Les 10 tendances graphiques de 2021

Par Élodie C. le 03/12/2020

Temps de lecture : 19 min

Une année militante, semble-t-il.

Chaque année depuis 6 ans maintenant nous donnons la parole à un pool d’experts issus de l’univers de la communication visuelle pour imaginer de quoi l’année à venir sera faite en matière de design graphique : directeur de création, directeur du design, graphiste freelance, designers, etc. se sont prêtés à l’exercice, analysant l’année écoulée, leur travail et leurs propres recherches. Quelles tendances se dessinent, lesquelles se renforcent ou au contraire s’effacent ?

L’année dernière, loin d’imaginer l’année singulière à laquelle nous serions tous confrontés, les experts interrogés imaginaient une année emprunte de douceur marquée par les enjeux de RSE, avec un design toujours plus fier et audacieux, en 3D, et authentique. Misant notamment sur un retour au naturel. 2020, sa crise protéiforme et ses confinements n’auront pas manqué d’accentuer certaines de ces tendances et d’en esquisser de nouvelles, militantes, inclusives, et recentrées sur l’humain.

Voici les 10 tendances graphiques qui pourraient s’illustrer en 2021.

1. Typographie audacieuse

En rebond à une année “blanche” passée sous cloche, comme mise sur pause, “l’heure est au chaos, à la transgression de la lisibilité et de l’harmonie, estime Annette Mathon, managing partner de l’agence Image de marque. Notre enfermement physique a provoqué l’expansion du monde digital et de la technologie vers de nouvelles dimensions.” Elle voit la typographie surdimensionnée devenir à la mode en 2021 : “Tellement macro qu’elle en devient illisible. Le lettering prend toute la place ; audace, maximalisme et mélanges typographiques sont à l’honneur. Les avantages sont évidents : attirer l’attention du lecteur, donner de la puissance et de l’impact au message et forcément tirer parti en digital des mots pour améliorer l’efficacité du moteur de recherche.

Dans un monde désormais mobile first où le responsive design n’est plus une option, Annette Mathon ne voit qu’une seule limite “de taille” au jeu typographique : “la capacité d’adaptation aux écrans mobiles”, prédit-elle.

Johan Debit, designer chez Brand Brothers, parie également sur un retour de la typographie audacieuse. “Ces dernières années, nous avons assisté à une standardisation des logos, via des polices de caractères très simples, géométriques, comme sans sérif et Helvetica, pointe-t-il. Nous avons observé un mouvement d’uniformisation assez terrifiant, à la fois dans le luxe, les startups et les grands groupes, car c’était la voix la plus rassurante, celle qui faisait écho au climat de défiance généralisée du moment.

En réaction, le design et les marques ont fait “profil bas avec des logos qui ne font pas de vagues, des typographies très plates, sans saveur, dans un mouvement de standardisation infini », poursuit-il. Il veut miser sur “un retour à plus de folie, d’audace et d’expérimentations dans le recours à la typographie. À la fois dans les logos eux-mêmes, mais aussi dans les systèmes de branding et les chartes graphiques.

Un avis partagé par Laurent Nuyen de l’agence Babel. L’executive creative director estime qu’en 2021 nous ferons face à “une approche plus radicale en réaction à l’année passée. Avec des envies d’évasion, de transgression, de révolution pour le fameux monde d’après.” Il pose ainsi ces bases : “Place à la typo bold et extravagante, revisitons la culture alternative et les affiches de rock. Place au trash, le flat design va devenir texturé ou sali, revoyons la culture skate, les collages. Place à des envies de changement, regardons les affiches de propagande révolutionnaire. Place aux images fortes, repensons à tous les films ou séries qui nous ont apporté un choc visuel”, enjoint-il. Un appel qui encourage à un design d’action, pour ne pas dire activiste.

2. Design militant

Crise sanitaire et économique, luttes sociales, violences policières, manifestations pro démocratie, mouvement Black Live Matters, autant d’événements qui imprègnent déjà le design graphique et l’imprégneront l’année prochaine. Ainsi, pour Aaron Levin, directeur de Création de l’agence de design Curius, “design et activisme marchent souvent main dans la main. En offrant au plus grand nombre des outils de communication simples, puissants, efficaces, facilement appropriables et reproductibles à faible coût, le designer joue un rôle majeur dans la visibilité des mouvements sociaux”. Autant de critères conduisant à “une esthétique spécifique, qui, en envahissant l’espace public, influence à son tour d’autres sphères du design, qu’elles soient commerciales, éditoriales, culturelles ou événementielles.

