Confinement : peut-on transformer un événement en live vidéo ?

Par Élodie C. le 09/04/2020 - Agence : Brainsonic

Temps de lecture : 13 min

Après les reports et les annulations, place à la digitalisation événementielle.

Alors que le secteur événementiel est durement frappé par la crise sanitaire actuelle et que les mesures de confinement le forcent à se mettre sur pause, comment repenser une activité éminemment physique, faite de contacts humains et de rencontres dans un monde où la distanciation sociale devient la norme ? À un moment où les marques annulent leurs événements présentiels les uns après les autres, le digital se présente comme une alternative. Tous les événements sont-ils transposables en live vidéo ? Quels sont les freins d’un tel format, pour quel contenu ? Comment émerger alors que le format live est présent partout, d’Instagram à Twitter ?

Éléments de réponse avec Fabienne Guilbert, directrice associée de Brainsonic Event qui se veut résolument optimiste. Celle-ci invite les marques à saisir l’opportunité qui se présentent à elles de réinventer leurs rendez-vous.

Le secteur de la communication est lourdement touché par la crise. Dans Les Échos, Laurent Habib, président de l’Association des agences conseil en communication (AACC) expliquait ainsi que « la chute des activités publicitaires est de l’ordre de 70 % en moyenne, et pouvait même atteindre 100 % pour le secteur de l’événementiel ». Comment avez-vous vécu les annulations en série consécutives aux mesures de confinement ?

Fabienne Guilbert : Stupéfaction. J’ai bien cherché, je ne trouve pas d’autres mots pour résumer le sentiment des acteurs de l’événementiel à la vue des annulations en série quand le confinement s’est imposé dans notre actualité. Des annulations massives. Des jours et des jours de préparation presque effacés de nos mémoires. Et des pertes de revenus forcément angoissantes. La 2e semaine du confinement fut rude pour tous.

Dans un monde où la distanciation sociale devient la norme, quelles alternatives s’offrent au secteur de l’événementiel ?

F.G. : La question clé fut de se demander : peut-on reconfigurer en live un événement
qui… n’était pas du tout prévu pour cela ? Avec plus de 15 ans d’expérience sur le sujet, chez Brainsonic Event, nous avons quelques idées en la matière. Rien de magique ici. Pas de sur-promesse. Juste… du vécu.

Donc, prenons la question qui nous est posée chaque matin par nos clients : « Mon événement physique est-il transposable en live ? ». Globalement, nous pouvons répondre : « Oui ». De fait, beaucoup de choses sont jouables en live. Une keynote bien sûr, une interview, une table ronde et même un événement de plusieurs jours ! — les solutions actuelles permettant de « lever la main » (en version digitale) pour articuler les prises de parole. Pas de souci non plus pour intégrer à la scénarisation de l’événement des vidéos et, bien sûr, des séquences interactives. Du live chat au sondage en passant par des brainstormings express, ce ne sont pas les options qui manquent.

Quels sont les principaux points de friction d’une transposition d’événement sur le digital ?

F.G. : Soyons francs, le networking que vous envisagiez pour votre événement ne pourra se faire de manière aussi souple. Cependant de nombreux dispositifs digitaux permettent de faciliter rencontres et échanges pendant un événement. Aussi, il vous faudra déployer beaucoup d’efforts hors du live (e-mails préalables, groupes LinkedIn ou autres dédiés, etc.) pour parvenir à faciliter ces échanges. Autres dispositifs difficilement transposables, les événements très « scéniques ». Le DJ set qui devait conclure votre événement sera difficile à valoriser, voire à intégrer dans un événement digital.

Dans la pratique donc, beaucoup d’assets événementiels sont transposables en digital. Une chose en revanche ne l’est clairement pas : l’agenda. La journée initialement prévue avec keynotes le matin, cocktail déjeunatoire et networking, puis ateliers en salles de sous-commissions ne va pas pouvoir être maintenue ainsi. Il n’est évidemment pas raisonnable de penser tenir l’attention d’une audience en ligne durant des heures. Il faut donc resserrer l’agenda sur son noyau dur tout en y intégrant aussi des moments légers et pourquoi pas étendre cette journée sur la durée (semaine, mois, etc.).

La réalité virtuelle peut-elle également être une alternative ?

F.G. : Bien sûr. Le seul point qui ne plaide pas en sa faveur dans le contexte que l’on vit aujourd’hui, ce sont les restrictions postales : comment envoyer des casques de réalité virtuelle à une population dense ? Il faut penser à ceux qui ne sont pas équipés.

