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News de l'agence W Conran Design

Manifesto

Une chronique FORMIDABLE de Gilles Deléris, notre directeur de Création et fondateur, à découvrir dès maintenant ! ?
Merci étapes:

 

Dans Manifesto de Julian Rosefeldt, Objet Cinématographique Non identifié, l’actrice Cate Blanchett porte un siècle de manifestes artistiques dans lesquels des plasticiens, des architectes, des poètes ou des cinéastes exposent dans des textes enflammés leur vision de l’art et du monde qui va avec. Julian Rosefeldt, qui tire ce film d’une installation immersive créée au MAC* en 2015, rend hommage à la puissance et à la beauté littéraire de ces écrits. Il en recompose, à force d’associations et de collages, des versions revisitées à la fois poétiques, engagées et délibérément provocantes. Tantôt SDF, tantôt journaliste, femme au foyer, chercheuse ou pétroleuse, Cate Blanchett, interprète une douzaine de personnages, les situe dans un contexte relatif à leurs propos et déclame la prose révoltée et exaltée de leurs auteurs.

Il y a, dans ce “manifeste des manifestes”, présenté en polyphonie, hors chronologie, l’ambition, pour chaque déclaration, d’une synthèse ultime, où une rupture chasse l’autre avec vigueur. Tabula Rasa.

“Merde à Florence, Montmartre ou Munich. Merde à Montaigne, Wagner, Beethoven, Whitman et Baudelaire” proclament en 1910 les Futuristes italiens. “Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une nouvelle beauté : la beauté de la vitesse” poursuivent-ils.

Pourtant les lendemains chantent des airs très dissonants : “L’avenir, jetons-le en pâture aux chiromanciens. La journée présente, gardons-la pour nous. Plus de rétrospection ! Plus de Futurisme !” écrit dix ans plus tard le poète mexicain Manuel Maples Arce**.

Mais peu importent les contradictions et la radicalité de ces joutes intellectuelles, nous voilà embarqués dans un vortex de querelles artistiques dont on comprend les causalités et les liens, dûssent-ils être brisés, au fil du temps qui passe. Car les choix esthétiques, le filmage qui privilégie la lenteur, le grain de la voix de Cate Blanchett nous envoûtent et donnent à lire le siècle dernier comme un continuum cohérent, que traversent des thématiques et des motifs communs. Ils lissent les différends entre chacune de ses écoles de pensées. Cela sans doute parce qu’il y a, dans ces déclarations définitives, des fragments de pensée où s’impose avant tout l’ambition révolutionnaire d’un dépassement du réel dont l’art serait le moteur. Sans doute parce que tous, avec assertivité, reprennent la forme et la phraséologie de Karl Marx et Friedrich Engels dans le Manifeste du parti communiste. Comme si tout artiste portait au fond de lui une part de révolte et qu’il est de l’ordre des choses que l’art prenne de vitesse l’esprit du temps.

Il y aurait ainsi matière à réflexion à l’heure des raisons d’être et des Manifestes d’entreprises qui fleurissent et se fanent comme autant de roses sur les braises d’un monde en surchauffe. Il faudra, au-delà de leurs bonnes intentions, un peu de la radicalité du Suprématisme pour réparer ce qui peut l’être : “La vie doit être purifiée des désordres du passé pour suivre le cours de son évolution normale”. Sans quoi il est fort probable que ressurgissent encore plus fortes les prédictions situationnistes qui résonnent aujourd’hui avec une incroyable actualité : “Un vieux monde se meurt […] La civilisation capitaliste […] est dans un processus de décomposition […] Elle engendre aujourd’hui des guerres nouvelles et dévastatrices. La crise économique qui sévit impose des fardeaux de plus en plus lourds à la population mondiale”.

Et si les marques, fortes de cette responsabilité économique et politique, injectaient dans leurs prospectives celles des artistes, en lieu et place des cabinets de conseils internationaux rivés sur leurs tableurs Excel ? Et si elles trouvaient dans la volonté continue de dépassement du réel de ces plasticiens, cinéastes et poètes le temps d’avance et la dimension performative pour un monde apaisé. “Je crois à la résolution future de ces deux états, le rêve et la réalité en une sorte de réalité absolue, de surréalité”.*** Cent ans plus tard, on peut toujours sur-rêver…

* Musée d’art contemporain de Montréal

** Initiateur du Stridentisme en 1920

*** André Breton, Manifeste Surréaliste