Chez Zakka, la tendance prégnante de 2021 sera donc “un mix de tout ce que nous vivons depuis un certain moment”. Pour Nicolas Couagnon, executive creative director de l’agence de Brand Thinking & Design de TBWA\Groupe, cela se traduit par “notre côté militant, un design de combat qui s’ancre dans une réinterprétation du constructivisme russe mixé à notre côté écolo dans un esprit graphique seventies ‘flower power’ un peu psychédélique et coloré qui traduit notre envie de revivre, se retrouver après la pandémie”. Ceci “dans un esprit simple, traduisant notre envie de revenir à l’essentiel, aux choses simples, dans une inspiration Bahaus pure et géométrique. Tout cela dans un ton futuriste forcément très digital et animé où aucune image n’est figée”, conclut-il.

Une tendance qui trouve un écho chez le designer indépendant et fondateur de Design & Human, Geoffrey Dorne. Celui qui dispense également conférences, workshop et formations encourage ses étudiants “à aller vers des projets plus radicaux et engagés : avec les formes esthétiques de la lutte, inspirées de la culture des années mai 68, mais revisitées pour aujourd’hui.

Il donne ainsi pour exemple les affiches aperçues dans les manifestations à Hong Kong et Taiwan, mais aussi en France avec les Gilets Jaunes ou les mouvements sociaux, “tout un foisonnement graphique qui se radicalise et se détache du foisonnement graphique en lien avec le marketing ou la vente de produits”. Un design qui “aspire à se diriger vers de l’image nourrissante pour le cerveau et le cœur, pourvoyeur d’émotions pour s’engager, militer et lutter. Exprimer la voix des gens qu’on n’entend pas.” À l’instant d’Aaron Levin de Curius, Geoffrey Dorne estime que « les designers graphiques auront un rôle important à jouer dans les années à venir, mais aussi, dès maintenant.

Cette tendance militante trouve également sa traduction chez l’agence design FutureBrand. Askel Oz, directeur design, promeut ainsi un “design pour tous” : “Bien qu’encore peu exploité graphiquement par les marques, la notion d’inclusion, très présente dans la mode depuis plusieurs années maintenant, est devenue un sujet majeur de société. Il est alors intéressant d’observer le travail de la jeune génération et notamment celui de Tristan Bartolini qui a remporté le prix Art Humanité avec son travail sur le langage et la typographie Inculsif-ve ».

3. Human after all

Dans une société dominée par la technologie, l’humain n’en est pas moins au centre du jeu. “Le contexte exceptionnel de cette année a fait émerger une véritable force collective, avec le renforcement de communautés qui ont pour maîtres-mots la compassion et la connexion, remarque l’éditeur de logiciels graphiques — InDesign, Acrobat, Photoshop, Illustrator et Flash — Adobe. Plus que jamais, la communauté créative se veut solidaire, inclusive et authentique”.

L’entreprise dont l’ambition est de démocratiser la créativité (“Creativity for all”) voit cette compassion se traduire “par une volonté de liens plus forts entre individus, par exemple au travers d’un processus créatif davantage collaboratif, spontané et handmade.” Ici, le design est “assez linéaire, graphique” et Adobe observe “une émergence de courbes fortes.

Théo Germain, co-fondateur et creative director de l’agence de communication digitale Colorz, y voit la continuité de tendances sous-jacentes présentes depuis quelques années déjà. Des tendances qui vont peut-être “enfin prendre l’essor qu’elles méritent” au sein d’une tendance dont le nom est emprunté au groupe de robots superstar Daft Punk : human after all : “Après une ère Robot Rock, numérique avec un côté très propret, très flat design sur le digital, les nouvelles tendances actuelles se redirigent vers le réalisme.” Il observe un véritable besoin de revenir à des choses plus naturelles, plus humaines, ce qui se ressent à différents niveaux selon lui, dont “la colorimétrie avec des teintes plus douces et naturelles, des couleurs aperçues depuis quelque temps déjà : de terracotta, rust (inspiré par la couleur que prend le fer quand il rouille, NDLR) aux couleurs de la nature du type aqua”.

Cette tendance trouve son application dans plusieurs secteurs, comme le mannequinat où la tendance est au normcore. Les défauts, les gueules, les mannequins qui n’en sont pas sont mis en lumière et deviennent la nouvelle norme. “Graphiquement parlant, cela s’observe dans la photographie : on va rejouer sur les défauts, créer des accidents, jouer avec les flous pour apporter un aspect moins robotisé et informatique, et amener plus de vie. Il s’agit de s’adapter au côté protéiforme de chaque beauté.

