Le CMO du futur sera un CEO : « Chief Experience Officer »

Par Élodie C. le 13/02/2025

Temps de lecture : 8 min

Pour relever les défis de l’IA et des attentes clients croissantes.

Entre l’essor de l’IA, la montée en puissance de l’expérience client et la nécessité de se différencier sur des marchés saturés, les CMO font face à une transformation majeure de leur rôle. Rodolphe Pachot, chief marketing officer de Generali (classée 1ère entreprise d’assurance parmi les entreprises les plus responsables de France – palmarès 2023 Le Point avec Statista), revient sur les compétences essentielles, l’impact des crises actuelles et l’évolution du marketing dans un monde en mutation. Son maître-mot ? L’adaptation, pour faire du marketing un levier stratégique et non plus un simple outil d’acquisition.

Quels seront les défis d’un.e CMO en 2025 ?

Rodolphe Pachot : Il est clair que l’IA occupera une place importante. Cependant, je pense que son impact est similaire à celui qu’a eu le digital il y a quelques années : une évolution naturelle qui nécessite une capacité d’adaptation de la part des CMO. Certes, tout le monde parle d’une « révolution », mais en réalité, il s’agit de continuer à intégrer des technologies qui permettent de créer du levier pour transformer le métier.

Les enjeux restent fondamentalement les mêmes. Tout d’abord, il s’agit de faire preuve de leadership pour mettre le client au cœur de l’attention de l’entreprise. Ensuite, il est impératif de s’adapter à l’évolution technologique, dont l’IA fait partie intégrante. Enfin, et surtout, le défi le plus crucial réside dans le développement d’une expérience client sans couture. Dans un monde où les produits tendent à se standardiser, la clé est de construire une expérience commune, cohérente et globale à travers toutes les lignes de marché. Pour moi, c’est là que se joue l’enjeu majeur : offrir une expérience client différenciante et alignée, qui soit source de valeur ajoutée pour le client.

Quelles sont les compétences et expertises indispensables pour un.e CMO aujourd’hui ?

R.P. : Certaines compétences classiques restent indispensables, comme la veille, les études de marché et la prospective. Ces piliers du marketing demeurent cruciaux pour prendre de bonnes décisions dans un environnement toujours plus subjectif.

En revanche, les compétences liées à la donnée sont devenues essentielles. Nous avons besoin de profils comme des data analysts et data scientists, mais aussi de renforcer les équipes UX/UI. Ces compétences doivent dépasser le seul cadre digital pour englober tous les points de contact – physiques ou distants – afin de garantir une expérience client homogène et en résonance avec l’ADN de la marque. Cela demande une vision étendue et des équipes qui maîtrisent l’ensemble des touchpoints du parcours client.

Comment expliquez-vous que les CMO ne restent qu’un temps limité (2 ans en moyenne, selon une étude de 2019) à leur poste alors que les marques ont besoin de stabilité et de constance ?

R.P. : Pour ma part, je pense qu’une certaine pérennité est nécessaire pour garantir des résultats solides, notamment sur des sujets comme le branding qui demandent un temps long pour porter leurs fruits. Personnellement, je suis chez Generali depuis trois ans et demi, et cela me permet de travailler sur des plans à moyen et long terme. Les organisations doivent également considérer que le travail du CMO nécessite du temps pour être pleinement efficace. 

L’assurance n’est pas le secteur le plus « sexy ». Comment faites-vous, en tant que CMO, pour vendre votre sujet auprès de vos différents publics ?

R.P. : Ce qui est particulièrement intéressant pour un CMO, et pour les marketeurs en général, dans le secteur de l’assurance, c’est de travailler sur un marché extrêmement saturé. Ce type de marché, par nature, tend à se polariser : plus il est saturé, plus il devient impératif de se différencier. Cela exige une capacité à s’inscrire dans une dynamique à long terme, car la relation dans le secteur de l’assurance se construit dans la durée avec ses clients.

Sur un marché comme le nôtre, émerger est un véritable défi. Lorsque vous avez le monopole ou peu de concurrence, il est relativement facile de positionner sa marque et de vendre ses produits. En revanche, dans un marché saturé avec des offres standardisées, il faut revenir aux fondamentaux : rester fidèle à son ADN, savoir d’où l’on vient, et dans le même temps, projeter une vision forte pour embarquer toute l’organisation.

Historiquement, les compagnies d’assurance ont pris du retard en marketing, relation client et investissements digitaux. Aujourd’hui, elles sont dans une phase de rattrapage. Ce contexte rend le challenge encore plus passionnant, car ces structures anciennes et très historiques – certaines, comme Generali, ont près de 200 ans – sont en train de se réinventer pour devenir davantage orientées vers le client.

Dans ce type marché, le marketing joue un rôle clé. Ce sont la marque et l’expérience client qui permettent réellement de se différencier pour travailler la notoriété et la préférence. C’est pourquoi le marketing et la relation clients reprennent une place centrale dans l’organisation, avec une importance grandissante dans les prises de décision stratégiques.

Par ailleurs, l’assurance est confrontée à un « new deal », porté par les nouveaux risques qui touchent directement notre société. Nous devons non seulement assurer nos clients, mais aussi rester connectés aux évolutions sociétales, qu’il s’agisse de risques climatiques, démographiques, ou d’autres enjeux émergents. Cela exige d’être en permanence en anticipation constante des transformations de la société et de repenser notre rôle en tant qu’assureur.

