Comment l’UX bouleverse la communication

Par Xuoan D. le 19/11/2015

Temps de lecture : 12 min

Si le terme a pu paraître purement digital, l'UX est la ''science'' de l'expérience utilisateur.

Ce qui en fait un sujet particulièrement riche, mettant à mal le principe de communication de masse ainsi que les méthodologies des agences et annonceurs. Comment définir l’UX et quel est son impact sur le marché de la communication ? Nous avons mené l’enquête.

Qu’est-ce que l’UX ?

Si le terme UX peut parfois prendre des airs de mot valise, traduit littéralement, il représente l’expérience utilisateur. Un vécu que l’on associe en général aux points de contact digitaux. Or, comme l’explique Frédéric Reibel de Malabar Design, « l’UX n’est pas propre au digital. Et elle ne date pas d’hier ! Steve Jobs l’a d’ailleurs très bien dit : le design, ce n’est pas l’apparence ou le style. C’est avant tout comment cela marche ! »

Cette soif de nouvelle d’expérience par le public touche déjà la communication dans son ensemble selon Pierre Lannes, Directeur Expérience Utilisateur de Fullsix France : « Des études publiées en 2003 et 2010 (Thomas Gilovich, Leaf Van Boven, Travis J. Carter) ont démontré que les achats correspondant à des expériences – voyage, place de concert, dîner au restaurant – rendent les gens plus heureux que les achats de biens matériels de même valeur (équipement stéréo, objets de luxe). Si l’on observe la publicité sur les voitures, on voit bien que ce n’est plus le produit lui-même qui est directement valorisé, mais il l’est au travers de l’expérience qu’il va vous faire vivre : les sensations, les émotions… »

Intervenir, améliorer ou créer de toutes pièces cette expérience implique un nouvel état d’esprit qui « met l’utilisateur au centre de nos préoccupations » selon Frédéric Reibel. Un focus « désormais essentiel » pour Olivier Vigneaux, CEO de BETC Digital car « l’UX est un vecteur de communication central. En effet, de plus en plus de points de contacts deviennent digitaux. Certaines personnes peuvent ne connaitre une marque que par son expérience utilisateur, en ayant totalement échappé aux campagnes publicitaires. »

L’enjeu est de taille, car les marques et agences doivent se soucier « du ressenti global des qualités d’un produit, d’un service ou d’un système. Ce ressenti découle de l’usage, qui produit un certain niveau de satisfaction subjective, et de l’empreinte laissée dans la mémoire » selon Pierre Lannes de Fullsix France. Un ressenti qui se construit selon lui en 5 points pour un produit, service ou système :
– son accessibilité et son adaptabilité (selon le contexte, les caractéristiques et l’état de l’utilisateur)
– son utilisabilité (facilité à être compris, utilisé)
– son utilité (répond au besoin de l’utilisateur)
– sa désirabilité (capacité à séduire, à inciter…)
– sa crédibilité (des contenus, des offres, de la fiabilité…)
« Si les 3 premières caractéristiques relèvent de l’ergonomie, le 2 derniers points nous rapprochent des enjeux du marketing et de l’innovation : la proposition de valeur. » Ce que confirme Davy Tessier, le CEO et co-fondateur de l’agence Disko : « l’UX est la science de l’expérience client et de son optimisation en vue de générer une valeur supérieure pour une marque. C’est est aussi l’étude du comportement des utilisateurs, de la data, de l’analyse, de l’amélioration continue et accessoirement de beaux storyboards… »

Bien trop souvent associée au design, « l’expérience utilisateur quand elle est positive ne se limite pas à une interface réussie » selon l’équipe d’Intuiti. « L’expérience avec un produit ou un service doit être cohérente et continue : depuis la première newsletter reçue à la relation au téléphone ou en magasin avec le service client. » De quoi tendre vers un autre terme en vogue : la CX ou « Customer Experience ».

Qu’est-ce que l’UX design ?

