Big tech ne rime pas toujours avec adtech.
Nous sommes ravis d’accueillir Jérémy Lacoste comme contributeur sur la Réclame. Jérémy est Head of Acquisition, Web Analyse & CRM Marketing de Meilleurtaux. C’est un expert du marketing digital, des martech et de la publicité en ligne. Il a pour grande qualité de partager chaque semaine ses analyses et observations, que ce soit dans son podcast Déclick, sur LinkedIn, en tant qu’enseignant ou désormais dans ses tribunes sur la Réclame.
Depuis une décennie, les géants de la martech tentent de se diversifier en se lançant sur le volet publicitaire. Un terrain qui jusqu’à présent reste encore la chasse gardée des Google, Meta et consorts. Jusqu’à quand ?
Fin juin, Oracle a annoncé l’arrêt de sa division publicitaire de manière assez abrupte, mettant sur le carreau des centaines d’emplois. La fin d’un chapitre de plus de dix ans qui a pourtant vu le leader des bases de données multiplier les acquisitions à coups de centaines de millions de dollars pour s’armer sur le volet marketing avec des solutions comme Responsys (e-mail marketing B2C), Eloqua (lead gen B2B), Bluekai (DMP), Maximyzer (personnalisation on-site), ou encore Grapeshot (ciblage contextuel).
Alors pourquoi la greffe n’a pas pris malgré les efforts de l’organisation pour réaliser ce pivot ? Les raisons sont nombreuses : fin de l’argent gratuit post-covid ; durcissement de la RGPD avec notamment Meta qui arrête son partenariat avec Oracle suite au scandale Cambridge Analytica ; l’avenir compromis des cookies tiers, des retours d’expérience en demi-teinte d’annonceurs sur les solutions… Résultat, en 2024, la division publicitaire a généré seulement 300 millions de dollars, soit 6 fois moins qu’il y a 2 ans.
L’exemple d’Oracle n’est malheureusement pas isolé dans l’écosystème adtech. Des martechs qui s’y sont cassées les dents, il y en a eu pléthore : SAP, ATT, Verizon… Plus prêt de nous, Adobe dont le rayonnement au mitan des années 2010 avec les rachats de Néolane (CRM Marketing) et de Tubemogul (DSP video) a fait long feu, au point que la société semble se recentrer sur son activité historique.
Le bon contre-exemple me paraît être Amazon qui a avancé ses pions avec patience et a plutôt choisi un modèle hybride en lançant sa plateforme SEA maison et en rachetant l’ad server Sizmek en 2019 afin de proposer son inventaire aux annonceurs. Avec une logique qui a fait son succès : intégrer très rapidement la techno dans son écosystème… Un modèle qu’est en train de poursuivre Netflix, qui après avoir externalisé la vente de son inventaire à Xandr (Microsoft) a pris le parti de l’ouvrir à d’autres DSP, mais surtout de construire in house son propre moteur interne
Alors pourquoi l’expérience Amazon reste minoritaire et que dans la majorité des cas martechs & adtechs ne font pas bon ménage ?
Je propose 3 pistes :
1 – Changer la culture d’entreprise
La bascule vers l’écosystème publicitaire interroge évidemment l’organisation et la culture d’entreprise. D’abord commercialement puisque la vente directe avec l’annonceur est plutôt l’exception en marketing. Il faut donc réussir à se constituer un nouveau réseau de partenaires peut-être moins orientés ESN comme relais de ses produits
Structurellement ensuite où le taux de churn en adtech est élevé. Là où historiquement les solutions martechs ont tendance à verrouiller la relation client avec des contrats de 3 ans et des clauses à n’en plus finir, la publicité nécessite de la fluidité à coup de POC et de partenariat plutôt à la consommation.
Organisationnellement enfin. Pour réussir le pivot vers l’adtech, les martechs doivent lutter contre la fracture entre ingénieurs & marketeurs. Et éviter à tout prix le sentiment d’aristocratie qui peut exister entre les historiques vs les petits nouveaux.
2 – Redevenir challenger
C’est clairement un nouveau positionnement qui s’exprime ici et l’exemple d’Oracle est parlant. Ultra dominant auprès des DSI, l’acteur américain est finalement peu identifié des directions marketing. Il y avait donc tout à refaire.
Et si les martechs peuvent tout de même capitaliser sur la traction de leur métier historique, la clé de la croissance future reste la qualité du produit proposé.
Contrairement à ce que l’on a trop vu ces dernières années, l’effort ne doit pas s’arrêter au rachat de la solution publicitaire, mais aux investissements après pour en faire la solution leader du marché.
L’idée que l’outil va se vendre uniquement sur le seul nom du groupe est malheureusement une croyance encore trop répondue
3 – L’interopérabilité, un mirage
L’arrivée des martechs sur le marché des adtechs se fait souvent par croissance externe via des rachats de solutions. Une approche plutôt pertinente pour aller vite, mais qui fait l’impasse sur un élément primordial : l’intéropérabilité. Or, c’est précisément ce point qui est mis en avant lors des avant-ventes. Avec un objectif : reproduire ce qu’est parvenu à faire Google avec sa suite Google Marketing Plateform.
Dans les faits, la tuyauterie est souvent chaotique au point qu’il s’avère in fine très peu avantageux pour les annonceurs de défaire une solution déjà intégrée et fonctionnelle pour basculer sur cette nouvelle brique.
Tout l’enjeu pour les martechs est de réussir à construire un narratif pertinent et de proposer aux clients un éventail de solutions qui répondent à son besoin. Trop souvent encore, il y a le sentiment qu’elles veulent à tout prix rentabiliser leur nouvelle acquisition du moment en la proposant à tort et à travers
Alors que parfois, il faudrait savoir perdre 6 mois. Le temps de l’intégrer dans son écosystème, de former les équipes, d’offrir des POCS aux annonceurs pour prouver la valeur.
Pour éviter tous ces écueils, la bonne stratégie me paraît être celle menée par Salesforce actuellement qui construit un core system autour de son métier historique, le CRM avec des briques métiers activables au besoin. Sur le volet adtech, l’acteur américain préfère au rachat de solutions, des deals avec les leaders du marché comme Google (Google Ads & GA 4) ou Meta (Whatsapp). Une approche qui n’exclut pas des ratés évidemment, en témoigne l’abandon de Social Studio fin d’année sur le volet réseaux sociaux ou encore la difficulté de rentabiliser le rachat de Slack réalisé en 2021 pour 28 milliards de dollars.