Influence : les enseignements de 2020

Par Élodie C. le 06/07/2020 - Agence : Ogilvy Paris

Temps de lecture : 12 min

L’interview de Pierre-Hubert Meilhac, MD / Head of PR & Influence d’Ogilvy.

Les influenceurs sont morts, vives les influenceurs ? Cette rengaine, mainte fois entendue, trouve aujourd’hui une nouvelle signification au lendemain d’un confinement qui aurait pu sonner le glas de cette activité, à mille lieues des préoccupations des confinés d’alors. Et pourtant. Ces trois mois inédits ont redistribué les cartes et permis au marketing d’influence de s’interroger sur sa raison d’être et en imaginant une autre. Plus locale, plus authentique, plus qualitative et finalement plus engageante.

Comment l’influence a-t-elle survécu au confinement ? Quel impact sur ses contenus ? Quelles pratiques et influenceurs se sont imposés ? Pierre-Hubert Meilhac, Managing director et Head of PR & Influence d’Ogilvy Paris, nous raconte ce que le confinement nous ont appris sur l’influence.

Aux premiers jours du confinement, la question de la survie des influenceurs est logiquement apparue au sein de certaines agences et médias. Au-delà des soucis de logistiques (livraisons, déplacements, etc.), leur activité (ou l’idée qu’on s’en fait) semblait alors bien éloignée des nouvelles préoccupations des confinés, les influenceurs ont-ils finalement survécu au confinement ?

Pierre-Hubert Meilhac : Certains influenceurs ont en effet pris la crise de plein fouet, avec une importante baisse de leur activité, comme des études l’ont montré. Nous y avons été logiquement confrontés avec l’annulation d’événements physiques sur lesquels des influenceurs étaient activés. Après avoir remis à plat les plans d’action avec nos clients, l’influence est revenue au premier plan comme un levier activable puisque l’expression en ligne était, elle, toujours possible.

À ce titre, les influenceurs se sont un peu plus imposés dans le paysage médiatique « grand public » comme un vrai relais culturel durant cette période. L’offre culturelle a été drastiquement réduite, des séries ont été arrêtées ou suspendues, des festivals, concerts, et représentations de danse et de théâtre également. Une bascule s’est opérée en direction des réseaux sociaux, le territoire des influenceurs aujourd’hui. En ce sens, oui, les influenceurs ont survécu à la crise, même si certains mettront du temps à s’en remettre. En revanche, d’autres créateurs de contenus sont apparus, des influenceurs locaux, d’entreprises aussi… C’est une nouvelle forme d’influence qui s’est imposée ces trois derniers mois.

La consommation des médias (presse, télévision, internet) a explosé durant le confinement, notamment les médias sociaux utilisés aussi bien pour s’informer, se divertir, que communiquer. Comment cela s’est-il traduit du côté des influenceurs en termes de contenus ?

P-H.M. : Il y a eu moins de collaborations, mais celles-ci étaient plus qualitatives. Des ponts se sont créés, encore plus qu’avant, entre les médias sociaux et traditionnels. Par exemple, la publicité TikTok conçue par Ogilvy Social Lab a été tournée par des influenceurs chez eux, avec une qualité broadcast. Si nous avons baissé nos attentes en termes de qualité pendant le confinement, les influenceurs se sont développés sur des contenus plus longs et riches : nous avons ainsi observé beaucoup de sérialisation de contenus, des rendez-vous réguliers, etc., d’une plus grande qualité. Notamment True Story sur Amazon Prime Video.

Cela vient palier le manque de productions originales dû au confinement, et démontre aussi que la qualité d’écriture et de réalisation de certains influenceurs est désormais reconnue par les médias traditionnels.

Pendant cette période, les réseaux sociaux et les influenceurs étaient quasiment le seul levier activable, nous avons pu nouer des conversations plus riches sur le sujet avec nos clients. Avant cela, chacun avait son opinion sur cette activité : la petite sœur qui est sur TikTok, alors il faut aller sur TikTok. Les Youtubeurs sont suivis, allons-y, et quid des jeux vidéo, etc. ? Le confinement a permis de poser tout cela à plat et de se demander : quel ROI met-on derrière l’influence, pour quelles attentes ? Mais surtout, quelle relation créons-nous sur le long terme ?