4. Vivant

Comment ne pas voir dans cette tendance une réaction à cette année moribonde ? Pour Adobe, il est évident que « la création souhaite rompre avec la monotonie de l’année écoulée. En couleurs, l’optimisme est de mise. Elle se traduit par des palettes entières de couleurs chaudes et joviales. Ainsi que des jeux de contraste entre des associations de couleurs neutres, pastel, voire terreuse, et de couleurs néon et pop. »

L’éditeur dévoilera en fin d’année, en partenariat avec Pantone, la couleur de l’année 2021 qui succédera à “Classic Blue”.

L’année dernière, nos experts misaient déjà sur la 3D comme une volonté de convoquer le réel. 2021 n’y échappera pas. Comme le rappelle Théo Germain de Colorz, “même la 3D est surréaliste, comme si nous ne voulions pas que l’ordinateur se voit, soit trop réaliste. Qu’il reste une dualité entre ce que l’homme sait faire et la machine.

En 2020, nous avons tous communiqué de manière informatique, laissant très peu de traces écrites des uns et des autres. Le 3D surréaliste s’inscrit peut-être en rebond, pour insuffler de la vie et de l’humain dans les créations”, poursuit le creative director.

Même constat chez FutureBrand : “Après une année rythmée par des mesures nous forçant à rester chez nous, le design a bien compris que nous rêvions de nous évader, souligne Aksel Oz. Le directeur du design mise donc “encore et toujours” sur la 3D, mais pas seulement : “Le maximalisme et le surréalisme resteront pour 2021 un moyen d’apporter une touche de rêve à notre quotidien. »

« De plus en plus vivante et libérée, la mise en mouvement des marques et de leurs univers graphiques fera partie intégrante de leurs réflexions conceptuelles et visuelles et plus seulement la simple animation d’une version fixe”, présage-t-il.

« Les marques vont aussi voyager à leur manière. Quand pendant des années les marques étaient prisonnières de l’esthétisme de leur catégorie, elles vont de plus en plus s’émanciper pour proposer un regard neuf. À l’exemple de Popee, un papier toilette 100 % responsable, qui revisite la douceur à sa façon.

Chez W, si “les paris sont ouverts”, Gilles Deléris, cofondateur et coprésident de l’agence W, entend également mettre “de la fraîcheur et de la joie dans [les] productions créatives”, avec de “la 3D pimpante et jubilatoire comme des gâteaux à la crème.” Dans le même état d’esprit que ses confrères, il pressent “du foisonnement et de la générosité pour conjurer l’abstinence à laquelle nous avons été contraints. Nous ferons signe d’optimisme avec de l’éclat, de la couleur, de la vivacité et du mouvement pour raconter des histoires qui donnent de l’espoir. Nous injecterons les nouveaux langages dans nos images : des emojis sympathiques, de l’illustration et des codes récessifs comme autant de témoignages rassurants et bienveillants.

Chez Image de marque, on voit également cette tendance prendre sa source dans la mode des emojis et la transcendance avec un supplément de sophistication. “Un copy ponctué d’images photographiques qui illustrent le propos en intervenant le texte même. Une alternative attrayante pour rendre une histoire plus visuelle et impactante. Une façon de donner un ton au contenu éditorial tout en créant un design percutant”, analyse Annette Mathon, managing partner de l’agence.

5. Des formats riches et augmentés

La crise liée à la pandémie ou les récentes élections américaines ont donné lieu à une avalanche de contenus enrichis aux formats multiples. L’année prochaine, les médias devraient accélérer sur l’information augmentée, prédit Florent Guerlain, directeur de création et co-fondateur de Datagif, agence spécialisée dans le design d’information pour des clients médias et non-médias. “Pour suivre l’épidémie et vulgariser l’information scientifique (tout le monde devient un épidémiologiste averti), les médias ont dû réagir vite et proposer des formats interactifs contenant des courbes, des cartes, des infographies, des options de filtrages… parfois simples, parfois (un peu trop) complexes, se remémore-t-il. Cette tendance des formats riches existe depuis un moment, mais elle va forcément se poursuivre tant le besoin de décryptage se fait plus que nécessaire”.

