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Gillette & les réseaux sociaux : Quel est l’impact réel d’un bad buzz ?
De Gillette, on a tout dit. Que la campagne de janvier était misandre, que la marque versait dans le feminist-washing, que le tout était “raté”… tellement “raté” d’ailleurs que le spot a fait le tour du monde en quelques semaines. Bad buzz – good buzz : les marques sont-elles prêtes à tout pour faire parler d’elles ? Quel est l’impact réel d’un bad buzz sur les réseaux sociaux ? Débrief avec Christine Cabon, responsable communication de Gillette, qui revient sur une campagne haute en couleurs.
La campagne la plus likée et la plus dislikée sur YouTube
En à peine 24 heures, la campagne engagée de Gillette a fait couler beaucoup d’encre. D’abord chez les masculinistes américains, dont la frange la plus conservatrice a mis le feu aux poudres en faisant émerger la marque sur les réseaux sociaux avec plus de 90 % de commentaires négatifs. Puis grâce au grand public engagé qui s’est emparé du sujet dans tous les pays pour défendre ce nouveau positionnement courageux. En quelques semaines, la campagne a fait le tour du monde et est devenue à la fois la plus likée et la plus dislikée de l’histoire de YouTube.
Un flop pour le renouveau de la marque ? Si l’idée que l’on en garde reste celle d’une campagne mal accueillie par le grand public, Gary Coombe remet les pendules à l’heure dans une interview au Telegraph et affirme n’avoir aucun regret. À juste titre : selon des études indépendantes menées aux États-Unis, 9 personnes sur 10 affirment avoir une meilleure opinion de la marque après avoir vu la publicité, 50 % admettent que le spot influence leur décision d’achat, et 75 % des interrogés sont plus enclins à acheter la marque après avoir visionné la campagne.
En somme, la masculinité toxique, qui a tant suscité de réactions, a en réalité un excellent ROI et a permis de doper la notoriété de la marque et l’affinité du public à son égard. Un contexte osé mais favorable pour la renaissance de la marque qui signe, avec cette nouvelle campagne, un positionnement 2.0 plus en accord avec les attentes de son public.
Masculinité toxique : un enjeu d’attractivité pour Gillette
Car cette campagne, qui a déjà marqué l’année, est la première illustration d’une évolution de Gillette. La clé de cette renaissance ? S’engager, pour toucher un public qui est devenu presque hermétique au marketing : 65% d’entre eux estiment en effet inacceptable pour une marque de rester silencieuse sur les sujets de société.
Devant cette évolution massive des attentes des consommateurs, les marques les plus fortes ont toutes pris ce virage : Nike, Carrefour ou encore Ariel qui, en Inde et en France, cherche à démocratiser le partage des tâches via sa campagne “Share the load”.
“Le rajeunissement de l’image de Gillette passe par un nouveau portrait des hommes”, explique Christine Cabon. “Nous voulons les mettre en avant de façon plus actuelle, plus contemporaine pour mieux parler à la jeune génération qui exige dorénavant des marques qu’elles soient impliquées dans les enjeux sociétaux, ou qu’elles proposent quelque chose qui va au-delà du bénéfice fonctionnel du produit.”
Un engagement sociétal et commercial
Néanmoins, cette quête d’authenticité et d’engagement ne doit pas être l’occasion d’un opportunisme marketing. Et Gillette l’a bien compris. “Notre constat, c’est que Gillette est encore perçue comme une marque très masculine qui a participé aux stéréotypes de l’homme fort, viril, pas nécessairement sensible… Pour nous, c’est un territoire de communication légitime, qui va dans le sens de l’évolution des mentalités”, rapporte Christine Cabon.
Nul doute que la marque a visé juste : la campagne, destinée au marché américain, a connu une viralité mondiale qui n’avait pas été anticipée. Preuve de l’universalité du propos, elle a été déclinée dans de nombreux pays comme l’Inde, l’Espagne ou le Canada, chaque fois adaptée aux moeurs locales pour renforcer son impact.
Résultat : les spots Gillette se sont débarrassés des codes de ces trente dernières années (grosse voiture, attaché case, etc.), notamment au travers de l’image discutable de la femme qui y était représentée. “Si une femme est présente dans la publicité, elle doit avoir un vrai rôle dans le script, pas un rôle décoratif. De la même façon, nous préférons ne plus caster uniquement des mannequins, mais des personnes auxquelles le public pourra plus facilement s’identifier.”
Les marques accordent-elles trop d’importance aux réseaux sociaux ?
“Les marques en général accordent trop d’importance aux réseaux sociaux alors que ceux-ci ne représentent pas la majorité silencieuse”, lançait Gary Coombe, responsable “grooming” chez P&G, au Telegraph en janvier dernier, en s’appuyant sur les très bons résultats de la campagne qui contrastent avec les gazouillis phénoménaux du web.
“Les réseaux sociaux sont un reflet déformé de la société, pas une photographie de l’opinion”, explicite Christine Cabon. “Les marques doivent oser prendre position et ne pas craindre le bad buzz. On a l’habitude de les utiliser comme tels, mais les réseaux ne sont pas une boussole ni une cartographie de l’opinion : on ne peut pas uniquement aiguiller nos choix de marque ou notre stratégie de communication sur les verbatims des consommateurs, surtout quand on est sur une position profonde de marque comme c’est le cas ici.”
Après Lush qui a annoncé se retirer des réseaux sociaux pour ne plus se battre contre des algorithmes, le bilan de cette campagne interroge une fois de plus sur la façon dont les marques intègrent les réseaux sociaux à leur stratégie marketing.