En ce sens, l’influence en est sortie renforcée : elle a prouvé son ROI et un niveau d’engagement plus fort – sur nos opérations du moins, je ne saurais dire si c’est une tendance du marché. Nous avons pu obtenir de tels résultats grâce au temps donné pour développer des choses différentes, notamment en ciblant des influenceurs un peu plus hétéroclites. Finalement, cette crise nous a permis de sortir des types d’influenceurs avec lesquels nous travaillions habituellement, et de leur proposer des choses très engageantes sur lesquelles ils avaient leur mot à dire.

Vous avez un exemple à nous donner ?

P-H.M. : Une opération pour Bombay Sapphire et son nouveau produit, Bramble. Leur plateforme, Stir Creativity, c’est la créativité artistique, nous avons donc travaillé avec le duo de photographes Coste & Billy sur un shooting collaboratif sur Instagram. C’était leur premier shooting produit, le duo étant habitué aux portraits. Leur communauté devait choisir tout l’environnement/DA du shooting : couleur, fond, ambiance, mise en scène, etc. Nous avons obtenu une moyenne de 32 500 réponses par question posée (votes via story), 42 stories publiées contre 5 demandées dans le cadre de la collaboration, 2 218 887 de reach total, un post Instagram avec 29 500 likes et 323 commentaires.

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?Notre première photo d’objet, avec vous ? . Nous sommes très heureuses d’avoir réalisé ce projet avec vous pour @bombaysapphire qui est une une marque très ouverte aux artistes et qui nous a proposé d’exprimer notre trait de créativité pour mettre en avant leur nouveau produit Bombay Bramble. Voici le résultat dans les tons violets cuivre, le soleil couchant qui se reflète dans le miroir et les plantes que vous avez choisi ? Un thème parfait en adéquation avec ce nouveau Gin aux arômes 100% naturels de mûres et de framboises C’était une expérience nouvelle pour nous, on était pas bien sûr de s’en sortir au début haha. Finalement, on est très contentes du résultat, surtout pour une première ! Merci à tous c’est grâce à vous que cette photo est là et nous espérons que vous en êtes fier ?. Est-ce que l’expérience de réaliser ce shooting avec nous vous a plu ? #bombaysapphire . #untraitdecréativité . partenariat rémunéré avec @bombaysapphire . L’abus d'alcool est dangereux pour la santé, les boissons alcoolisées sont à consommer avec modération

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L’opération a très bien marché. À tel point que l’opération a été l’une des trois plus grosses campagnes d’influence dans le monde pour tout le groupe Bacardi-Martini. Nous étions certainement tous plus réceptifs et en attente à ce qui se passait sur les réseaux sociaux, car nous en avions sans doute marre d’enchaîner les Zoom. Il y a eu moins d’activité, mais plus d’authenticité, les influenceurs faisaient aussi plus attention aux collaborations qu’ils acceptaient et ils ont été récompensés par plus d’engagement de la part de leur communauté.

Les influenceurs ont été confrontés à des problèmes de production de contenus et une concurrence exacerbée en matière de contenus proposés/disponibles (télévision/médias en ligne/SVOD)…

P-H.M. : Le social en tant que média a évidemment pris beaucoup d’importance. Au sein de l’agence, nous avons déjà une activité sociale très forte, tout a été revu. C’est l’une des activités qui a progressé pendant le confinement. La production de contenus a également été revisitée et est même montée en qualité. Même si le côté business a également augmenté, puisque les ventes se sont transposées sur de la vente en ligne. Ce n’est pas nouveau, mais le social commerce se développe plus vite qu’avant.

Justement, quid du social commerce ?

P-H.M. : Le rôle des influenceurs est devenu important, très vite : ils sont désormais perçus comme des leviers amenant à l’acte d’achat. Cela va même s’accélérer avec Instagram et ses fonctionnalités shopping liées aux influenceurs. C’est déjà présent dans d’autres pays, notamment avec Alibaba qui a recruté 100 000 influenceurs pour booster sa plateforme de vente Aliexpress. Cela prouve que le rôle de l’influenceur ne se limite pas à de l’image. Grâce au format swipe up d’IG (depuis deux ans maintenant), il est possible de traquer l’efficacité des campagnes influenceur sur du drive to store et drive to web. Avec les fonctionnalités qui se développent, on remarque à quel point les influenceurs auront un rôle encore plus prépondérant à l’avenir.