Il tranche : “En 2021, si les articles ne sont pas enrichis de schémas clairs, limpides, parlants en un coup d’œil et développés pour être fluides en mobile, ils ne connaîtront pas le succès. »

6. Uniformisation

Évoqué précédemment par Johan Debit de Brand Brothers pour qui, les typographies audacieuses s’expriment en réaction à un mouvement d’uniformisation, cette tendance est partie pour durer. Florent Guerlain de l’agence Datagif présage même un clonage de masse sur les réseaux sociaux en 2021 : “Les plateformes poursuivent leur malheureuse tendance à s’uniformiser (dernier exemple : les stories partout, avec Twitter qui se met au Fleets), et nous risquons clairement de perdre la logique de production de contenu et de ton adaptés à chaque plateforme, au profit d’une industrialisation poussée à l’extrême. Résultat, en 2021 beaucoup d’éléments de design ne seront pas créés spécifiquement pour une plateforme, mais de façon générique pour les plateformes. Ceux qui ne tomberont pas dans ce piège du design trop unifié pourront sortir du lot« , prévient le directeur de création.

Même son de cloche chez W qui voit dans “l’impeccable style international et son Helvetica Black”, une tendance “qui colonise et nivelle des pans entiers de l’expression visuelle depuis le tournant du XXe siècle.Gilles Deléris imagine le secteur renoncer “peu à peu à ce simplisme guidé par la technologie et la taille de nos écrans de smartphones, puisqu’à force de tout supprimer, il ne restera plus rien du design et des marques.” Au contraire, “nous serons post-modernes et baroques, dès que cela fera du sens. Et qui sait si les sérifs et autres enrichissements typographiques reprendront les couleurs dont la puissante École Suisse s’est jusqu’alors débarrassée”, se demande le co-président de l’agence W.

Geoffrey Dorne a également observé cette tendance à l’uniformisation en 2020 et estime qu’elle se poursuivra l’année prochaine. Selon lui, cette tendance “se détache du concept pour entrer dans une dimension artistique, mais parfois gratuite.” Les interfaces sont certes très bien réalisées, cependant beaucoup d’éléments se retrouvent un peu partout : « formes très rondes, colorées, géométriques, essentielles et basiques quand on fait du design, souvent disposées de façon harmonieuse et élégante sans pour autant répondre à un concept ou une demande destinée aux utilisateurs ou aux clients. »

En opposition à cette standardisation tranquille, Image de marque rappelle qu’une “des dernières tendances en matière de design graphique dans l’univers digital fait émerger des exécutions où seule l’interaction du lecteur permet d’accéder au contenu de manière lisible.Annette Mathon explique : “L’information, images et textes, est empilée et désordonnée — comme lorsqu’un internaute laisse plusieurs onglets ouverts sur son écran — et n’est pas entièrement lisible à première vue. Une sensation de chaos visuel, d’encombrement maximal, qui n’est surmontée que grâce à la réaction et l’intervention du lecteur, qui doit lui-même trouver son chemin et remettre les choses dans l’ordre”.

7. L’appauvrissement du design

Avec la crise sanitaire, “c’est un design de crise financière qui nous tend les bras pour les années à venir”, augure Geoffrey Dorne (graphism.fr). “Les designers licenciés d’agence deviendront freelances, d’autres tenteront de s’en sortir en faisant du graphisme pour boucler les fins de mois.” Cela va susciter un esprit “graphisme amateur” ou une surenchère freelance : “le design graphique et le design en général vont nécessairement en subir les conséquences en termes de qualité et d’exigences attendues”, estime le designer indépendant. Les gros budgets design offrent ainsi le luxe du temps, et permettent d’entamer des projets photographiques, interactifs, plus profonds. En revanche, « lorsque ces budgets diminuent, on peut être tenté d’avoir recours à des banques d’images, pour des rendus plus pauvres esthétiquement et conceptuellement,” pointe-t-il. En 2021, l’appauvrissement des budgets, notamment dans le milieu de la culture, aura donc nécessairement un impact sur le design graphique.

8. Simplicité

Si la tendance est au vivant, au design militant avec ses typographies audacieuses, l’esprit n’en est pas moins à la simplicité lorsqu’il s’agit de plonger le nez dans l’écran. « Avec les Zooms, Meets, Teams qui s’enchaînent toute la journée, le peu de temps qu’il reste pour naviguer doit être efficace, note Florent Guerlain de Datagif. Les sites et apps vont clairement aider leurs publics à se focaliser sur une action simple. Une chose à la fois. Un environnement rassurant. Pas de sollicitations multiples, pas de notifications, pas d’interférence visuelle : sans totalement déconnecter, nous avons juste besoin d’un peu de calme… L’an dernier nous avions parié sur un retour à plus de simplicité, en fait après l’année que nous venons de vivre, nous confirmons ce besoin ».