Nous sommes actuellement dans l’incapacité de réunir des personnes au même endroit, tout le monde est confiné chez soi, faire de la réalité virtuelle nécessite d’être capable de leur fournir un matériel, quel qu’il soit, d’équiper à distance. Hormis peut-être pour des cibles plus restreintes où cela reste envisageable : des actions ont été entreprises auprès de journalistes notamment, il s’agissait d’équiper dix à trente personnes.

En revanche, pour des entreprises qui pensent leur événement pour 500, 600 ou 1 000 personnes, la réalité virtuelle n’est pas un choix envisageable actuellement. Nous sommes aujourd’hui sur un rythme de trois jours de distribution de courrier par semaine. Si le colis n’arrive pas chez vous, cela implique d’aller le retirer, certaines personnes ne se déplaceront pas, pour respecter les consignes de confinement, par peur, ou X autres raisons. Il y a beaucoup de freins pour penser la réalité virtuelle comme une alternative possible avec le confinement.

Avez-vous observé une évolution dans les demandes des marques concernant leurs événements ?

F.G. : Nous avons vécu trois grandes étapes :
1. Avant le confinement
Une sorte de folie s’est emparée de tout le monde : « Comment je fais mon événement, qu’est-ce qui va se passer ? »
2. Le confinement
Avec la mise sous cloche, il ne s’est rien passé pendant deux, trois jours. C’était le coup de massue, « On y est ».
3. Demandes de communication
Ensuite, nous avons reçu beaucoup de demandes de marques souhaitant communiquer et faire des événements digitaux par quelques moyens que ce soit (audio ou vidéo).

Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises et de grands groupes nous disent qu’il n’y aura plus d’événements physiques avant 2021. Leur chiffre d’affaires va logiquement être mauvais, les budgets restreints et la sortie du confinement va prendre beaucoup de temps avant qu’on puisse accorder à des personnes de se réunir au sein d’événements présentiels. Depuis deux, trois jours, nous sentons les demandes changer de la part de grandes entreprises qui s’interrogent aujourd’hui sur les dispositifs digitaux qui peuvent être mis en place pour leur événement pensé pour être présentiel à l’origine.

Cela ne veut pas dire que ces entreprises ne s’engageront pas pour faire des événements en 2021 (ils se préparent d’ailleurs longtemps en amont pour certains), cependant leur budget est actuellement consacré au digital. Pas forcément pour du live vidéo, cela peut-être du site web pour générer de la lead gen (processus de création et de gestion des leads, NDLR), une digital TV, des salons virtuels, etc., pourvu que l’événement soit full digital.

Évidemment, certaines choses sont irremplaçables, comme la joie d’un moment partagé en famille lors d’une remise de diplômes par exemple, et tous les moments de convivialité partagés autour d’un cocktail déjeunatoire ou de gala. Chez Brainsonic Event, l’enjeu est de se rapprocher au maximum de ces sensations. La technologie est presque sans limite, malheureusement on ne se serre pas la main derrière un écran…

Avez-vous tenté l’expérience du live digital depuis le début du confinement ?

F.G. : Oui, nous organisons actuellement 2 événements digitaux par jour en moyenne. Le premier a démarré le lendemain du confinement nous avons réalisé un live avec Axa le 18 mars dernier par exemple. Initialement prévu dans le confort d’un studio, cet événement a été reconfiguré pour être joué avec des intervenants distants. Destiné à des courtiers et clients, il a réuni 9 900 internautes durant 45 minutes et cela sans aucun pépin technique. Si cette audience a pu être réunie le moment venu, c’est aussi (surtout) parce que l’environnement global du live a été soigné, de la campagne de promotion (emails, réseaux sociaux) aux pages d’inscription et de pré-live. Des landing pages à part entière sur lesquelles reposent en partie la conversion. À noter également, l’importance du « replay », qui a réuni les jours suivants plus de 72 000 personnes. Aujourd’hui l’audience continue de grimper le Stade de France sera dépassé dans quelques jours.

Sans surprise, les intervenants étant à leur domicile, nous avons pris le temps de tester le réseau de chacun, de les aider à optimiser leur configuration technique locale pour sécuriser au mieux la session. Cela demande du temps, mais c’est indispensable. Autre ingrédient de la réussite de cet événement live Axa (et pas uniquement de celui-ci), la présence d’une journaliste pour animer la session. Trop de clients estiment être en mesure d’assurer eux-mêmes cette fonction, souvent pour réduire les coûts. Pas d’ambiguïté sur ce sujet : c’est une grave erreur et qui ne pardonne pas…

Depuis le confinement, le live est partout, nous n’avons jamais vu autant de live de marques sur Instagram notamment, comment émerger ?