L’accélération du social commerce va poser la question de la mesure des résultats. Il ne faut pas tomber dans l’effet inverse et que cela devienne la Foir’Fouille. Ce sera aux agences de faire attention et de conseiller pour trouver le bon mix pour leurs annonceurs entre opération d’image et création de contenu désintéressée et une approche plus commerciale qui pourrait s’emballer. Les plateformes ne doivent pas devenir des plateformes de shopping. Même si certaines marques ont réalisé de très belles opérations en créant des collections capsules avec des influenceurs, comme Jennyfer.

Au Royaume-Uni par exemple, la vente en ligne est très développée. Ogilvy Londres a conçu une dégustation live sur Amazon pour la marque de whisky, Aberfeldy, en créant une sorte de pop-up shop. Pour cela, il a fallu mobiliser des influenceurs pour maximiser les inscriptions à l’événement et la transformation en acte d’achat via la création d’une édition limitée. Résultat : +94 % d’augmentation du chiffre d’affaires de la marque sur Amazon le jour du livestream.

Cet enjeu d’authenticité va être très important, même sur le social commerce. Il va entraîner une accélération et une mutation du profil et du paysage des influenceurs. Certains vont devenir des portes manteau… des VRP professionnels et cela aura certainement un impact sur leur communauté. D’autres vont continuer à le faire de manière raisonnée et raisonnable et cela leur permettra d’ouvrir de nouvelles portes et un nouveau moyen de rémunération vis à vis des annonceurs. Le social commerce est un des leviers qui accélérer le plus ces prochaines semaines et ces prochains mois.

Le confinement a signé le retour en grâce des commerces de proximité, des communautés plus locales, après le boom des nanos influenceurs, l’influence hyper locale va-t-elle s’imposer ?

P-H.M. : L’avenir nous le dira, c’est le débat du « monde d’après » (rires). Des choses vont rester, comme ce recentrage sur le local et sur le quartier. Ce sont des nouvelles préoccupations qui deviennent des actes pour les Français. Pendant le confinement, l’idée n’était pas seulement de soutenir les commerces locaux, mais surtout de les empêcher de mourir. Notamment avec toutes les initiatives de pré achats et réservations dans les boutiques, bars et restaurants pour anticiper leur réouverture et le déconfinement et ainsi leur permettre de survivre en attendant.

Les influenceurs hyper locaux ont vraiment un rôle à jouer : cela va dans le sens de l’authenticité et du ROI assuré, puisque c’est très géolocalisé. Si nous déployons des opérations locales et une stratégie multi-locales différenciées, il devient très facile de localiser des influenceurs à l’échelon de la ville, voire du quartier.

C’est un volet sympa de l’influence, car il allie praticité et utilité. Nous en avons beaucoup observé dans le cadre de l’épidémie. C’est valorisant pour cette pratique marketing souvent décriée pour son côté bling-bling et artificiel. Avec le confinement, nous avons vu des gens se révéler.

Le confinement a également vu des employés devenirs les influenceurs/ambassadeurs de leur propre entreprise. Comme H&M l’a fait en 2019 par exemple…

P-H.M. : C’est une prise de parole principalement liée aux entreprises mobilisées pendant la crise. Cela génère de la proximité et de la fierté pour l’employé, comme au sein des sociétés qui ont fabriqué des masques et des gels hydroalcooliques. Certains patrons ont pris la parole, beaucoup se sont tus. Toutefois, certains d’entre eux ont bien compris qu’en temps de crise, le.la dirigeant.e doit être celui.celle qui lead par son charisme et sa vision.

Ces nouveaux relais sont beaucoup plus légitimes vis-à-vis des autres employés et de la population en général. Nous donnons d’instinct plus de crédit aux contenus ou aux prises de parole des employés, quand le discours de l’entreprise est souvent suspect par nature, et celui du patron encore plus dans l’esprit du public. Cela se rapproche de ce que l’on vit avec la relation influenceur : la marque doit prendre le risque de lâcher le contrôle de la communication. Cela nécessite une autre façon de travailler, un autre management. Si l’on ajoute tout le travail sur la raison d’être sur laquelle travaillent beaucoup d’entreprises, l’employé/ambassadeur est très compatible. Il y a une capacité à embarquer. Depuis l’année dernière, tout ce qui est employé engagement est logé dans l’offre RP d’Ogilvy.

Les réflexes de communication doivent être les mêmes, mais adaptés à un discours plus corporate évidemment, les leviers sont néanmoins semblables.