Pour Vincent Hove, directeur conseil chez X-PRIME, « l’UX n’est pas UNE discipline. Mais un ensemble de disciplines qui permettent, de concert, de résoudre un problème en offrant l’expérience la plus satisfaisante possible aux utilisateurs et aux clients mais aussi la plus vertueuse aux organisations. Les services immatériels / digitaux sont devenus de vrais produits. L’UX design est le fait de concevoir / designer ces produits digitaux (ou partiellement digitaux) en prenant en compte de nombreuses composantes : le sens, l’utilité, l’utilisabilité, le fonctionnel… Pourquoi parle-t-on alors d’UX design et pas simplement de design ? Parce que les utilisateurs et leurs « expériences » ont une importance prédominante pour les services digitaux. En effet, ces derniers n’existent souvent que si l’on s’en sert, si l’on interagit avec et ce à travers de nombreux point de contact et « moments » (à la différence d’un produit physique). Les services digitaux sont souvent des coquilles vides qui se remplissent, se nourrissent et tirent leur intérêt et leur puissance dans les interactions avec leurs utilisateurs. »

ux

Comme le résume Pierre Lannes, de Fullsix : « UX is not (only) UI [user interface]. L’approche de l’expérience utilisateur relève de l’étude des usages et des comportements, de méthodes de design centrées sur les utilisateurs, de la collaboration de plusieurs expertises. » Et pour Vincent Hove de X-PRIME, les domaines impliqués sont nombreux : « Marketing / Métier, Ergonomie, Contenu, Architecture de l’information, Interaction design, Graphique design, sans oublier la technique ! »

Ce qui implique de nouvelles méthodologies. L’avantage de l’UX est pour Frédéric Reibel de Malabar Design « que l’on va partir d’un postulat, avec une méthodologie très forte et sécurisante pour les annonceurs, en 5 phases :
– recherche : planning, élaborer les cibles, collecter toutes les infos et problèmes à résoudre
– délimitation du projet : structurer le contenu, définir les ateliers dont on aura besoin. Comme par exemple le tri par cartes, les tests utilisateurs, le six to one avec 5 interfaces proposées, les interviews ou le future workshop que l’on pourrait qualifier de brainstorming.
– prototypage : c’est une phase assez longue, où l’on utilise des solutions comme Axure ou Balsamiq. Ces prototypes donnent lieu à de nouveaux tests utilisateurs. Dès validation par les tests, ces prototypes sont proposés au client. Ils permettent également de simuler les interfaces sur 3 principaux devices actuels : ordinateurs, tablettes et mobiles.
– maquettage : vient ensuite le webdesign, qui est ici un habillage des prototypes déjà validés
– le développement : qui rend réellement fonctionnel les prototypes.
La validation de chacune de ces étapes étant nécessaire pour passer à la suivante. »

Pluridisciplinaire par nécessité de comprendre finement les attentes des utilisateurs et plus généralement du public, l’UX design entraîne une évolution des compétences en agence.

Quel impact de l’UX sur l’organisation des agences ?

L’UX est-elle une affaire de spécialistes ou de designers ? Ni l’un ni l’autre, selon la plupart des sondés. « Ce n’est pas un métier mais une philosophie » comme le résume Frédéric Reibel.

Pour Lucas Denjean, directeur général d’Extrême Sensio : « Historiquement, dans les agences « web », la fonction UX était exercée par des chefs de projet « fonctionnels », qui rassemblaient dans un cycle court l’expression des besoins et leur traduction en interfaces. Avec la complexification des projets et des technologies, la fonction s’est spécialisée et a été exercée par des profils experts, chargés de garantir une expérience utilisateur optimale sur des périmètres en expansion (bureau et mobile, sites et applications, outils et services, etc.) en intégrant mieux les contraintes techniques. La spécialisation a, en outre, l’avantage de capitaliser sur l’expérience acquise pour tendre vers des solutions à l’efficacité éprouvée, qui sont ensuite archivées, actualisées et réutilisées. Les UX prennent en compte les capacités du cognitif humain autant que les règles d’ergonomie les plus performantes, tout en laissant aux designers la liberté d’adapter la conception pour qu’elle réponde aux attentes des utilisateurs et à la stratégie choisie pour l’annonceur. Aujourd’hui, la fonction UX doit profondément évoluer pour refléter la diversification des activités des agences digitales, et se décloisonner : toute proposition doit être « user centric ». »

Ce que confirme Olivier Vigneaux de BETC Digital : « il faut avant tout intégrer des personnes préoccupées par l’UX. Ce n’est pas simplement un métier de test & learn, d’A/B testing ou d’organisation d’ateliers… Notre rôle en tant qu’agence est d’insuffler des valeurs de marque dans l’UX. Il nous faut inventer des parcours qui ont une unicité et relèvent de l’expression de la marque. Pour cela, les experts UX ne peuvent travailler seuls. Ils sont toujours accompagnés par des créatifs et des engagement planners. Ces derniers sont des planners qui intègrent dès le depart des notions d’expérience utilisateur dans leur réflexion. »