F.G. : C’est une bonne question. Sur Instagram, les lives mettent majoritairement en scène des artistes, ou des coachs sportifs. Nous accompagnons par exemple le groupe Sodexo dans sa communication social media, les danseuses du Lido proposent ainsi des sessions live pour garder la forme pendant le confinement (le groupe est propriétaire du Lido depuis 2009, NDLR). C’est plus une question d’attente des personnes confinées versus ce que les marques vont leur proposer.

Comment émerger en tant que marque ? Il faut se demander : qu’est-ce que je propose comme contenu, comme angle ? Tout contenu, tant qu’il est serviciel et pensé dans une logique de lien et d’apport d’informations utiles peut émerger.

Pour émerger actuellement, ce qui compte c’est :
1. La force du contenu proposé
Il ne faut surtout pas penser business, produit, etc. cela ne marchera pas. Le contenu doit apporter de la valeur, comme la Fnac qui propose le téléchargement gratuit de 50 ebooks ou d’autres marques qui s’associent à des fondations pour soutenir le secteur médical.

Le contenu live peut également être pensé dans une logique interne. Certaines entreprises sont totalement déconnectées de leurs collaborateurs. Au-delà des outils de réunion comme Zoom, Teams, Skype, etc., créer du lien reste primordial. Notamment avec des acteurs qui ont 30 000 ou 40 000 salariés à travers le monde. Il s’agit d’entretenir la communication du PDG à ce moment précis.

2. Les bons canaux sociaux
Pour toutes les communications externes, il est nécessaire d’utiliser les bons canaux sociaux pour promouvoir l’événement, ajouter du paid media pour booster la promotion, activer des leviers de Brand Advocacy. Avec les algorithmes, etc., il n’y a pas de secret pour sortir du lot. Sauf si vous vous appelez Bob Sinclar et que vous réalisez des lives tous les jours sur Facebook.

Ce qui fera vraiment la part de voix, c’est le contenu adressé.

Quels autres conseils donneriez-vous à des annonceurs qui souhaiteraient transposer leur événement en live ?

F.G. : En live, comme en radio, les trous d’air (les silences donc) cassent littéralement le rythme d’un événement. Il importe qu’une personne (appelez-la journaliste, animateur.ice, modérateur.ice) soit dédiée à ce rôle. Sa mission ? Maintenir sous tension la continuité dialoguée, assurer les transitions, se glisser dans les virgules d’un intervenant trop long, venir en aide à un autre qui patine… Ne minimisez pas ce rôle et ne croyez pas vous improviser animateur. C’est un métier.

On profitera d’ailleurs de la présence de ce professionnel pour coacher les intervenants. Il ne s’agit pas ici de déployer des heures et des heures de training. Mais, à minima, de faire la chasse aux tics langagiers que nous avons tous et de sensibiliser chacun à l’importance d’investir l’énergie vocale qu’impose un live. Méfiez-vous de la phrase « soyez naturel et tout se passera bien… ». Croyez-vous vraiment que le présentateur que vous écoutez le matin à la radio parle naturellement ? Non, bien sûr. La voix doit combler la distance. Il ne s’agit pas de parler plus fort, mais de savoir poser sa voix, la moduler pour, là encore, capter l’attention. Quelques conseils ne seront pas de trop sur le sujet…

Se lancer aujourd’hui, dans le contexte actuel, est-il risqué ou représente-t-il une opportunité (de tester de format s’il n’a jamais été éprouvé) ?

F.G. : Cela représente une formidable opportunité. Aujourd’hui, mon équipe et moi-même sommes d’ailleurs davantage sollicités au quotidien par des sociétés avec qui nous n’avons jamais travaillé, et qui n’ont jamais fait de live, mais cherchent des solutions.

Typiquement, nous avons travaillé récemment pour un grand laboratoire pharmaceutique qui devait organiser un événement d’une cinquantaine de personnes avec leurs top managers venus de la France entière. Une semaine et demie avant l’événement, nous avons dû imaginer cet événement présentiel en version digitale.

Nous leur avons créé un site web comme lieu d’événement avec une session live tous les jours à 9h sur le site, la météo du jour, des quizz, des sondages, puis du contenu plus plénière et stratégique ensuite avec des sous-commissions réunies au sein de salles virtuelles sécurisées et prévues pour un certain nombre de personnes autorisé : 95 % des participants se sont connectés en moyenne pendant les trois jours qu’a duré l’événement. Cela montre un engouement certain de leur part de discuter et se réunir entre eux.