Le.a Covid a accéléré la transformation numérique des entreprises, entre télétravail et outils de communication à distance, quelles pratiques l’épidémie a-t-elle renforcées et/ou imposées pour le marketing d’influence ?

P-H.M. : Comme tout le monde, nous avons utilisé Zoom avec des influenceurs, réalisé des événements virtuels, des lancements de produits via des conférences ou événements en ligne. Ils ont plutôt bien marché.

Les influenceurs devaient être aux manettes et animer leur communauté, nous avons donc conçu pas mal de live. Même si cela n’a rien de nouveau, c’était la seule option possible sur le moment. Quand les événements physiques vont revenir, nous aurons tous très envie d’en faire, il faudrait être un peu maso pour se donner rendez-vous sur Zoom si on peut se rendre en festival. Le numérique restera toutefois un levier possible.

Pendant le confinement, l’agence a pu continuer à faire de la livraison de produits, pour des marques de grande consommation afin de réaliser des tests, de l’unboxing, etc., il a fallu être un peu plus agiles. Beaucoup de nos baignoires ont été réquisitionnées pour stocker les produits à envoyer en attendant que les coursiers passent.

Nous avons observé un forte de demandes du côté d’influenceurs qui souhaitaient communiquer autour de leur maison pendant le confinement : DIY, recettes, entretien, etc., notamment avec Electrolux. L’influence est redevenue plus artisanale dans le sens noble du terme : nous avons pris plus de temps pour discuter, travailler les productions et les campagnes ensemble. Un influenceur débute généralement par shooter dans sa chambre, c’était comme un retour aux sources. C’est peut-être pour ça qu’ils ont su aussi bien « profiter » du moment et utiliser les contraintes liées au confinement pour être créatifs, comme on l’a vu avec TikTok et ces chorégraphies coordonnées entre différents influenceurs chacun dans leur appartement. Ce côté DIY, à la base de l’influence et un peu perdu avec son industrialisation, est revenu avec le confinement. Cela a permis de se poser sur les valeurs, les objectifs et l’utilité de l’influenceur par rapport à sa communauté. Cet aspect va rester par la suite.

Quels enseignements tirez-vous de cette période ? On a vu le live exploser sur Instagram, et TikTok devenir un véritable phénomène… qu’en restera-t-il ?

P-H.M. : L’authenticité. Le sujet du manque d’authenticité est souvent reproché au secteur. Un recentrage sur les bonnes questions s’est opéré avec la crise : tout ce qui touche au local, aux employés, etc., le point commun c’est l’authenticité et le besoin pour l’influenceur, mais aussi la marque, d’intégrer une démarche authentique. Plus que le sujet récurrent de l’évolution des plateformes, qui de toute façon changent tout le temps.

Plus que jamais, l’authenticité va être le gage d’une performance plus grande des campagnes. J’espère, je pense même que cela va rester.

En octobre dernier dans l’une de nos interviews minute, vous avanciez que la barre des 10 milliards de dollars d’investissements de la part des marques devrait être dépassée en 2020, à l’aune de l’épidémie, cette prévision reste-t-elle d’actualité ?

P-H.M. : Je n’ai pas les derniers chiffres… Il y a eu une baisse d’investissements assez relative au tout début du confinement. Je pense néanmoins qu’ils vont se poursuivre. Est-ce que ce sera 10, 9 ou 8 milliards ? Je ne sais pas. En revanche, l’influence marketing sera un levier du mix marketing, j’en suis certain. Je reste très optimiste par rapport à cette activité.

Que restera-t-il de cette période dans les stratégies d’influence des marques dans les mois / années à venir ?

P-H.M. : Elles vont (re)mettre l’influence dans leurs outils prioritaires. Le marketing d’influence a permis aux marques d’ouvrir les yeux sur la force de l’influence bien faite. Nous avions tendance à envisager l’influence marketing comme un moyen d’amplifier un dispositif. Aujourd’hui, les marques ayant bien travaillé l’influence pendant le confinement et pu prendre du temps pour se poser sur ces enjeux-là, ont compris qu’on pouvait mettre l’influence au cœur de la stratégie créative ou business de l’entreprise.

Cela va être un gain certain pour l’influenceur marketing d’avoir pu montrer son efficacité (en termes d’image et de business) et sa capacité à être un levier du marketing mix, indépendant d’autres leviers. C’est une évolution majeure pour la stratégie des marques, avec l’obligation d’envisager la relation influenceur sur le long terme.

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