Attention” prévient toutefois Gilles Deléris, “le monde d’après viendra sans doute, mais il ne faudra pas jeter avec l’eau du bain l’ensemble des solutions visuelles que le celui d’avant a permis de faire émerger.” Clarté, puissance, incarnation et lisibilité seront de mise “pour aider les publics à faire face à la complexité du monde, pour aider les entreprises à remonter la pente et à donner à lire leur transformation. Il faudra des signes à la personnalité puissante, narrative et légitime comme reflet de leur raison d’être, des signes qui accompagnent sans ambages leurs nouveaux discours. C’est la condition pour qu’ils embarquent leurs publics dans leur univers. Il faudra, avec fluidité et évidence, guider les utilisateurs dans une expérience positive de la navigation dans les réseaux sociaux, dans les applications”, estime-t-il encore.

Il considère ainsi que l’esthétique devenue “banale” du flat design va rendre l’âme à son tour (“comme une interprétation extrême du fonctionnalisme”). Toutefois, « ses principes demeureront pour que le graphisme et les datavisualisations fassent leur travail de hiérarchisation des informations, d’accessibilité et d’inclusion. De la structure : beaucoup. De la fantaisie : énormément. De ce point de vue, nous sommes en France à la bonne place », conclut-il.

Pour Castor & Pollux, cette tendance à la simplicité trouve son incarnation dans un renouveau De Stijl, qui pourrait signer la fin de l’hégémonie américaine. Ainsi, alors que le « Designed by Apple in California », « porté par des couleurs acidulées et des angles ronds, continue son insolente hégémonie normative — notamment via l’unification des interfaces adoptées par l’ensemble des GAFAM — une tendance graphique semble pour la première fois venir remettre en cause drastiquement les canons esthétiques du digital, explique pour sa part Noé Melon, directeur de création de l’agence. “Sur quoi repose la rupture ? Ici, le design est segmenté par des verticales et des horizontales noires qui se croisent sur un fond blanc faisant apparaître une composition géométrique en “case” qui n’est pas sans rappeler le travail du mouvement De Stijl. »

« Un siècle sépare ce mouvement artistique des Pays-Bas — dont la traduction littérale n’est autre que “Le style” — avec le design interactif du XXIe siècle. On y retrouve pourtant une filiation directe : en bannissant les diagonales, en jouant sur les vides et les pleins, en confrontant les blancs et les images c’est une recherche subtile de stabilité et d’équilibre qui procure à la mise en page un certain repos pour l’œil. » Des techniques de mise en page utilisées depuis de nombreuses années par des acteurs institutionnels, rappelle-t-il, comme les musées, « à la recherche d’écrins digitaux qui ne cannibaliseraient pas le contenu proposé. Ce qui en fait une véritable tendance pour 2021, c’est son adoption par des studios de création et des agences de communication dans une optique de radicalité. »

La radicalité ici s’exprime sans fioritures, puisque la recherche de l’épure est maximale. « L’ergonomie n’en est pas moins bouleversée, nuance Noé Melon. En subdivisant ainsi l’écran, la hiérarchie de l’information vient poser de nouveaux défis aux UX designers. Le sacro-saint schéma de lecture vertical se voit concurrencé par une large ouverture des possibles qui vient bousculer les habitus — bien ancrés par les réseaux sociaux — de l’infinite scroll. »

Pour le directeur de création, à l’heure de la chasse aux ‘Dark Patterns’ et de la réflexion sur le ‘Privacy by Design’, « il n’est pas étonnant de voir les designers s’approprier ces enjeux en proposant une alternative sobre aux ‘interfaces bonbons’, si puissantes pour capter l’attention et influencer nos actions. » Et qui tendent à imposer ses standards comme nous l’avons mentionné précédemment.

Chez Colorz, cette opposition au flat design signe le retour progressif du skeuomorphisme, un design identique au réel, apanage de Google (material design) et Apple (la fameuse bibliothèque plus vraie que nature) fut un temps. L’idée étant « d’alléger les éléments pour simplifier la lecture aux utilisateurs, soulager leurs yeux et les amener de manière plus rapide sur une action donnée », explique Théo Germain.

