Pourquoi les écoles de communication doivent se réinventer

Par Xuoan D. le 03/07/2017

Temps de lecture : 9 min

Après un bac+4/5, rares sont les jeunes immédiatement employables.

La faute à des formations qui ne sont pas suffisamment en phase avec les besoins du marché de la communication : de nombreux postes ne sont pas pourvus, notamment pour les métiers les plus récents et techniques. Plus grave, Julien Casiro pense qu’au-delà des connaissances, les écoles n’apportent plus les clés nécessaires aux étudiants pour qu’ils construisent leurs propres singularité, créativité et expertise. Afin de ne pas rester les bras croisés (malgré la photo ci-haut), le fondateur et directeur associé de l’agence [tag]Braaxe[/tag] nous présente aujourd’hui quelques pistes pour que la formation de la filière communication se réinvente au plus vite. Et en attendant cette révolution, les étudiants et jeunes professionnels trouveront également dans cette interview quelques conseils pour sortir du lot.
 

Quel constat faites-vous de la formation des étudiants dans le domaine de la communication ?

Julien Casiro : J’en tire un bilan assez sévère : à mes yeux, le format d’éducation supérieure en France connaît des dérives dans plusieurs filières, à commencer par la nôtre.

C’est le constat que je fais en recrutant dans les écoles qui se positionnent comme spécialistes puis en relevant, avec mes équipes, un réel décalage entre les promesses certifiées et les compétences réelles démontrées sur le terrain.

Les étudiants ont du talent et un potentiel important, mais je n’ai pas la sensation qu’ils soient formés à la réalité du métier lorsqu’ils débutent chez nous.

Certaines écoles sont très sérieuses et fiables, il faut le souligner, mais il existe pour moi d’autres établissements qui profitent d’un contexte très français pour prospérer en développant des offres de formation qui ne sont absolument pas pertinentes.
 

Quel est justement le contexte français ?

JC : Être jeune étudiant en France, c’est évoluer dans un schéma de pensée construit autour du mythe de la grande école : la valeur d’un diplôme du baccalauréat étant en net recul, on valorise davantage le passage par des écoles prestigieuses et réputées pour faire carrière dans certains secteurs.

Au premier rang de ces institutions qui ouvrent les portes du marché du travail, nous avons l’ENA, l’ENS, Sciences Po… Les écoles de commerce et d’ingénieur aussi, avec leur système de classement qui les hiérarchise en permanence. Anciennes et crédibles, ces dernières ont le mérite de proposer des cursus très complets, à la hauteur de leur réputation.

De telles institutions historiques existent peu dans l’univers de la communication. Il y a Sciences Po ou le Celsa qui sont anciens. En revanche, la croyance selon laquelle il faut absolument fréquenter des établissements cotés pour faire carrière est, elle, bien réelle. Et c’est là que la dérive trouve son origine.

À l’aube de leur carrière professionnelle, les étudiants comme leurs parents ont besoin d’être rassurés sur leur avenir.

Saisissant la manne financière que le contexte leur offre, de nombreux établissements se sont présentés comme une réponse à cette inquiétude : nous allons vous donner toutes les clés pour réussir dans le milieu.

Aux côtés de quelques acteurs sérieux, des écoles privées sans références se sont massivement développées. Partout la promesse est la même : on vous apprend un métier, “devenez expert en 5 ans”. Les cursus sont longs et chers, l’économie tourne bien.

Tout est dans l’apparence, la posture, le prestige fantasmé. On se crée et on s’offre un grand nom qui se veut convaincant. Les acronymes s’allongent. Il suffit de reprendre quelques mots clés et on fonde son école fictive. Voilà la mienne : Ecole Supérieure de Management et des Techniques Modernes de Publicité & Marketing. L’ESTPM, c’est crédible non ?

Les établissements rivalisent d’arguments pour attirer les talents : vous toucherez tel salaire à la sortie, vous serez promu à tel poste… Des garanties invraisemblables et totalement en décalage avec la réalité du marché.
 

Quel impact pour vous en tant que recruteur ?

JC : Nous nous retrouvons confrontés avec une réalité folle : les parents payent des formations très chères et achètent un magnifique bac+4 ou bac+5 à mettre sur le CV. Mais derrière, je vois nos salariés s’efforcer de rattraper le temps perdu auprès des nouveaux arrivants. Pour l’instant, l’essentiel de leur formation se déroule durant les stages et les alternances.

L’autre difficulté, c’est que les formations des écoles sont en en décalage avec la dynamique du marché de l’emploi : les besoins en développement et en UX, par exemple, ne sont pas assez pourvus. Sans même parler de la qualité, il y a un manque d’offres en quantité. C’est contradictoire quand on voit le nombre de structures éducatives qui se sont créées dans notre secteur !

Dans leur majorité, ces écoles ne les préparent pas à la réalité du métier, elles sont encore très théoriques et magistrales. Les projets en groupe et les compétitions sont une bonne manière d’apprendre mais ils sont encore trop peu à y accorder du temps.

Beaucoup d’écoles copient la sélection sur dossier ou concours des grandes écoles pour simuler une légitimité et un statut, mais, honnêtement, si vous payez les frais de scolarité, vous les intégrez. Il n’est pas normal par exemple qu’un candidat faible en orthographe soit déjà considéré comme un bon profil. L’orthographe est la base, pas l‘exception.

En réalité, si nous connaissons les écoles sérieuses, nous nous intéressons tout de même bien moins au diplôme qu’à l’expérience, bien sûr, mais aussi à la personnalité, les passions, les centres d’intérêt et la curiosité qu’un candidat peut dégager.

