonnés, avec des jeunes, des trentenaires, des quadragénaires, et même des personnes plus âgées. L’engagement pour l’environnement doit être une cause partagée par tous.

Votre newsletter sur Kessel est-elle bénéfique au média ?

H.C. : Oui, absolument. Notre newsletter, que nous réalisons avec l’équipe de Vakita, est une partie importante de notre stratégie. Elle sert de vitrine pour nos contenus et aide à renforcer l’engagement de notre communauté en offrant des informations et des perspectives pertinentes.

Vous l’évoquiez en amont, comment vos partenariats publicitaires et autres publicités sont-ils choisis ? 

H.C. : Nous sommes encore en phase de réflexion sur la publicité, mais nous voulons travailler uniquement avec des partenaires qui partagent nos valeurs. Cela pourrait inclure des institutions, des associations ou des entreprises qui mettent en place des pratiques écoresponsables. Pour nous, il est essentiel de mettre en lumière des initiatives positives et de ne pas adopter une posture de critique systématique. C’est aussi le rôle d’un média comme le nôtre de reconnaître et de valoriser les efforts de ceux qui essaient de faire bouger les choses dans le bon sens. 

Quelles stratégies mettez-vous en place pour assurer la croissance et la pérennité de Vakita dans un paysage médiatique en constante évolution ?

H.C. : Si nous avions une recette miracle, cela se saurait. En réalité, notre stratégie repose sur une approche mixte et innovante. Nous voulons être à la fois un média d’enquête par abonnement, proposant des contenus premium exclusivement pour nos abonnés, et un média social influent avec une forte présence sur les réseaux sociaux pour maximiser notre impact. Ce mélange de modèles est assez unique et peu développé à l’heure actuelle. De nombreux médias indépendants se concentrent soit sur les abonnements, soit sur les formats écrits, mais ne combinent pas nécessairement cela avec une stratégie de diffusion active sur les réseaux sociaux, en créant des contenus spécifiquement adaptés à ces plateformes.

Nous exploitons tous les canaux disponibles, y compris les newsletters et les réseaux sociaux, pour maximiser notre impact et assurer notre pérennité en atteignant un public aussi large que possible.

Quel avenir voyez-vous pour les médias comme le votre en France et dans le monde ?

H.C. : Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup d’autres médias comme le nôtre, car nous occupons une position assez unique dans le paysage médiatique. Je suis optimiste pour l’avenir de Vakita. Nous espérons continuer à croître (abonnés et followers sur les réseaux sociaux) et à devenir un média encore plus influent, capable d’avoir un impact significatif et contribuer au changement. 

Il est essentiel d’avoir des médias puissants et engagés sur ces questions pour influencer les agendas politique et économique, car une information de qualité est au cœur du changement nécessaire pour faire face aux défis environnementaux. Quand un sujet est massivement couvert dans les médias, il a des répercussions sur l’ensemble de la société. Ce n’est donc pas un enjeu mineur, c’est un enjeu essentiel. 

La bataille de l’information est au centre du changement en matière d’enjeux environnementaux, et c’est précisément cette bataille que nous menons avec Vakita.

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