En quoi les crises actuelles (inflation, climat, cyber-risques) modifient-elles la manière dont vous adressez vos messages marketing ?

R.P. : Concernant le climat, les méga sinistres et catastrophes naturelles, qui survenaient autrefois tous les dix ans, augmentent désormais en fréquence et aussi en intensité et sévérité. Cela nous oblige à revoir nos modèles, mais aussi à impliquer davantage les clients en les rendant acteur de leur propre prévention.

Ce changement de paradigme repositionne le client : il ne peut plus être simplement perçu comme un simple souscripteur de produit d’assurance. Il devient un acteur clé que nous devons accompagner vers plus de résilience pour contribuer à réduire sa vulnérabilité et son exposition aux risques. Dans le passé, un consommateur achetait une assurance pour être indemnisé en cas de problème, et c’était tout. Aujourd’hui, il doit être accompagné et sensibilisé pour prendre conscience qu’il joue un rôle majeur dans sa propre protection.

Prenons également le cas des risques cyber. La France est le 4ᵉ pays le plus touché au monde derrière les USA, la Chine et l’Allemagne. Actuellement, seulement 40 % des PME disposent d’un antivirus, ce qui est inquiétant face à la recrudescence des cyberattaques. Cela montre l’ampleur du travail à réaliser pour aider nos clients – particuliers comme professionnels – à comprendre leur exposition et à adopter des pratiques de prévention efficaces.

En tant que marketeurs, c’est un défi passionnant. Nous devons transformer un produit souvent perçu comme une commodité en un levier d’engagement et de value for money, en connectant les clients à ces problématiques cruciales. Cela demande aussi d’attirer de nouveaux talents capables de répondre à ces enjeux complexes et de les intégrer dans nos stratégies.

Sur le plan pratique, cela signifie travailler main dans la main avec les clients pour les aider à réduire les risques. Par exemple, pour les incendies, il s’agit par exemple de leur recommander de débroussailler autour de leur maison. Dans les zones sensibles au retrait-gonflement d’argile, cela peut être de déplacer un arbre situé trop près de la maison pour éviter des fissures. Nous devons leur expliquer ces vulnérabilités et les guider dans la mise en œuvre de solutions adaptées.

Notre rôle n’est plus seulement d’assurer, mais aussi de conseiller et de responsabiliser nos clients. Cela nécessite de transformer notre approche marketing pour la rendre à la fois pédagogique et préventive. C’est un changement profond de paradigmes qui nous guide dans une stratégie centrée sur le client.

Comment anticipez-vous l’évolution du rôle d’un.e CMO dans les cinq prochaines années, en particulier dans un secteur comme l’assurance ?

R.P. : Le rôle du CMO sera de plus en plus orienté sur la donnée et l’expérience client. En assurance, cela signifie devenir non seulement un « Chief Marketing Officer », mais également un « Chief Experience Officer ». Il faudra garantir une expérience client différenciante, cohérente et alignée avec la promesse de la marque, tout en maintenant un rapport qualité-prix attractif.

Pendant longtemps, l’assurance s’est reposée sur le moment du sinistre pour prouver la qualité de la relation client. Mais avec une fréquence moyenne des sinistres située entre 7 et 10 ans pour des produits comme l’auto ou l’habitation, cette approche est devenue insuffisante et risquée. Nous ne pouvons pas attendre plusieurs années pour démontrer la valeur de notre relation client. Cela demandera une approche proactive, où la relation client ne repose plus uniquement sur les événements exceptionnels, mais sur une présence constante et significative dans le quotidien des assurés pour générer une relation mémorable. Pour les cinq prochaines années, ce défi sera particulièrement fort pour les CMO dans l’assurance. 

Quel impact de l’IA sur l’avenir des directions marketing ?

R.P. : L’IA est déjà un levier majeur pour gagner en productivité et en efficacité, notamment dans la production de contenu et le SEO. Des tâches comme le détourage vidéo, qui prenaient auparavant des jours, peuvent désormais être réalisées en quelques minutes grâce à des outils performants. L’IA permet également d’optimiser le ciblage et la personnalisation des parcours clients, en passant d’un traitement de masse à une approche centrée sur l’individu.

En libérant les équipes des tâches à faible valeur ajoutée, l’IA offre davantage de temps pour se concentrer sur des missions stratégiques et créatives. À moyen terme, son rôle s’étendra à des domaines prédictifs et personnalisés, révolutionnant ainsi les stratégies marketing et les expériences client.

Quel est le secret d’une relation annonceur-agence réussie ?

R.P. : C’est une excellente question. Avant tout, la relation agence-annonceur repose sur un niveau de confiance solide, c’est absolument essentiel. Mais pour moi, le véritable enjeu réside dans l’adéquation entre les deux parties. L’agence doit parfaitement comprendre et intégrer l’ADN de la marque. C’est cette compréhension profonde de l’identité de l’annonceur qui fera toute la différence et garantira la pertinence des recommandations.

En parallèle, l’annonceur doit choisir une agence dont l’approche et l’ADN sont cohérents avec ses ambitions et ses besoins. Certaines agences adoptent une posture plus traditionnelle, tandis que d’autres optent pour une approche plus audacieuse et provocante. L’important est que l’agence sélectionnée soit en phase avec les objectifs et les enjeux spécifiques du moment.

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