Ce principe minimaliste devrait donc naturellement se poursuivre tout en apportant progressivement plus de matière, d’humain, avec les textures, un coté crafty et autant « d’accidents révélant une part d’humanité venant contrecarrer le coté trop propret de design qu’on imagine conçu exclusivement sur ordinateur. » Même s’il note qu’on travaille désormais main dans la main avec l’intelligence artificielle dans le design. Comme Starck et Kartell avec cette chaise au design végétal selon son co-créateur.

9. Diversité

En écho au design militant promouvant l’inclusion, cette tendance appelle à plus de représentativité. Aaron Levin parie ainsi sur une tendance qui aura « une influence majeure dans les années à venir », celle de « l’émergence de toute une nouvelle génération de designers noirs, peu représentés dans les agences, peu entendus dans les conférences et peu vus par le public », souligne le directeur de création de Curius.

« Le mouvement Black Lives Matter a été un catalyseur et une caisse de résonance pour cette communauté créative. À commencer par l’occupation des rues par le cri de ralliement, peint en lettres condensées et surdimensionnées, détournant le jaune signalétique routière comme pour mieux légitimer sa présence. »

Il cite ainsi, l’association Fine Acts (fineacts.co), qui se définit comme un « terrain de jeu créatif pour changer la société ». L’organisation a commandé 24 affiches à 12 designers noirs comme Hust Wilson (Johannesburg), Kevin Adams (New York), Adrian Meadows (Spartanburg SC), Eso Tolson (Memphis) ou Leandro Assis (Rio de Janeiro). « Des affiches puissantes, en noir et blanc, puisant dans les références esthétiques des Black Panther (ceux de la lutte pour les droits civiques comme ceux de Wakanda), les pochettes de disque de Motown, ou les affiches de l’atelier de sérigraphie des Beaux-Arts de mai 68 », précise Aaron Levin. Ou encore Black Star Projects, une plateforme qui ‘célèbre et soutient les artistes visionnaires BIPOC (Black, Indigenous & People of Color) publie une revue, Seen, avec une couverture remarquable de Makeba Rainey et un logotype de Jelsen Lee Innocent (photo ci-dessus).

Le DC de Curius y voit un début de réponse à la conférence de Maurice Cherry en 2015 qui posait la question « Where are the Black Designers » ?

10. Design circulaire

Si l’économie tend à devenir circulaire, le design emprunte le même chemin. « Recyclable, biodégradable, rechargeable… le design circulaire se concrétise et devient la nouvelle norme, estime Aksel Oz, de FutureBrand. Ici, moins de superflus, mais plus de sens. Les objets parlent d’eux-mêmes, à l’exemple d’Évian qui, en créant la première bouteille sans étiquette, 100 % en matière recyclée et 100 % recyclable fait le choix de l’écologie tout en y alliant un geste design fort. »

Le design director rappelle également que Nike a mis à disposition, en open source, son propre guide du design circulaire. « L’objectif ? Partager 10 principes de conception de vie d’un produit aux designers du monde entier. Un design alliant économie graphique et mouvement pour souligner avec intelligence le virage écologique de la marque », résume-t-il.

Pour lui, « le design c’est aussi continuer à innover avec de nouvelles matières. Seed propose un packaging entièrement biodégradable à base de mycélium de champignon, une matière nourrissant la terre, mais aussi des recharges en mousse de maïs se dissolvant dans l’eau et offrant alors une expérience sensorielle 100 % écologique. » En 2019, Doriane Naufle, DC de l’agence de stratégie de marque et design, évoquait également Haeckels, la marque de cosmétique artisanal dont les packagings sont faits des mêmes champignons.

Bonus : No tendance où le design durable

Et si la tendance 2021 était justement de n’en suivre aucune ? Seule façon d’inscrire le design dans le temps long, en l’empêchant d’être dépendant de modes fugaces. « Il faut se méfier des tendances et ne jamais oublier qu’être dans le vent c’est avoir le destin des feuilles mortes, note ainsi le designer indépendant Geoffrey Dorne. Une tendance dure parfois une semaine, quelques mois, une année ou aux mieux plusieurs années, mais finit toujours par retomber. Lorsqu’on fait du design, et du design graphique en particulier, il faut tenter de concevoir du design durable, même si je conçois qu’il est difficile de parler tendance et durabilité. »

Pour le désigner, s’il faut savoir la repérer, il ne faut pas tomber dans le piège de la tendance, sinon le travail devra être refait dans un ou 6 mois, ce qui est autant de dépenses d’argent pour les clients.

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