Je ne me fie pas aux 5 ans de formation passés dans une école obscure que je ne connais pas mais qui me certifie délivrer un “diplôme reconnu par l’État”. Cela ne veut rien dire, et n’a pour moi pas beaucoup de valeur. L’accumulation de “Masters” avec des noms ronflants, n’est pas caution d’un bon profil à coup sûr, je préfère cerner la passion, l’envie, l’ouverture d’esprit et surtout la motivation.
 

Comment les agences et annonceurs peuvent-ils aider les étudiants à sortir de cette spirale ?

JC : Déjà, en commençant par ouvrir le débat avec tous les acteurs concernés.

Ensuite, dans les faits, nous contribuons déjà en grande partie à leur formation lors de leurs césures alors pourquoi ne pas accueillir les talents plus tôt, afin notamment de faire découvrir la grande variété de nos métiers pour les guider ?

A la manière du sport et des “scouts” que les clubs et franchises sportives déploient partout, ce serait intéressant de pouvoir rencontrer les profils prometteurs et motivés dès le départ ; et de réaliser un vrai investissement humain. Proposer des cycles d’alternance en post-bac.

Il faut multiplier les interactions avec le monde de l’entreprise, découvrir la vie chez l’annonceur et les agences, la vie dans les grandes et les petites structures, découvrir le quotidien des équipes, et surtout casser les mythes et les peurs.

Certains anciens stagiaires chez nous sont aujourd’hui des managers incontournables dans l’entreprise. Nous avons senti leur capacité de travail, leur motivation, leur créativité et nous avons apprécié de pouvoir les garder.

De son côté, l’école doit assurer son rôle dans l’autre versant de la formation de l’étudiant.
 

Quel serait cet autre versant ? Que proposez-vous pour réinventer les modèles d’écoles dans la communication ?

JC : Dans nos métiers, nous avons accès à l’information en permanence, l’apprentissage par cœur n’a pas de sens. Il faut apprendre aux étudiants à réfléchir, à chercher les informations, les hiérarchiser et les manipuler. Être formé à penser.

Être curieux, c’est savoir se demander “Pourquoi ?” et “Comment ?”. Il faut pousser les étudiants à aller voir plus loin, à ne pas accepter l’information comme telle mais à la bousculer, la creuser et lui donner du sens.

Pour cela, il faut élargir les horizons, apprendre à s’intéresser à tout, sortir de ces éternelles campagnes proposées par les mêmes marques, aussi créatives soient-elles : lire une presse qui n’est pas forcément spécialisée, regarder et écouter des émissions… La culture est partout ! À cet âge-là, l’éducation n’est plus du ressort de l’école, ce qu’elle doit proposer, c’est un éveil.

Si un professeur réussit à intéresser ses élèves et leur faire répondre à des questions précises et individuelles dans le cadre de projets concrets pouvant être rencontrés dans la vie active, il remplit sa mission. Il les prépare à venir chez nous.

La pédagogie par projet est très performante, celle où l’étudiant est actif, où il “fait”. Le taux de rétention est plus élevé lorsque des méthodes d’apprentissage actives sont mises en place.

Il faut donner du sens à l’étudiant. Lui montrer qu’il peut apporter de la valeur par son talent, son travail, son énergie. Il doit venir à l’école avec l’envie, avec des questions, avec le besoin de partager, pas assister à des cours en étant collé sur Snapchat pour valider une présence.

Les rythmes plus personnalisés – via la gamification – et la dématérialisation de certains cours qui offre une vraie liberté sont aussi des pistes très intéressantes. C’est un peu la philosophie de l’École 42.

Toutefois, il ne faut pas tomber dans l’excès avec cette idée d’horaires inexistants où chacun vient avec son sac de couchage et travaille quand il veut. À 18-20 ans, on a encore besoin d’un cadre. La responsabilisation absolue présente ses limites.

Il y a enfin une dernière chose : le numérique. La gestion de la data permettrait de proposer des suivis plus personnalisés où les emplois du temps s’adapteraient par exemple au niveau de chacun : telle matière doit être approfondie via l’accès à un mooc, tel sujet est maîtrisé et ne requiert pas de cours supplémentaires…

Cela permet à chacun de se voir proposer un rythme cohérent et adapté à ses lacunes.
 

En attendant que l’école de com / marketing fasse sa révolution, doit-on conseiller aux étudiants d’apprendre par eux-mêmes ?

JC : C’est un conseil que l’on formule à chaque entretien. N’attendez pas tout de l’école et même de l’entreprise. Apprendre par soi-même est une obligation, avant de rentrer sur le marché mais aussi tout au long de sa carrière.

Cela ne signifie pas que l’entreprise et l’école se déchargent de leurs responsabilités, mais simplement qu’elles ne peuvent pas assurer la transmission complète d’un métier et d’une culture globale sans un investissement personnel de la part de l’étudiant en parallèle.

Ce sont ceux qui lisent, observent et s’ouvrent le plus à tout ce qui les entoure (y compris dans d’autres domaines !) qui proposent les regards les plus intéressants sur le métier. C’est le meilleur moyen d’avoir des idées différentes. De ne pas rester un simple “potentiel” mais de devenir réellement bon.


Saluons la contribution de François Bévierre, chef de projet éditorial chez [tag]Braaxe[/tag], aux réponses de cette interview.

News Scan Book

Le compte pro Shine fait du bruit

1

2

3

4

5

Précédent Suivant