La tendance est donc aux équipes pluridisciplinaires, dont Vincent Hove nous dévoile la recette chez X-PRIME : « il nous faut à la fois des profils en T, aux compétences très pointues dans un domaine ainsi que de bonnes connaissances générales dans des activités connexes. Ses connaissances pointues dans un domaine lui permettent d’avoir un apport significatif dans le projet alors que ses connaissances générales lui permettent de collaborer efficacement avec l’équipe, comprendre et servir l’objectif commun. 2nd élément clé : un bon lead UX qui agit comme un facilitateur. Au-delà de formaliser les contours de la stratégie UX pour guider les équipes, il a un rôle de coach pour maintenir la bonne organisation, l’agilité, la vélocité de l’équipe. Et surtout, il contrôle la cohérence du design au fil des étapes de conception et de production en étant présent tout au long du projet et veille au respect de ces 3 critères : 1. Le produit répond à un besoin. 2. Le produit donne envie d’être utilisé. 3. Le produit est utilisable. »

Cette approche séduisante nécessite donc des talents sachant collaborer dans des « équipes ad-hoc, souples et légères, qui co-construisent le projet en limitant au maximum les risques de frottement en aval » selon Lucas Denjean d’Extrême Sensio. « UX, designers, développeurs sont ainsi responsabilisés sur les objectifs à atteindre, et les contraintes à respecter (notamment budgétaires). Le projet tend alors vers une démarche « lean » pour optimiser la conception dans des cycles itératifs courts et un cercle vertueux d’amélioration continue. » Loin d’être une nouvelle mode sans lendemain, Lucas Denjean voit dans l’UX « un objectif structurant pour toutes les fonctions de l’agence, qui repose sur un brassage de compétences aussi diverses que la compréhension des insights de la cible, la modélisation des parcours consommateurs et la capacité à concevoir des écosystèmes, des services ou des expériences pour y répondre. » Le DG d’Extrême Sensio observe alors « une fusion de l’UX et du planning, désilotée au cours d’un nouveau modèle de sprint qui trouve le bon équilibre entre les insights conso, les insights d’usage des technologies et l’idée créative. C’est une nécessité pour répondre à l’évolution du business model des agences qui hébergent, achètent, contractualisent avec des start-ups, et qui investissent de plus en plus dans le développement de produits ou de services. Pour elles, comme pour leurs clients, le « faire » remplace de plus en plus le « dire ». »

L’UX fait-elle partie des attentes des annonceurs ?

Là aussi, toutes les agences interrogées dressent un tableau similaire à l’analyse de Davy Tessier de Disko : « L’UX n’est pas encore un sujet majeur pour les annonceurs tant que la recherche de valeur digitale n’est pas au centre des préoccupations, comme cela pourrait l’être pour une start-up. Néanmoins les annonceurs qui ont déployé des business units numériques et dont la maturité numérique est forte, ont tous intégré cette discipline au coeur de leur réflexion. » Et ils sont de plus en plus nombreux à l’être, parfois par peur de se faire « uberiser par une startup ou un concurrent plus innovant » comme l’indique Pierre Lannes de Fullsix. Mais aussi et surtout pour entrer dans ce que X-PRIME qualifie de « 4ème ère du digital pour les marques : après l’ère de la communication, du business (e-commerce), du social, nous sommes aujourd’hui dans l’ère du service et de plus en plus de marques comprennent ce nouveau paradigme : nous passons progressivement d’une économie de masse à une économie dominée par l’expérience (Nespresso, Blablacar). »

Les annonceurs sont-ils prêts à challenger leurs stratégies et briefs lors d’une phase de tests ? Pas toujours selon Olivier Vigneaux de BETC Digital : « les tests peuvent intervenir en amont mais aussi parfois uniquement en aval. L’important dans ce cas est d’instaurer une logique de test & learn permanent ».