L’opportunité est là de tester ce format. Sans être pessimiste, la partie purement événementielle va rester compliquée pendant un certain temps encore. Des entreprises avec qui nous travaillons organisent 500 événements par an : que vont-elles faire pour être toujours présentes pour leur audience ?

Quelles sont, selon vous, les 3 clés de réussite d’un event live ?

F.G. : 1. Prenons (vraiment) le temps de repenser la configuration si nous partons d’un existant avec une obsession : comment tenir et ménager l’attention de notre audience ?
2. Prenons le temps, aussi, avec les intervenants. Le temps qu’il faut pour sécuriser la
technique comme leur prise de parole.
3. Appuyons-nous sur des pros de l’animation d’événements digitaux, des personnes qui maîtrisent le « parler
radio ».

Avec ces précautions, avec cette préparation — ne le cachons pas, tout cela est chronophage —, la réussite peut être au rendez-vous. Et même deux fois : une fois en live, et ensuite en replay. Car si un live a bien fonctionné, mécaniquement, il triple ou quadruple facilement son audience dans les semaines qui suivent. C’est le gros avantage du live sur un événement physique : le replay efface aisément le no-show — eh oui, j’assume, je tenais à finir sur une note positive.

Avant le confinement, le format live ne demandait qu’à décoller, attendant son best case, pensez-vous qu’il survivra au « déconfinement » ?

F.G. : Oui, complètement. Cela fait 15 ans maintenant que je fais du format live chez Brainsonic Event, et nous en vivons très bien. Nous observons un énorme boom autour des outils de réunion et webinar pendant cette période de confinement afin d’assurer des conversations avec des clients et l’interne. Toutefois, ces outils ne répondent pas à tout, la puissance du live n’est plus à démontrer sur les contenus.

Le live va devenir très important dans les mois qui viennent. Des personnes qui n’avaient pas l’habitude d’en faire vont s’y mettre par obligation, des concurrents vont émerger et la croissance du live va être dynamique. Sinon, nous aurons raté quelque chose.

Il y aura évidemment un engouement à vouloir retourner sur de l’événementiel physique, c’est certain, mais là où beaucoup de marques avaient encore des freins à placer du live sur des événements hybrides, avec la peur d’une cannibalisation de leur audience physique par le live (c’est en live, donc je ne viens pas à l’événement), ne l’auront plus. Cette contrainte sera peut-être levée : si cannibalisation il y a, c’est que le contenu présenté ne mérite pas un déplacement.

Le gros point d’interrogation, c’est : quand tout cela va-t-il pouvoir reprendre vie ? Les entreprises restent prudentes sur le sujet pour le bien de leurs clients et collaborateurs, il ne faudrait pas contaminer d’autres personnes lors d’une 2e vague épidémique.

Pour nos clients, 2020 est une année digitale, qu’elle soit, web, vidéo, live, avec de l’influence ou du social media.

Comment voyez-vous le secteur de l’événementiel évoluer dans les prochaines années ?

F.G. : Tout dépendra de la manière dont on se comporte par rapport à la situation actuelle : est-ce qu’il y aura une 2e vague, une 3e vague ?

Il y a toujours eu des oppositions entre l’événementiel physique et le digital (avec le live). Chez Brainsonic Event nous sommes spécialisés sur les événements hybrides depuis plusieurs années et je vois ces deux choses cohabiter beaucoup plus à l’avenir, avec des réflexes plus importants, et ainsi s’interroger : comment je conçois mon événement et comment le digital représente un choix essentiel dans mon événement présentiel, et n’est pas uniquement une solution que j’active selon mon budget.

L’événementiel va revenir. Il a déjà été mis sous cloche en 2015 après les attentats, puis en partie avec les gilets jaunes, puis les grèves entre la fin d’année dernière et début 2020, c’est un secteur qui connaît la crise, qui a toujours rebondi et rebondira encore. Après, il y aura certainement moins d’acteurs, c’est une évidence, beaucoup de sociétés vont déposer le bilan, et laisser de plus grands groupes avec des reins plus solides assumer cette crise.

Le secteur repartira, différemment. Pour une fois peut-être, ce sont les agences digitales qui vont embarquer plus d’agences événementielles dans leurs projets, les appels d’offres, etc. Je n’ai pas de boule de cristal… mais j’y crois, notamment parce que nous avons une association, L’ÉVÉNEMENT, qui nous représente beaucoup auprès du gouvernement.

Et puis, c’est dans l’ADN de la France notamment, mais aussi un peu partout, de savoir se réunir, de prendre plaisir à se retrouver lors d’événements. Tout cela reviendra. D’une façon mesurée, du moins d’ici 2021.

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