Malabar Design, l’agence de Frédéric Reibel, a fait de son approche UX son fer de lance : « lorsque l’agence remporte une compétition ou un appel d’offre, c’est que notre méthodologie UX a séduit le client. Celle-ci est très sécurisante. Elle ajoute une part de science à l’élaboration du service, pour ainsi éviter de se laisser influencer par un choix de couleur. La conviction est appuyée par les études et données. Une approche UX permet également de mobiliser et de fédérer des équipes diverses chez l’annonceur. Comme par exemple les équipes marketing et DSI qui passent alors de spectateurs à acteurs de la création des interfaces et services. » La méthodologie de l’agence peut néanmoins rebuter quelques clients, notamment au niveau du planning : « pour un projet estimé à 3-4 mois, nous ajoutons 1 à 2 mois de conception, ce qui nous mène à potentiellement 6 mois de projet. Mais notre planning est ainsi toujours tenu, car les principaux problèmes et voies sans issue ont été anticipés lors des tests en amont ».

Quelles perspectives ?

Pour Davy Tessier de Disko, la communication « adopte de plus en plus des stratégies user first, en partant du besoin et en ayant comme obsession l’hypothèse, l’implémentation et la mesure de l’efficacité du dispositif mis en place. Plutôt que de passer une vie sur un sentiment créa nous sommes sur des cycles très courts d’itérations en réalisant des tests utilisateurs. Cela permet une mesure rapide de l’efficacité du dispositif mis en place et de le faire évoluer très souvent pour l’améliorer. »

Cette approche très digitale correspond selon Vincent Hove de X-PRIME à « la disparition des frontières entre communication, marketing, CRM + Online. » L’UX design se retrouve vecteur de synergie et de cohérence, grâce à 4 composantes clés : « User centric & expérimental, collaboratif, holistique et tangible ».

Pour Pierre Lannes de Fullsix, « cela nécessite de dépasser l’ancienne culture dominante des agences : la culture « créative », qui a atteint ses limites. Egocentrée sur le message, sur une communication dans un sens de la marque vers le consommateur, cette vision restrictive est inadaptée au monde d’aujourd’hui et de demain, qui est fait d’utilisateurs « consomm’acteurs » (un usager fait part autour de lui en moyenne 17 fois d’une mauvaise expérience de service contre 3 fois d’une bonne expérience !), de multiples canaux d’interactions, de parcours utilisateurs cross-canal et omni-canal. Cela ne signifie pas la disparition des créatifs. Bien au contraire. Ils sont déterminants dans les phases d’idéation. Mais ils s’inscrivent désormais dans une démarche plus globale, centrée sur les usages et les utilisateurs. »

Olivier Vigneaux de BETC Digital, tempère néanmoins, en réaffirmant l’importance de ne pas banaliser les marques : « ma conviction est qu’il y a l’efficacité pure et dure, façon e-commerce, orientée transformation. Mais celle-ci ne doit pas sacrifier ce que l’on considère être l’expression de la marque. Tout le monde ne doit pas adopter les mêmes recettes. Si toutes les marques proposent les mêmes services, que nous restera-t-il pour créer de la préférence de marque ? Il y a un subtil équilibre à trouver entre les normes, la compréhension d’un service, et ce que la marque doit raconter, quelles sont ses valeurs… Par exemple, lorsque nous avons conçu le formulaire de CANAL+, nous avons veillé à ce que soit un véritable moment de divertissement, totalement cohérent avec la marque. Idem, pour l’app CRM de Danone (DanOn), nous avons remplacé le formulaire d’inscription par une conversation reprenant les codes d’une messagerie instantanée. Mon autre conviction est d’ailleurs que les mots font partie de l’UX. Une app, un service sont pour la plupart constitués de boutons et de textes. Il y a un enjeu de tonalité, porteur d’un message concernant la marque ».

Avec l’UX (mais aussi les datas), le secteur de la communication semble ne s’être jamais autant soucié de coller au plus près des attentes des individus. Et surtout d’avoir les capacités d’y parvenir ! À terme, observerons-nous comme l’indique l’équipe d’Intuiti « des interfaces qui s’adapteront alors à chaque utilisateur pour diffuser le bon message et créer un engagement plus fort auprès des cibles ? Grâce à un UX design pertinent qui plongera l’utilisateur dans un univers qui correspond à ses habitudes, à ses besoins, à ses envies. Après la domination des interfaces et services homogénéisés, nous tendrons alors vers une personnalisation accrue, diminuant les frustrations, augmentant la satisfaction utilisateur et par effets de bord, boostant les conversions. » Nous voilà rassurés. Car en se préoccupant de chaque personne, en devenant servicielle, la communication n’oublie tout de même pas son principal objectif : vendre. D’une façon bien plus précise qu’avant ?

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